08 avril 2013

Julie Lescaut, fin du supplice

TF1 a annoncé l'arrêt définitif de la série Julie Lescaut, après 21 ans de bons et loyaux services. Bien entendu, on se doute que les déclarations douteuses de Véronique Genest ces derniers temps ont poussé prématurément la série vers la porte de sortie (même si elle s'en défend). Mais la fin de Julie Lescaut marque surtout le passage symbolique dans une nouvelle ère audiovisuelle: aujourd'hui, il n'est plus possible de faire de la télévision comme en 1992. Passage en revue des pratiques obsolètes.

L'héroïne 100% pur porc
Julie Lescaut représente l'héroïne française moyenne classique: jolie sans être sexuellement oppressante, pétrie de bons sentiments, blanche de peau, toujours fidèle et prête au sacrifice, raisonnable, polie, conciliante, appaisante, de centre-gauche avec parfois un bon sens paysan de droite, mais jamais dans l'extrêmisme (je parle bien du personnage, pas de l'actrice, qui en est à peu de chose près l'exact opposé).

Cette recette pour créer des héros ne fonctionne plus aujourd'hui. C'est le modèle "Superman", qui s'écroule face à l'ambiguité du modèle "Batman": les anti-héros, les héros torturés, avec une face obscure, sont bien plus intéressants, surtout dans un système dramaturgique sériel (pensez Dr. House, Dexter, Les Sopranos, etc.)

De même, Julie Lescaut servait de véhicule idéologique neutre: représentant le dénominateur commun de toutes les tendances politiques, elle en devenait très fade. Julie Lescaut, c'est comme Tintin, une coquille vide qui sert d'interface au spectateur pour se projeter dans le récit.

Mais si la fadeur de Tintin était équilibrée par l'exubérance de ses personnages secondaires, Julie Lescaut se trouvait bien seule dans une équipe où le plus marquant de tous était... Mouss Diouf. Maigre récompense.

Aujourd'hui, il ne faut plus avoir peur de montrer un héros avec ses convictions fortes, et aliénantes. Un mafieux catholique? Très bien! Un fonctionnaire libertaire? Parfait! Lorsque la prise de position du personnage est comprise par le scénariste, pas moquée, elle devient un trait de caractère qui renforce l'identification du spectateur: certes, il ne partage pas son avis, mais il partage son ressenti. C'est plus important.

Un rythme trop lent
La série s'arrêtera donc après 101 épisodes en 21 ans. Soit cinq épisodes par an. C'est trop peu! Beaucoup trop peu!  Le minmum acceptable pour une série, c'est 12 épisodes par an: ça permet de faire un épisode par semaine pendant une saison. Tout juste assez pour s'en souvenir l'année d'après.

Mais cinq épisodes, ça oblige à de la contorsion de programmateur pour caser les épisodes inédits entre une floppée de rediffusions qui diluent l'intérêt de la série. On en perd le fil, donc la continuité, et donc, par réaction, les scénaristes limitent au possible toute continuité. On est vraiment dans de la série non-feuilletonnante, dans l'enfilade de one-shot.

Bien sûr, on retrouvera quelques lignes conductrices ci et là, mais sans enthousiasme: Julie Lescaut est une série qui "se laisse voir" et non qui "se regarde". C'est pratique pour ratisser large, mais pathétique pour l'image de la chaîne. D'ailleurs, le public avait une fâcheuse tendance au vieillissement. Les jeunes ne regardent une série que si elle les motive un tant soit peu. Sinon, ils ont mieux à faire: internet et les jeux-vidéo sont des compagnons plus adaptés à leurs intérêts.

La recette de papa
Julie Lescaut, c'est "la télévision de papa". Un produit adapté à un autre temps. Reproduire cette recette aujourd'hui, c'est voué à l'échec. Tous les ingrédients ont été tellement réutilisés par les diffuseurs que leur ingestion ne provoque que la nausée.

Tout d'abor, les séries où le personnage principal se définit uniquement par son métier, c'est fini.

Julie Lescaut, c'est une flic. Et elle est rousse. Voilà tout ce qu'on peut dire en 21 ans d'histoires.

Comparez avec Dr House, dont on sait que c'est un médecin, mais ce n'est pas ce qui le définit en tant qu'être humain. Avant d'être médecin, c'est un salopard cynique bourré de démons qui les évacue dans la drogue et l'exercice de la médecine. Son métier n'est qu'un effet secondaire.

Julie Lescaut, c'est aussi une série sans surprises, sans tension. On pourrait aller jusqu'à dire que c'est une série sans dramaturgie. Certes, les personnages parlent et bougent, parfois ils agitent une arme, mais tout ça c'est comme agiter du vent. En réalité, en profondeur, c'est le status quo éternel.

On ne se souviendra jamais d'aucune intrigue hors du commun de Julie Lescaut. Ni d'une saison moins réussie que les autres, ou plus bizarre que d'habitude, ou plus rocambolesque, ou plus romantique d'ailleurs. Rien ne dépasse des lignes. Bien droites, les lignes.

Il est temps aujourd'hui de faire éclater ces lignes et de faire place, même sur TF1, à de la fiction engageante. Il ne faut plus viser le plus grand dénominateur commun, mais parier sur la force dramatique de personnages qui existent avec leurs faiblesses et leur réalité parfois obscure.

Il faut jeter la recette de papa, et inventer la recette de fiston.

03 avril 2013

Game of Thrones, ou l'art de la contrariété

La troisième saison de Game of Thrones vient de commencer en grande pompe (il a presque même complètement éclipsé le retour de Doctor Who), avec un premier épisode dont les médias disent qu'il est "le plus piraté du monde". J'ignore comme sont effectués les calculs, mais on les croit sur parole. L'épisode en lui-même était plutôt moyen (pareil pour Doctor Who d'ailleurs), mais c'est pour moi l'occasion d'analyser la série avec un grille de lecture particulière: l'art de la contrariété.

Les personnages de la série courent tous derrière une chimère: pour les uns, c'est l'honneur, pour les autres, c'est le pouvoir. Même Tyrion Lannister, dont on a pu croire qu'il ne s'intéressait qu'aux plaisirs bien concrets de la chair, s'est abandonné aux jeux de pouvoir et, pire, à l'amour romantique.

Dans cette course insensée, tous les personnages font constamment face à de grosses contrariétés: malgré tous leurs plans, ils n'obtiennent jamais ce qu'ils veulent.

Bien entendu, c'est une des règles de base de la dramaturgie de contrer les plans des héros, pour mieux les mettre en situation de conflit et faire ressortir leur humanité. En effet, c'est sous des circonstances exceptionnellement éprouvantes que l'on reconnaît les vrais héros. En général, toutefois, les efforts finissent par être récompensés et le héros triomphe du mal.

Mais dans Game of Thrones, les scénaristes vont plus loin: tous les personnages, sans exception, et y compris les méchants, ne semblent jamais trouver de répit. Prenons quelques exemples.

1) Tyrion, le nain, est rejeté par son père alors qu'il vient de sauver King's Landing de la ruine.
2) Sansa est rejetée par Joffroy.
3) Jon Snow qui rêve de sauver son honneur dans le Nightwatch se fait capturer par une femme.
4) Joffroy Baratheon, le roi, croit faire une bonne affaire en changeant de reine, mais il se rend compte qu'elle prend des initiatives...
5) Lady Stark est emprisonnée par son propre fils.
6) Stannis Baratheon perd la guerre.
7) Cersei se rend compte que son fils tant aimé est un incapable détesté du peuple.
8) Daenerys Targaryen perd son mari et son enfant (mais elle y gagne au moins ses dragons)
9) Les faux-frères Stark/Greyjoy se font la guerre malgré leur attachement d'enfance.
10) Arya Stak a tout perdu: sa famille, sa ville, son prof d'escrime...

On pourrait continuer longtemps. A l'exception peut-être de Lord Baelish (et de Daenerys, donc) qui tire sont épingle du jeu, tout le monde n'arrête pas de morfler.

C'est très égalitaire comme traitement: méchants comme gentils sont victimes des coups du sort, ce qui permet un attachement étonnant à des personnages a priori imbuvables. On peut furtivement se mettre à la place de Joffroy et comprendre ce qui se passe dans sa tête, ce qui rend sa folie encore plus terrifiante.

Surtout, c'est un procédé hyper efficace pour gérer cette ribambelle interminable de personnages: comment faire pour que le public ne se mêle pas les pinceaux dans tout ce monde? Simple: souffrez AVEC les personnages. Au lieu d'assister de loin à des jeux abstrait de pouvoir, on vit de l'intérieur les souffrances du vil roi et du preux chevalier. On devient les deux. Et du coup, on n'oublie rien.

Il est intéressant de constater que les personnages les plus plats sont finalement ceux qui vivent le moins de conflit: le bras droit de Daenerys (j'en oublie son nom) est un beau gosse très courageux, mais finalement pas d'un grand intérêt. Pareil pour le petit prince Stark paralysé: depuis qu'il s'est échappé de Winterfell, on se fiche pas mal de savoir ce qui lui arrive, il a perdu tout intérêt.

Bref, Game of Thrones, malgré une petite baisse de régime sur ce début de troisième saison (beaucoup d'exposition) reste d'un excellent niveau, et je vous la conseille chaudement.