J'ai toujours tendance à comparer l'écriture avec d'autres arts: le cinéma, la peinture, et surtout la musique.
Un roman ou un scénario, c'est comme un album de musique. Un bon album est cohérent. Toutes les chansons tissent des liens esthétiques et/ou thématiques entre elles. Le titre relfète le contenu. Le choix de l'ordre des chansons est réfléchi. La "texture musicale" des morceaux est reconnaissable, unifiée, tandis que les chansons sont différenciées par la mélodie, le rythme et les paroles. Au sein de chaque chanson, le même effort de structure ordonne couplets et refrains.
Un texte fonctionne exactement de la même manière. Le récit doit être cohérent du début à la fin, "ne pas être épisodique" comme nous l'enseigne Aristote dans sa "Poetique". Chaque scène doit être bien ordonnée, faire référence à d'autres scènes, faire référence au récit tout entier.
Un bon récit est un objet auto-référant. Aucune partie ne doit arriver "comme un cheveux dans la soupe", sans lien avec le reste. L'unité du tout doit être respectée.
D'un autre côté, les scènes doivent contraster les unes avec les autres, tout en gardant, comme l'album de musique, une "texture" unique et identifiable.
Cette texture, c'est le style. C'est dans le style que s'exprime véritablement la voix de l'auteur. Chaque artiste doit trouver sa voix. Dés lors, il trouvera sa voie.
"Les riffs de guitare de Earth, Wind & Fire sont innimitables" : voilà une voix. En un instant, on reconnait la marque du groupe.
"Le ton de Houellebecq est unique" : lui aussi possède une voix forte, unique.
Comment trouver sa voix?
Si une recette magique existait, tout le monde serait écrivain. Le talent - objet mystique par excellence - explique en partie la voix. Le travail acharné n'y changera rien. Une voix ne se "travaille" pas (ou alors elle est feinte et de peu de valeur), elle vient d'elle-même lorsque l'auteur écrit avec son coeur. C'est toute la difficulté : il faut savoir se "laisser aller" tout en gardant un niveau d'écriture excellent. La première étape pour trouver sa voix est donc de faire de l'excellence une habitude. Je conseille donc le recours systématique aux dictionnaires.
La deuxième étape, une fois l'excellence grammaticale et lexicale atteinte, est de laisser tomber dictionnaires et thésaurus. Et de laisser parler son coeur.
"Laisser parler son coeur": voilà qui ressemble à tout sauf à un conseil utile. Or pourtant, j'ai l'intime conviction qu'un écrivain, armé de l'excellence, n'est pas meilleur que lorsqu'il se laisse aller. On ne compte plus les substances stupéfiantes qui sont utilisées à cet effet. Je ne conseille pas la drogue. Mais je conseille de vivre sa vie à son plein potentiel pour découvrir chaque jour de nouvelles choses et expérimenter tout ce qui est possible. Dés lors, l'auteur aura des choses à raconter. Son vécu sera sa voix.
Mais ce n'est pas la seule solution. Un auteur sans vécu n'est pas destiné à l'échec. Une personnalité forte, extériorisée ou non, peu exprimer avec saveur des choses qui sembleraient ternes autrement.
Car les événements que l'on raconte ne sont pas aussi importants que la façon avec laquelle on les raconte.
Tout le monde peut écrire, avec un peu d'entraînement. Tout le monde peut trouver une voix, il suffit de creuser en soi. Toutes autres choses étant égales, ce qui différenciera l'Auteur Inspiré des apprentis-tâcherons sera l'appréciation que fera le public de cette voix : il est possible qu'elle ne soit pas à la mode, qu'elle ne soit pas assez forte, qu'elle laisse indifférent. Dans ce dernier cas uniquement, l'apprenti auteur pourra éventuellement se dire incapable d'écrire de bons textes, et encore, la mode change vite, les goûts et les couleurs ne se discutent pas (sinons en termes financiers).
Car après tout, qu'est-ce qui fait de Victor Hugo un plus grand auteur que vous et moi ? La taille de son lectorat.
1 commentaire:
Bonjour,
Vous mélangez, ce me semble, deux concepts très différents dans ce chapitre :
1/ Trouver sa voix propre
2/ Connaitre la gloire (qui pourrait être formulé par : avoir une voix qui porte, qui aime à être entendue, qui parle au plus grand nombre).
Si le second me semble un acquis inné (sublimé par le vécu), le premier, en revanche, me semble tout aussi digne d'intérêt (c'est même le titre de votre chapitre), surtout lorsque l'on croit que l'art est un moyen offert à chaque individu de se réaliser, de s'accomplir (sans recherche de célébrité, qui est un vice de l'homme).
Si le second est conditionné par le premier, il me semble important pourtant de ne pas être confondu avec lui.
Et plutôt que de parler de "cœur", qui me semble une mauvaise approche (la plupart des mauvais textes que je lis, d'apprentis-auteurs, sont tous écrits avec beaucoup de cœur), je parlerais d'honnêteté, de sincérité (le second étant le résultat du premier).
L'homme, s'il veut devenir artiste, se doit de devenir honnête, sincère. Toute chose que la vie ne demande pas (elle apprend même, au contraire, à feindre, à faire-semblant, à adopter les pensées uniques).
Qu'est-ce que ça signifie, être honnête et sincère ? Ça signifie ne garder, dans ce que l'on produit, que ce qui est vraiment soi (que cela soit unique ou non).
Trop souvent, lorsqu'on débute, on ne fait que reproduire des schémas qui nous ont plu, on adopte sans le savoir des idées qui nous ont séduites, parce qu'elles ont fonctionné sur nous, parce qu'elles avaient belle forme, sans s'interroger sur le fait que, peut-être, elles ne nous correspondaient pas vraiment.
On doit se dénuder de tous ces artifices, de tout ce qui ne nous appartient pas en propre (toute chose qui peut appartenir à d'autres aussi, j'insiste — c'est l'ensemble de ce qui nous constitue qui crée un être unique, pas chaque élément séparément, qu'on retrouve à droite et à gauche).
On doit trouver qui l'on est, ce que l'on aime vraiment, ce que l'on croit vraiment, les valeurs qui sont vraiment les nôtres, et que l'on a envie de défendre, d'illustrer, de faire résonner.
Concrètement, la méthode pourrait paraitre simple : on doit s'arrêter sur chaque idée et se demander : est-ce que je l'aime vraiment ? n'est-elle pas la simple reproduction d'un schéma trop vu ? est-ce que cette idée, cette formule, dit quelque chose que je pense vraiment, au fond de ma chair ? est-ce qu'elle défend une valeur à laquelle je crois vraiment, profondément ? Ai-je réfléchi à cette valeur (en ou hors de l'écriture).
La méthode est simple, elle prend pourtant toute une vie, et ce travail d'honnêteté est incroyablement difficile, parce qu'il nous interroge constamment, nous, sur notre identité.
Écrire, créer, c'est se demander en permanence qui l'on est.
Voilà, pour moi, ce qui peut contribuer à trouver sa propre voix. Car chaque individu est unique et par voie de conséquence, s'il se trouve lui-même, sa voix sera forcément unique.
Après, savoir si cette voix est "universelle", savoir si elle parle au plus grand nombre (comme c'est le cas des plus grands artistes), savoir si elle porte, c'est un tout autre problème. Car en art, l'originalité seule est loin de suffire.
Bien à vous,
PhP
Enregistrer un commentaire