17 février 2010

Développement arrêté

Au fil du temps, je suis devenu plus un analyste de la dramaturgie qu'un créateur. C'est ce que j'aurais tendance à appeler l'effet Lavandier. A force de vouloir devenir le meilleur, on finit par se comparer aux plus grands, et l'effet est immédiat: on s'arrête.

Mon développement est arrêté, même pour mon projet de sitcom qui était pourtant si bien lancé.

La raison est simple: j'ai trouvé le Saint-Graal des sitcoms: Arrested Development. Si vous êtes un peu hype et trendy, vous connaissez sûrement. C'est une série américaine qui a été diffusée sur la Fox entre 2003 et 2006, et qui a remporté un paquet d'Emmy et de Golden Globes. Faute de succès, elle a été arrêtée au milieu de la troisième saison.

Ce destin à la Kurt Cobain lui vaut aujourd'hui le titre de série culte, et un paquet de fans jurent que c'est la meilleur série du monde. Je n'ai pas fait partie de la première vague de fans, mais en découvrant cette série aujourd'hui, je peux presque leur donner raison... En tout cas, après l'avoir regardée de bout en bout, je suis sûr que mon projet de sitcom n'est plus à la hauteur et qu'il faut recommencer sur de nouvelles bases.

Quel est donc la recette d'Arrested Development?

1. Le politiquement incorrect
Arrested Development, c'est l'histoire d'une famille riche, qui vit des rentes de l'entreprise familiale depuis des générations. Mais cette situation un peu trop facile dégénère quand le patriarche est jeté en prison pour fraude et escroquerie. Tous les vilains secrets de famille sont dévoilé, et c'est pas beau à voir: tout le monde est méchant, hypocrite, égoïste. Dans le premier épisode, George-Michael, l'adolescent modèle, demande à son père ce qui est le plus important. "La famille", lui répond son paternel... Mais leur famille est une vraie catastrophe.

Le politiquement incorrect va beaucoup plus loin. Il y est question de relations incestueuses (à plusieurs reprises!) d'une relation avec une attardée mentale (hilarante Charlize Theron), de commerce avec Saddam Hussein, et j'en passe.

2. Personnages très drôles
Les personnages sont construits selon leur fonction dans la psyché du héros (Michael Bluth, interprété par Jason Bateman): moi, surmoi, etc. Un très bon article (Arrested Development: A Freudian Analysis) détaille toute la série du point de vue de la psychanalyse, et c'est assez frappant.

Au-delà de l'aspect psychologique, les personnages sont très bien observés. Gagne-petit, minables, pathétiques, ils représentent le pire qui sommeille en chacun de nous. Et c'est bien connu: c'est la partie la plus drôle de l'être humain. Même le héros, qui est censé être parfait, redresseur des torts de toute la famille, est un exemple d'hypocrisie et d'égoïsme. C'est d'ailleurs un levier pour de nombreuses situations comiques.

3. Le casting de rêve
On s'éloigne de la dramaturgie ici, mais il faut tout de même noter que les acteurs habitent leurs personnages plus qu'aucun scénariste ne pourrait en rêver. David Cross, qui interprète le loser Tobias Funke, est plus vrai que nature. Will Arnett, alias GOB, est hilarant en magicien raté, avec ses chorégraphie sortie directement d'un numéro du Grand Cabaret de PAtrick Sébastien... Michael Cera, qui interprète le fils George-Michael, commence a avoir une jolie petite carrière derrière lui, preuve s'il en fallait de son talent.

4. La voix-off
Ron Howard (!) est le narrateur de la sitcom, et son apport est loin d'être anecdotique; il est le rythme, le commentateur sarcastique, le critique omniscient (il nous indique quand les personnages mentent, quand ils se trompent). Le fait de donner son avis sur une situation est un élément important du rire (voir, à ce sujet, mon analyse de How I met Your Mother).

5. L'auto-référence
Un aspect particulier de la série est sa manie de systématiquement s'auto-référencer. Manquer un épisode, et ce sont les trois-quarts des blagues qui s'écroulent. Arrested Development est comme un château de carte minutieusement construit, et chaque carte est dépendante de toutes les autres.

Cela se traduit par un recours parfois abusif au running gag (un exemple: la façon très personnelle qu'ont les membres de la famille d'imiter le poulet).

Cela change également la dynamique de la sitcom: ce n'est pas une série que l'on regarde, mais un feuilleton. Chaque personnage, même secondaire, apparaît et réapparaît, même si c'est plus l'unique raison de faire plaisir aux téléspectateurs fidèles... sauf que la quasi entièreté des gags sont construits de cette manière.

Cela a deux conséquences:
- Les premiers épisodes de la saison 1 sont les moins drôles... Ils sont péniblement dans l'exposition constante, avec quelques bonnes répliques, certes, mais pas vraiment d'objectif.
- La drôlerie de la série est une fonction exponentielle du temps! Plus on avance dans la série, plus les références s'accumulent (et se multiplient, s'entrecroisent, parfois se perdent) et servent de terreau à d'autres gags, qui serviront eux-mêmes de matière première plus tard.

Hélas, Arrested Development est une fonction exponentielle qui se termine en asymptote: le point où plus aucun développement n'est possible. A force de ressasser les mêmes références (Tobias Funke qui veut faire partie du Blue Man Group, par exemple), la lassitude s'installe, et la chaîne Fox a coupé court à une 4ème saison.

Un film est prévu pour 2011, d'après les rumeurs.

Que retenir de toute cette analyse, et pourquoi suis-je, comme je l'annonçais en introduction de cet article, tellement impressionné par cette série?

Premièrement, le format traditionnel des sitcoms (multicaméras, rires enregistrés, décors en studio, pré-générique, sérialisme, etc.) explose totalement, et c'est une réussite. Le rire ne souffre pas de ces changements (alors que d'autres expériences du même style s'étaient révélées moins fructueuses).

Deuxièmement, les sujets peuvent être très complexes, ambigus, avec des personnages moyennement sympathiques, et rester drôles. C'est une bonne nouvelle.

Troisièmement, je suis fan de Michael Cera et Jason Bateman depuis longtemps. Arrested Development n'a fait que renforcer la bonne impression qu'ils me faisaient!

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