28 février 2010

Les invincibles et la fiction française

A grand renfort de publicité, Arte lance une nouvelle série humoristique, "Les Invincibles". C'est une adaptation d'une série canadienne, et le pitch raconte ceci: "quatre amis approchant de la trentaine décident de conclure un pacte leur obligeant d'effectuer une rupture simultanée avec leur copine à 21 heures le lendemain."

A priori, les séries françaises, c'est pas vraiment mon truc, surtout quand ça se veut humoristique. A part devant "H" (avec Jamel Debbouze), il y a plus de 10 ans, je n'ai pas rigolé souvent en regardant les chaines françaises.

Mais celle-ci m'intriguait, à cause du casting notamment: Cedric Ben Abdallah est un humoriste vraiment drôle, j'avais envie de le revoir. Et je reconnaissais aussi Jonathan Cohen, rescapé de l'éphémère web-série "Putain De Serie". Deuxième bonne raison: c'est l'adaptation d'une série canadienne, qui sont généralement très drôles, donc le salut est possible...

Le paris est-il réussi?

Et bien, ayant vu le premier épisode (il sera diffusé dans le courant du mois de Mars sur Arte), je suis agréablement surpris. Certes, la série traîne derrière elle une ribambelle de tares franco-françaises dont on se demande quand les créateurs voudront bien se débarrasser, mais - et c'est là le principal - j'ai ri de bon coeur à plusieurs reprises.

Les bons points
Du bon côté de la balance, on peut sans conteste mettre le casting: les acteurs sont excellents et se complètent parfaitement. Quelques stars dans les seconds rôles et quelques inconnus dans les rôles principaux, voilà une recette qui a fait ses preuves dans de nombreuses séries outre-atlantique, et ici aussi, ça marche!

La bande-son est pas mal du tout pour une série française: quelques titres anglo-saxons un peu "vintage" qui collent bien à l'ensemble, malgré un tendance légèrement "publicité pour téléphone portable" dans le choix des chansons. En tout cas, il est clair qu'une bonne partie du budget s'est évaporée en musique, et c'est un choix qui imprime vraiment sa marque (de qualité) sur ce premier épisode. Un petit bémol, néanmoins: la chanson du générique, concoctée par les gars de "La Chanson Du Dimanche" est, à mon avis, complètement ratée.

L'humour. Il est subtil, et trop rare (sur 52 minutes, on ne rit qu'une dizaine de fois), mais il faut reconnaître qu'il fait mouche. Pour une fois que des scénaristes français parviennent à me faire rire, je suis content! Il semblait que la mission n'était si impossible que cela. Evidemment, on est loin des 13 rires/minutes d'une sitcom américaine. Mais "Les Invincibles" n'est pas une sitcom, que cela soit clair. C'est une série plus en finesse, malgré quelques grosses fautes de goût que je décrirai plus loin.

La réalisation n'est ni trop cheap, ni tape à l'oeil, et possède une patte "cinéma français" pas du tout honteuse. Bref, un bon moyen d'adapter un format nord américain sans vendre son âme. A mon avis, un exemple à suivre. Il y a quelques bonnes idées et un bon montage alterné lors de certaines séquences (le décompte avant 21h, par exemple) qui est vraiment prenant.

Les mauvais points
Le format. Ces 52 minutes devaient incontestablement être resserrée en 26 minutes. Le rythme est clairement trop lent, et l'histoire de scinde d'ailleurs naturellement en deux parties (l'avant et l'après "largage de copine") qu'il aurait été plus intelligent de séparer en deux épisodes distincts. C'est une occasion manquée de faire enfin de la fiction française avec un rythme soutenu. Ici, quelques baisses de régime tirent vraiment le plaisir du spectateur vers le bas,; spectateur qui, comme les héros, n'arrête pas de regarder sa montre.

Le côté obscur et dépressif à la française. C'est un mal endémique, mais il me semble que tous les acteurs français ont une tendance naturelle à soupirer, marmonner et à avoir l'air dépressifs. Même quand la situation n'est pas spécialement triste. Et ça, dans une série que l'on présente comme comique, c'est un comble. Bref, il est tant de mettre un peu de joie dans la télévision française. Délivrer ses répliques avec un peu d'entrain, et arrêter de faire des dialogues pour des personnages qui n'arrêtent pas de geindre et râler. Prenons exemple sur un Bourvil, sur un Pierre Richard, qui savaient rester optimistes dans l'adversité, et qui étaient drôles en toutes circonstances!

Le marketing est d'ailleurs ambigu à ce sujet. Il y a des signaux mitigés, et le spectateur se demande tout le temps à quoi s'en tenir. Premièrement, Arte nous présente cette série comme étant une comédie. De fait, le générique semble le confirmer avec une chanson gaie et une typographie fantaisiste. Et puis, un casting rempli d'humoristes semble enfoncer définitivement le clou. On commence à regarder avec l'espoir de se marrer comme une baleine, et là c'est un peu la débandade. La tonalité est clairement plus sombre que prévu: au lieu de rire de tout, la plupart des sujets sont en fait traités gravement (un enterrement sous la pluie, des ruptures douloureuses, une guelle de bois où l'on n'a pas du tout envie de rire) et aucun événement n'est jamais "milké" pour nous faire rire. La principale source d'humour provient donc de répliques cinglantes qui sont certes drôles mais hélas très ponctuelles.

Comme d'habitude en France, certains dialogues sont totalement à côté de la plaque. Le cul entre le drame et le rire n'est vraiment pas le terrain le plus facile pour viser juste, et ça sonne très faux quand, par exemple, une actrice annonce la crise cardiaque de sa grand-mère (Je cite: "C'est mamie, elle a fait une crise cardiaque. Son cerveau a manqué d'oxygène"... au passé composé!? Qui parle comme ça?). Il faudrait choisir son camp: soit on est là pour rire, soit on est là pour pleurer. Mais ce va et vient constant ne produit que des bourdes dans le genre. Attention, je ne dis pas qu'il faut écarte complètement les moments d'émotions, mais les réserver à des moments où leur impact est maximal. Lorsque l'on fait le yoyo entre les deux sans discernement, on obtient de la soupe tiède.

Pour terminer, une remarque sur les quelques séquences en dessins animés. C'est simple: elles sont ratées. Elles sont moches, et pas drôles. Aussi, leur lien avec l'intrigue est vraiment ténu. On voit bien que l'un des personnage est dessinateur, mais ce passe-temps n'est jamais vraiment utilisé dans l'intrigue et ne lui ressemble d'ailleurs pas tellement du point de vue psychologique. Ca tombe un peu à plat. En tout cas, ces séquences n'apportent rien du tout et ralentissent le rythme. A supprimer sans états-d'âme.

Conclusion
Une demi-réussite, mais une réussite tout de même. On aimerait voir le rythme se resserrer et l'humour être mis un peu plus en avant, à la place qu'il mérite, puisque les auteurs ont pris le temps d'écrire des répliques vraiment drôles sans tomber dans les clichés. Ca serait dommage de passer à côté.

Reste les habituels tracas à la françaises. Une envie d'intellectualiser le rire qui me semble vaine... et qui plombe l'ensemble. Etait-ce bien nécéssaire?

Allez, je laisse une chance à l'épisode numéro 2. On croise les doigts.

27 février 2010

Les mauvaises idées

J'étais en train de lire un article sur l'entrepreneuriat (j'ai dans l'idée de lancer ma petite entreprise à moyen terme) quand je tombe sur un passage qui me semble capital. Il est de la plume de Seth Godin, un gourou dans le domaine.

Voici le passage intéressant en V.O.:

Painters, musicians, entrepreneurs, writers, chiropractors, accountants--we all fail far more than we succeed. We fail at closing a sale or playing a note. We fail at an idea for a series of paintings or the theme for a trade show booth.

But we succeed far more often than people who have no ideas at all.

Someone asked me where I get all my good ideas, explaining that it takes him a month or two to come up with one and I seem to have more than that. I asked him how many bad ideas he has every month. He paused and said, "none."

And there, you see, is the problem.

Combien de mauvaises idées avez-vous chaque mois?

C'est super, d'avoir des mauvaises idées! Ca veut dire que l'on se rapproche d'une bonne. Bien sûr, ce qu'il ne dit pas, l'ami Seth, c'est qu'encore faut-il être capable de discerner le bon grain de l'ivraie. C'est ça, en fait, ce que l'on appelle le talent.

22 février 2010

Citation

"Any man who reads too much and uses his own brain too little falls into lazy habits of thinking."
-- Albert Einstein

21 février 2010

Le soufflé est retombé

Ce que l'on appelle parfois la scribosphère, c'est-à-dire l'ensemble des blogs rédigés par des scribes (écrivains, scénaristes, copywriters, et j'en passe), forme une sorte d'organisme vivant. Tous les organes sont reliés, et quand l'un souffre, c'est l'ensemble du corps qui frémit.

Quand j'ai commencé ce blog en 2005, la mode des blogs était en plein boom. La scribosphère s'étendait comme l'univers après le big bang. C'était la joie, et les textes de célébrités comme John August (scénariste de Big Fish) ou de Tony Rossio (scénariste de Shrek) donnaient beaucoup d'espoir à toute la communauté. L'ambiance était vraiment celle de conquérants qui allaient changer le monde.

Bien sûr, Tony Rossio et John August ont réussi. Ils avaient déjà réussi avant. Tony Rossio avait écrit Aladdin, un film que j'ai vu quand j'étais encore à l'école maternelle. Mais ils avaient cet esprit de mentors bienveillants qui, je le pense, ont suscité pas mal de vocations.

Après tout, quand j'ai décidé de me mettre à écrire des scénarios, il y a quelques années, comment pensez-vous que je m'y suis pris? Bien entendu, j'ai tapé "écrire un scénario" dans Google. Et comme les résultats francophones étaient pour le moins maigres (qui se souvient du regretté site Version Finale?), j'ai fait la même démarche en anglais.

Et là, c'était la corne d'abondance, et les articles de Tony Rossio ont été de véritables détonateurs. Ils expliquaient l'art du scénario de manière tellement claire, dévoilaient les coulisses du show-biz avec tellement d'acuité, qu'on avait l'impression d'y être. Je peux le faire! C'était parti, et presque 10 ans plus tard, je suis toujours là, avec le même rêve.

Mais en dix ans, les choses ont changé.

Entre temps, la motivation des mentors s'est entourée d'une certaine amertume. Les questions sont toujours les mêmes: comment je trouve un agent? J'ai une idée géniale, comment la protéger? Quel est le numéro de téléphone de Steven Spielberg. Et les plus malins demandaient aussi le numéro de Jessica Alba.

Les articles sont devenus de moins en moins motivants. Internet n'était certainement plus un club d'initiés. Tout le monde entrait sans frotter les pieds au paillasson. Les conquérants de naguère étaient devenus les quidams, écrivains d'un jour. Les belles idées de mentors se sont enrobé d'une couche amère, celle de la dure vérité: écrire un scénario, c'est une chose, le vendre, c'est une autre affaire.

Une sale affaire.

Revenons en France, où la sauce scribosphère a pris avec quelques années de retard. Même enthousiasme, même success story pour certains. Et au fil des années les réussites n'ont pas été renouvelées. La situation a changé. La crise s'est installée. Aux Etats-Unis, la grève des scénaristes a gelé les positions. En France, pas besoin de grève: il n'y a pas de scénaristes.

Le soufflé est retombé, et quand un blog souffre, c'est comme un cancer: le morosité se propage de proche en proche, et bientôt les vocations s'effritent. J'ai jeté l'éponge comme tant d'autres. Mes confrères ont bien du mal à se nourrir tous les jours avec leur maigre pitance. Scénariste, mon bon monsieur, ce n'est pas un métier. C'est une folie.

A cela, les mentors répliquaient jadis que la ténacité triomphait de tous les obstacles. Peut-être. Parfois. Mais pour combien de temps?

Ceci, chers amis, est un appel. Je n'en peux plus d'être le témoin de cette dégradation. Je vous appelle, amis scribes, pour reformer à nouveau la communauté d'antan. Où sont partis tous les membres de version finale? Où se sont dispersé les apprentis auteurs d'autrefois? Où se cache la naïveté bienveillante? Oui, internet a changé le monde: tout le monde en sait trop, sur tout, et pourtant il ne sait rien. Nous croyons savoir que nous sommes dans une impasse. Qu'il est probablement plus prudent de "se poser", d'arrêter ses élucubrations d'écrivain raté, de trouver un vrai métier... Mais je peux vous assurer d'une chose: les scénaristes de demain sont ceux d'entre nous qui tiendront bon.

Manifestez-vous!

19 février 2010

Les médiocres sont comiques

En analysant plusieurs sitcoms, je me suis rendu compte à quel point les personnages étaient médiocres! Pas dans le sens qu'ils étaient mal écrits ou mal conçus, mais que les personnages eux-mêmes étaient des gens d'esprit médiocre, des gens pathétiques et bourrés de défauts.

Et finalement, c'est logique: les médiocres sont comiques.

Les théoriciens de la dramaturgie ont depuis longtemps associé la comédie aux limitations de l'être humain, contrairement à la tragédie qui en étudie les aspects les plus nobles. Un personnage noble (au sens héroïque du terme) n'est pas drôle.

Dans Blanche-Neige et les 7 nains, ce sont les nains qui font rire, pas le prince charmant. En plus d'être difformes, ils ont des défauts: grincheux, dormeur, simplet, etc... On peut difficilement les accabler plus!

Le spectateur s'identifie facilement à ces gens médiocres, puisque dans le monde réel, la médiocrité est majoritaire. La recette d'une personnage comique est donc assez simple: imaginez quelqu'un qui a un objectif, sincère et honnête, mais qui ne parvient pas à l'atteindre à cause de ses défauts internes. Le mot clé, c'est "un objectif sincère". Evidemment, la médiocrité du personnage ne se révèle que dans les situations vraisemblables. Si le personnage est plongé dans un monde irréel, ou trop éloigné des conventions, sa médiocrité ne ressortira pas aussi nettement.

Prenons quelques exemples:

Dans Friends, Chandler Bing, célibataire endurci, aimerait bien trouver une petite copine valable. Mais sa manie de toujours faire des mauvais jeux de mots, sa timidité maladive, ruine tous ses efforts, et comble de l'ironie, il finit toujours par se remettre avec Janice, la plus médiocre de ses ex-copines.

Dans How I Met Your Mother, Barney Stinson aimerait bien sortir avec la jolie Robin, mais son obsession pathologique de devoir draguer toutes les filles, peu importe la manière, l'empêche d'avoir une relation sérieuse avec elle. Et cela, même si ça le ronge de l'intérieur, il n'y peut rien: son défaut est plus fort que sa volonté.

Dans La Vie De Famille, Steve Urkel veut draguer sa jolie voisine, mais son look improbable, ses gaffes, sa maladresse, l'en empêchent. Heureusement, il ne perd jamais espoir. C'est évidemment sa persévérance dans l'adversité qui fait partie du comique.

J'ai pris ici des exemples de personnages secondaires, mais qu'en est-il des protagonistes? Ne doit-on pas attendre de leur part une certaine dose d'héroïsme? Ils sont, après tout, les garants de la moralité. Tintin, Superman, Ulysse, n'ont pas de défauts. Mais ils ne sont pas drôle. La comédie est flexible à ce niveau-là: même les héros ont le droit (et même le devoir!) d'être médiocres!

Dans Arrested Development, c'est très particulier: on présente le héros (Michael Bluth) en disant explicitement de lui que "c'est un homme bien". Mais évidemment, tout au long de la série, il va faire preuve de lâcheté et d'hypocrisie. Il y a d'ailleurs un bon nombre de gags qui tournent autour de cette contradiction.

Prenons quelques protagonistes comiques:

Ted Mosby, dans How I met Your Mother, est le gendre idéal. Architecte, propre sur lui, mentalement sain, et n'ayant aucun problème particulier pour trouver une petite copine... Sauf que voilà, quand il trouve LA bonne, il ne peut pas s'empêcher de la demander en mariage! Son obsession pour une vie bien rangée, avec femme, enfants, et maison à la campagne, l'entraîne à commettre des impairs.

Raymond, dans Tout le Monde Aime Raymond, est un protagoniste sympathique, mais il est hypocondriaque et s'occupe à peine de sa femme et de ses enfants. Il est complètement soumis à ses parents... pas tellement héroïque, ça!

Liz Lemon, de 30 Rock, a une vie professionnelle épanouie. Mais sa perfection est criblée de défauts: l'incapacité à se trouver un mec, c'est une "geekette", etc.

Bref, comme on peut le voir, tous les personnages de sitcom sont médiocres, et c'est ce qui explique pourquoi ils sont comiques. Alors, allez-y, n'ayez pas peur, imaginez les plus médiocres et pathétiques personnages que vous puissiez trouver. Pour vous aider, je vous donne un indice: inspirez-vous de vous!

18 février 2010

Arrested Development : le pilote

Après les généralités sur la série Arrested Development, je m'arrête aujourd'hui sur son épisode pilote. Mon objectif est de détecter, trier et classer les principaux leviers de l'humour que les auteurs ont utilisé dans Arrested Development.

Introduction: à la rencontre de la famille Bluth
La séquence d'introduction dure 2 minutes 40, ce qui est sensiblement plus long que toutes les séquences d'introduction habituelles. La raison de cette durée est simple: chaque personnage ne se limite pas à un seul trait caricatural, mais à un petit tableau historique et psychologique assez poussé. Dés le départ, le ton est donné: ce sont des personnages multi-facettes.

Toutefois, malgré ce rythme plus lent, le fameux ratio de 4,5 rires à la minute est respecté. Chaque présentation de personnage est ponctué d'au moins deux gags.

Premier sujet évoqué: les homosexuels. Ils sont en train de manifester sur un bateau voisin, et cela met Lucille Bluth en colère. Mais les gags ne reposent pas sur la moquerie des homosexuels, en fait, le rire provient de la réaction conservatrice de Lucille face à ses gens "si dramatiques et flaboyants!". C'est une façon subtile de nous montrer le mode de pensée de Lucille Bluth: c'est une vieille peau de vache.

Arrive ensuite Lindsay Bluth, la fille de Lucille, une jolie trentenaire blonde et vaine. Sa première réplique esquisse le personnage:

LINDSAY
Voyons, maman! Tous les homosexuels ne sont pas forcément flamboyants.

Lindsay regarde un homosexuel d'un peu plus près.

LINDSAY
Oh mon dieu, j'ai exactement la même blouse!

LUCILLE
Ca lui va mieux.

On comprend que Lindsay est une fashion-victim un peu idiote, mais ça ne s'arrête pas là. Petit flashback sur sa vie: elle a épousé le psychologue Tobias Funke "dans un geste de défiance." Quand on voit sa photo, on comprend: c'est un loser.

Tobias et Lindsay sont réputés dans tout Boston pour leurs diners de charité. Et là on trouve un premier "gimmick" qui sera utilisé abondamment tout au long de la série: le contraste entre ce qui est dit et ce qui est fait. Juste devant un panneau "Stop à la famine", Lindsay refuse les hors-d'oeuvre du serveur en s'exclamant: "Non merci, j'ai trop mangé!"

Fin du flashback, retour sur le bateau, où l'on rencontre le frère aîné de la famille, Gob. C'est une magicien amateur qui prend sa passion très à coeur.

EXT. PONT DU BATEAU - JOUR

Gob prépare son spectacle en vérifiant les parois d'une boîte magique.

MICHAEL
C'est donc ça le fameux tour de passe-passe, hein?

GOB
"Illusion", Michael. Une passe, c'est ce que fait une pute pour de l'argent...

Quelques jeunes enfants ayant entendu la conversation sont en état de choc.

GOB
(avec un grand sourire)
Ou de la cocaïne.

On présente un peu mieux l'histoire de Gob: il vient de lancer une association de magiciens. Nouveau levier de l'humour: les illustrations. L'image se fige et on voit une photo en insert, où Gob précède une bande de magiciens ringards avec la pancarte: "Nous voulons être pris au sérieux". Là encore, l'écart entre les ambitions et la réalité ne peut que prêter à rire.

Pour terminer, nous rencontrons le cadet, Buster. Dés la première image, on capte le personnage: un maladroit timide (il a renversé son verre et se lèche les doigts maladroitement). Le narrateur nous raconte que Buster a fait de longues études et qu'il a étudié les sociétés tribales (là aussi, une illustration: il tape sur un tambour indien avec l'entrain d'un enfant).

La suite de l'échange se passe de commentaire:

BUSTER
En ce moment, j'étudie la cartographie, la découverte de territoires nouveaux!

MICHAEL
Cool... Mais est-ce que tout n'a pas déjà été découvert par, genre heu... Magellan, Cortez, tu sais...

BUSTER
(mal à l'aise)
Oui... oui... Ces types ont fait du bon boulot. Mais il y a toujours... Tu sais...

Buster est vraiment mal dans ses godasses. Apparaît alors sa maman Lucille qui le sauve:

LUCILLE
Ca ne fait pas de mal de revérifier!

Et après la présentation de cette brochette de loser, Michael a le sourire. Le narrateur nous explique pourquoi il est si content: il va bientôt partir loin, pour ne plus jamais les revoir!

Dans cette longue séquence d'intro, on peut déjà voir des méthodes se mettre en place:
1) les illustrations en insert viennent contraster avec ce qui vient d'être dit
2) les personnages ont des ambitions ridicules (l'apprenti magicien, le cartographe en herbe)
3) les personnages sont hypocrites (Michael gentil avec tout le monde alors qu'il les déteste, Lindsay la fausse charitable)

Le premier acte
Après le générique, la série reprendre en flashback, quelques heures avant les événements qui ont eu lieu sur le bateau. Les premières répliques définissent en quelque sorte le thème général de la série:

INT. MAISON DE LA FAMILLE BLUTH - MATIN

Michael se réveille et parle à son fils George-Michael.

MICHAEL
Qu'est-ce qui vient en premier lieu? Quelle est la chose qui est plus importante que tout le reste?

GEORGE-MICHAEL
Le petit déjeuner!

MICHAEL
La famille!

GEORGE-MICHAEL
Ah... Oui, la famille. Je pensais que tu parlais des trucs qu'on mange.

Et effectivement, quand on fait partie de la famille Bluth, c'est loin d'être une évidence, la famille.

Michael vit dans le grenier d'une maison témoin de la Bluth Company, la société d'immobilier familiale. C'est un sacrifice qu'il a fait, non pas pour la famille, mais en espérant être nommé directeur de l'entreprise. Rien n'est gratuit dans le monde d'Arrested Development.

Un peu plus tard, nouvel exemple d'hypocrisie:

INT. MAISON TEMOIN - JOUR

Michael et son fils s'apprêtent à sortir.

GEORGE-MICHAEL
Tu dis que mes tantes et mes oncles sont des pourris-gâtés.

MICHAEL
C'est vrai, mais ça ne nous regarde pas. Tu sais, nous on a un peu plus de dignité et de respect de toi-même quand tu apprendras que...

Soudain un couple de client potentiels entre dans la maison témoin.

MICHAEL
(haussant la voix)
... cette maison possède tout ce que l'on cherche!

GEORGE-MICHAEL
(il entre dans le jeu)
Et plus! On peut l'acheter, papa, dis, on peut l'acheter?

MICHAEL
On ferait mieux de se dépêcher car elle va se vendre comme des petits pains. Vite! Vite!

Ce genre de scène hypocrite n'est qu'un avant-goût de ce dont sont capables les Bluth.

Je passe quelques passages suivants:
- Gob vole 20 dollars à George-Michael en lui faisant un tour de passe-passe, heu, une illusion.
- Lindsay séjourne dans un hôtel de luxe aux frais de l'entreprise.

Ce que l'on peut retenir de ces passages un peu moins drôles, c'est l'utilisation (déjà!) de running-gags. Cela deviendra une habitude, voire une manie, au fil des épisodes. C'est presque du recyclage. Lorsque l'on revoit Lindsay, elle parle d'un autre de ces fameux galas de charité, et on a droit à un nouveau flash-back, variation sur le même thème. Plus tard, on retrouve Buster en train de faire du tam-tam en plein milieu du salon.

A la moitié de l'épisode, on découvre enfin le dernier personnage dans ce puzzle: Maeby Funky, la fille de Lindsay et Tobias, qui en plus d'être la cousine de George-Michael, est très mignonne et ne le laisse pas indifférent. Mais il ne peut rien dire: c'est sa cousine, et leur amour est impossible. Voilà une nouvelle source de gags incessants. La première chose que propose Maeby à son cousin, c'est de faire semblant qu'ils sortent ensemble pour "donner une bonne leçon" à leurs parents. George-Michael est très mal à l'aise.

Finalement, retour sur le bateau, où l'on apprendre que, malgré ses nombreux sacrifices, Michael Bluth ne sera pas nommé directeur de l'entreprise familiale. C'est Lucille qui l'emporte. Le ton change.

Le deuxième acte
Michael est très déçu, mais pas le temps de s'apitoyer sur son sort: la police débarque sur le bateau pour emmener le patriarche (George Senior, le mari de Lucille) en prison: c'est un escroc. Cette partie est dénuée de réels gags: c'est la confusion, tout le monde s'enfuit. A la limite le rire provient de la réaction de George Senior, très professionnel: "Videz les comptes en banques! Il me faut un téléphone portable!"

Finalement, dans la débâcle, les membres de la famille se rendent à l'évidence; c'est Michael Bluth qui va devoir gérer l'entreprise pendant que papa est en prison. Mais les négociations sont dures.

INT. MAISON DES BLUTH - JOUR

Toute la famille est installée dans les sofas, autour de Michael.

GOB
On a besoin de toi, Michael.

MICHAEL
Désolé, mais c'est trop tard. J'ai trouvé un nouveau job à Phoenix.

Pas de réaction.

MICHAEL
Un job. Un truc auquel tu te présente et on te paie pour faire des trucs... Laissez tomber, je veux pas vous ruiner la surprise.

Michael se lève de sa chaise.

MICHAEL
Allez, sans rancune, adios, sayonara, on se retrouve quand le premier parent meurt.

LUCILLE
Et bien je préfère être morte en Californie que vivante en Arizona!

Rires dans l'assemblée.

TOBIAS
Touché!

Le troisième acte
Finalement, en allant voir son père en prison, Michael se rend compte que ce dernier l'a protégé en ne le nommant pas directeur. Il n'est pas complice de la fraude. Touché par cette attention, Michael accepte finalement de reprendre les rennes de l'entreprise.

Pour assainir les finances de la société, il décide de réunir tout le monde dans la maison témoin... Où George-Michael devra partager sa chambre avec... sa jolie cousine Maeby!

Dans le prochain épisode de Arrested Development
A la fin de chaque épisode, une petite séquence développe les intrigues probables pour le prochain épisode... Sauf qu'elle se seront jamais vraiment exploitées! Une façon comique d'explorer les possibles sans devoir s'y engager.

Conclusion
Dans cet épisode pilote, nous avons donc découvert que les principaux leviers de l'humour étaient les suivants:
- l'hypocrisie
- le manque d'aisance face à l'amour
- les ambitions irréalistes
- les running gags
- les variations sur le même thème

Et c'est sans compter les innombrables jeux de mots qui n'ont pas vraiment d'autre mécanique que la langue.

17 février 2010

Développement arrêté

Au fil du temps, je suis devenu plus un analyste de la dramaturgie qu'un créateur. C'est ce que j'aurais tendance à appeler l'effet Lavandier. A force de vouloir devenir le meilleur, on finit par se comparer aux plus grands, et l'effet est immédiat: on s'arrête.

Mon développement est arrêté, même pour mon projet de sitcom qui était pourtant si bien lancé.

La raison est simple: j'ai trouvé le Saint-Graal des sitcoms: Arrested Development. Si vous êtes un peu hype et trendy, vous connaissez sûrement. C'est une série américaine qui a été diffusée sur la Fox entre 2003 et 2006, et qui a remporté un paquet d'Emmy et de Golden Globes. Faute de succès, elle a été arrêtée au milieu de la troisième saison.

Ce destin à la Kurt Cobain lui vaut aujourd'hui le titre de série culte, et un paquet de fans jurent que c'est la meilleur série du monde. Je n'ai pas fait partie de la première vague de fans, mais en découvrant cette série aujourd'hui, je peux presque leur donner raison... En tout cas, après l'avoir regardée de bout en bout, je suis sûr que mon projet de sitcom n'est plus à la hauteur et qu'il faut recommencer sur de nouvelles bases.

Quel est donc la recette d'Arrested Development?

1. Le politiquement incorrect
Arrested Development, c'est l'histoire d'une famille riche, qui vit des rentes de l'entreprise familiale depuis des générations. Mais cette situation un peu trop facile dégénère quand le patriarche est jeté en prison pour fraude et escroquerie. Tous les vilains secrets de famille sont dévoilé, et c'est pas beau à voir: tout le monde est méchant, hypocrite, égoïste. Dans le premier épisode, George-Michael, l'adolescent modèle, demande à son père ce qui est le plus important. "La famille", lui répond son paternel... Mais leur famille est une vraie catastrophe.

Le politiquement incorrect va beaucoup plus loin. Il y est question de relations incestueuses (à plusieurs reprises!) d'une relation avec une attardée mentale (hilarante Charlize Theron), de commerce avec Saddam Hussein, et j'en passe.

2. Personnages très drôles
Les personnages sont construits selon leur fonction dans la psyché du héros (Michael Bluth, interprété par Jason Bateman): moi, surmoi, etc. Un très bon article (Arrested Development: A Freudian Analysis) détaille toute la série du point de vue de la psychanalyse, et c'est assez frappant.

Au-delà de l'aspect psychologique, les personnages sont très bien observés. Gagne-petit, minables, pathétiques, ils représentent le pire qui sommeille en chacun de nous. Et c'est bien connu: c'est la partie la plus drôle de l'être humain. Même le héros, qui est censé être parfait, redresseur des torts de toute la famille, est un exemple d'hypocrisie et d'égoïsme. C'est d'ailleurs un levier pour de nombreuses situations comiques.

3. Le casting de rêve
On s'éloigne de la dramaturgie ici, mais il faut tout de même noter que les acteurs habitent leurs personnages plus qu'aucun scénariste ne pourrait en rêver. David Cross, qui interprète le loser Tobias Funke, est plus vrai que nature. Will Arnett, alias GOB, est hilarant en magicien raté, avec ses chorégraphie sortie directement d'un numéro du Grand Cabaret de PAtrick Sébastien... Michael Cera, qui interprète le fils George-Michael, commence a avoir une jolie petite carrière derrière lui, preuve s'il en fallait de son talent.

4. La voix-off
Ron Howard (!) est le narrateur de la sitcom, et son apport est loin d'être anecdotique; il est le rythme, le commentateur sarcastique, le critique omniscient (il nous indique quand les personnages mentent, quand ils se trompent). Le fait de donner son avis sur une situation est un élément important du rire (voir, à ce sujet, mon analyse de How I met Your Mother).

5. L'auto-référence
Un aspect particulier de la série est sa manie de systématiquement s'auto-référencer. Manquer un épisode, et ce sont les trois-quarts des blagues qui s'écroulent. Arrested Development est comme un château de carte minutieusement construit, et chaque carte est dépendante de toutes les autres.

Cela se traduit par un recours parfois abusif au running gag (un exemple: la façon très personnelle qu'ont les membres de la famille d'imiter le poulet).

Cela change également la dynamique de la sitcom: ce n'est pas une série que l'on regarde, mais un feuilleton. Chaque personnage, même secondaire, apparaît et réapparaît, même si c'est plus l'unique raison de faire plaisir aux téléspectateurs fidèles... sauf que la quasi entièreté des gags sont construits de cette manière.

Cela a deux conséquences:
- Les premiers épisodes de la saison 1 sont les moins drôles... Ils sont péniblement dans l'exposition constante, avec quelques bonnes répliques, certes, mais pas vraiment d'objectif.
- La drôlerie de la série est une fonction exponentielle du temps! Plus on avance dans la série, plus les références s'accumulent (et se multiplient, s'entrecroisent, parfois se perdent) et servent de terreau à d'autres gags, qui serviront eux-mêmes de matière première plus tard.

Hélas, Arrested Development est une fonction exponentielle qui se termine en asymptote: le point où plus aucun développement n'est possible. A force de ressasser les mêmes références (Tobias Funke qui veut faire partie du Blue Man Group, par exemple), la lassitude s'installe, et la chaîne Fox a coupé court à une 4ème saison.

Un film est prévu pour 2011, d'après les rumeurs.

Que retenir de toute cette analyse, et pourquoi suis-je, comme je l'annonçais en introduction de cet article, tellement impressionné par cette série?

Premièrement, le format traditionnel des sitcoms (multicaméras, rires enregistrés, décors en studio, pré-générique, sérialisme, etc.) explose totalement, et c'est une réussite. Le rire ne souffre pas de ces changements (alors que d'autres expériences du même style s'étaient révélées moins fructueuses).

Deuxièmement, les sujets peuvent être très complexes, ambigus, avec des personnages moyennement sympathiques, et rester drôles. C'est une bonne nouvelle.

Troisièmement, je suis fan de Michael Cera et Jason Bateman depuis longtemps. Arrested Development n'a fait que renforcer la bonne impression qu'ils me faisaient!