Après les généralités sur la série Arrested Development, je m'arrête aujourd'hui sur son épisode pilote. Mon objectif est de détecter, trier et classer les principaux leviers de l'humour que les auteurs ont utilisé dans Arrested Development.
Introduction: à la rencontre de la famille Bluth
La séquence d'introduction dure 2 minutes 40, ce qui est sensiblement plus long que toutes les séquences d'introduction habituelles. La raison de cette durée est simple: chaque personnage ne se limite pas à un seul trait caricatural, mais à un petit tableau historique et psychologique assez poussé. Dés le départ, le ton est donné: ce sont des personnages multi-facettes.
Toutefois, malgré ce rythme plus lent, le fameux ratio de 4,5 rires à la minute est respecté. Chaque présentation de personnage est ponctué d'au moins deux gags.
Premier sujet évoqué: les homosexuels. Ils sont en train de manifester sur un bateau voisin, et cela met Lucille Bluth en colère. Mais les gags ne reposent pas sur la moquerie des homosexuels, en fait, le rire provient de la réaction conservatrice de Lucille face à ses gens "si dramatiques et flaboyants!". C'est une façon subtile de nous montrer le mode de pensée de Lucille Bluth: c'est une vieille peau de vache.
Arrive ensuite Lindsay Bluth, la fille de Lucille, une jolie trentenaire blonde et vaine. Sa première réplique esquisse le personnage:
LINDSAY
Voyons, maman! Tous les homosexuels ne sont pas forcément flamboyants.
Lindsay regarde un homosexuel d'un peu plus près.
LINDSAY
Oh mon dieu, j'ai exactement la même blouse!
LUCILLE
Ca lui va mieux.
On comprend que Lindsay est une fashion-victim un peu idiote, mais ça ne s'arrête pas là. Petit flashback sur sa vie: elle a épousé le psychologue Tobias Funke "dans un geste de défiance." Quand on voit sa photo, on comprend: c'est un loser.
Tobias et Lindsay sont réputés dans tout Boston pour leurs diners de charité. Et là on trouve un premier "gimmick" qui sera utilisé abondamment tout au long de la série: le contraste entre ce qui est dit et ce qui est fait. Juste devant un panneau "Stop à la famine", Lindsay refuse les hors-d'oeuvre du serveur en s'exclamant: "Non merci, j'ai trop mangé!"
Fin du flashback, retour sur le bateau, où l'on rencontre le frère aîné de la famille, Gob. C'est une magicien amateur qui prend sa passion très à coeur.
EXT. PONT DU BATEAU - JOUR
Gob prépare son spectacle en vérifiant les parois d'une boîte magique.
MICHAEL
C'est donc ça le fameux tour de passe-passe, hein?
GOB
"Illusion", Michael. Une passe, c'est ce que fait une pute pour de l'argent...
Quelques jeunes enfants ayant entendu la conversation sont en état de choc.
GOB
(avec un grand sourire)
Ou de la cocaïne.
On présente un peu mieux l'histoire de Gob: il vient de lancer une association de magiciens. Nouveau levier de l'humour: les illustrations. L'image se fige et on voit une photo en insert, où Gob précède une bande de magiciens ringards avec la pancarte: "Nous voulons être pris au sérieux". Là encore, l'écart entre les ambitions et la réalité ne peut que prêter à rire.
Pour terminer, nous rencontrons le cadet, Buster. Dés la première image, on capte le personnage: un maladroit timide (il a renversé son verre et se lèche les doigts maladroitement). Le narrateur nous raconte que Buster a fait de longues études et qu'il a étudié les sociétés tribales (là aussi, une illustration: il tape sur un tambour indien avec l'entrain d'un enfant).
La suite de l'échange se passe de commentaire:
BUSTER
En ce moment, j'étudie la cartographie, la découverte de territoires nouveaux!
MICHAEL
Cool... Mais est-ce que tout n'a pas déjà été découvert par, genre heu... Magellan, Cortez, tu sais...
BUSTER
(mal à l'aise)
Oui... oui... Ces types ont fait du bon boulot. Mais il y a toujours... Tu sais...
Buster est vraiment mal dans ses godasses. Apparaît alors sa maman Lucille qui le sauve:
LUCILLE
Ca ne fait pas de mal de revérifier!
Et après la présentation de cette brochette de loser, Michael a le sourire. Le narrateur nous explique pourquoi il est si content: il va bientôt partir loin, pour ne plus jamais les revoir!
Dans cette longue séquence d'intro, on peut déjà voir des méthodes se mettre en place:
1) les illustrations en insert viennent contraster avec ce qui vient d'être dit
2) les personnages ont des ambitions ridicules (l'apprenti magicien, le cartographe en herbe)
3) les personnages sont hypocrites (Michael gentil avec tout le monde alors qu'il les déteste, Lindsay la fausse charitable)
Le premier acte
Après le générique, la série reprendre en flashback, quelques heures avant les événements qui ont eu lieu sur le bateau. Les premières répliques définissent en quelque sorte le thème général de la série:
INT. MAISON DE LA FAMILLE BLUTH - MATIN
Michael se réveille et parle à son fils George-Michael.
MICHAEL
Qu'est-ce qui vient en premier lieu? Quelle est la chose qui est plus importante que tout le reste?
GEORGE-MICHAEL
Le petit déjeuner!
MICHAEL
La famille!
GEORGE-MICHAEL
Ah... Oui, la famille. Je pensais que tu parlais des trucs qu'on mange.
Et effectivement, quand on fait partie de la famille Bluth, c'est loin d'être une évidence, la famille.
Michael vit dans le grenier d'une maison témoin de la Bluth Company, la société d'immobilier familiale. C'est un sacrifice qu'il a fait, non pas pour la famille, mais en espérant être nommé directeur de l'entreprise. Rien n'est gratuit dans le monde d'Arrested Development.
Un peu plus tard, nouvel exemple d'hypocrisie:
INT. MAISON TEMOIN - JOUR
Michael et son fils s'apprêtent à sortir.
GEORGE-MICHAEL
Tu dis que mes tantes et mes oncles sont des pourris-gâtés.
MICHAEL
C'est vrai, mais ça ne nous regarde pas. Tu sais, nous on a un peu plus de dignité et de respect de toi-même quand tu apprendras que...
Soudain un couple de client potentiels entre dans la maison témoin.
MICHAEL
(haussant la voix)
... cette maison possède tout ce que l'on cherche!
GEORGE-MICHAEL
(il entre dans le jeu)
Et plus! On peut l'acheter, papa, dis, on peut l'acheter?
MICHAEL
On ferait mieux de se dépêcher car elle va se vendre comme des petits pains. Vite! Vite!
Ce genre de scène hypocrite n'est qu'un avant-goût de ce dont sont capables les Bluth.
Je passe quelques passages suivants:
- Gob vole 20 dollars à George-Michael en lui faisant un tour de passe-passe, heu, une illusion.
- Lindsay séjourne dans un hôtel de luxe aux frais de l'entreprise.
Ce que l'on peut retenir de ces passages un peu moins drôles, c'est l'utilisation (déjà!) de running-gags. Cela deviendra une habitude, voire une manie, au fil des épisodes. C'est presque du recyclage. Lorsque l'on revoit Lindsay, elle parle d'un autre de ces fameux galas de charité, et on a droit à un nouveau flash-back, variation sur le même thème. Plus tard, on retrouve Buster en train de faire du tam-tam en plein milieu du salon.
A la moitié de l'épisode, on découvre enfin le dernier personnage dans ce puzzle: Maeby Funky, la fille de Lindsay et Tobias, qui en plus d'être la cousine de George-Michael, est très mignonne et ne le laisse pas indifférent. Mais il ne peut rien dire: c'est sa cousine, et leur amour est impossible. Voilà une nouvelle source de gags incessants. La première chose que propose Maeby à son cousin, c'est de faire semblant qu'ils sortent ensemble pour "donner une bonne leçon" à leurs parents. George-Michael est très mal à l'aise.
Finalement, retour sur le bateau, où l'on apprendre que, malgré ses nombreux sacrifices, Michael Bluth ne sera pas nommé directeur de l'entreprise familiale. C'est Lucille qui l'emporte. Le ton change.
Le deuxième acte
Michael est très déçu, mais pas le temps de s'apitoyer sur son sort: la police débarque sur le bateau pour emmener le patriarche (George Senior, le mari de Lucille) en prison: c'est un escroc. Cette partie est dénuée de réels gags: c'est la confusion, tout le monde s'enfuit. A la limite le rire provient de la réaction de George Senior, très professionnel: "Videz les comptes en banques! Il me faut un téléphone portable!"
Finalement, dans la débâcle, les membres de la famille se rendent à l'évidence; c'est Michael Bluth qui va devoir gérer l'entreprise pendant que papa est en prison. Mais les négociations sont dures.
INT. MAISON DES BLUTH - JOUR
Toute la famille est installée dans les sofas, autour de Michael.
GOB
On a besoin de toi, Michael.
MICHAEL
Désolé, mais c'est trop tard. J'ai trouvé un nouveau job à Phoenix.
Pas de réaction.
MICHAEL
Un job. Un truc auquel tu te présente et on te paie pour faire des trucs... Laissez tomber, je veux pas vous ruiner la surprise.
Michael se lève de sa chaise.
MICHAEL
Allez, sans rancune, adios, sayonara, on se retrouve quand le premier parent meurt.
LUCILLE
Et bien je préfère être morte en Californie que vivante en Arizona!
Rires dans l'assemblée.
TOBIAS
Touché!
Le troisième acte
Finalement, en allant voir son père en prison, Michael se rend compte que ce dernier l'a protégé en ne le nommant pas directeur. Il n'est pas complice de la fraude. Touché par cette attention, Michael accepte finalement de reprendre les rennes de l'entreprise.
Pour assainir les finances de la société, il décide de réunir tout le monde dans la maison témoin... Où George-Michael devra partager sa chambre avec... sa jolie cousine Maeby!
Dans le prochain épisode de Arrested Development
A la fin de chaque épisode, une petite séquence développe les intrigues probables pour le prochain épisode... Sauf qu'elle se seront jamais vraiment exploitées! Une façon comique d'explorer les possibles sans devoir s'y engager.
Conclusion
Dans cet épisode pilote, nous avons donc découvert que les principaux leviers de l'humour étaient les suivants:
- l'hypocrisie
- le manque d'aisance face à l'amour
- les ambitions irréalistes
- les running gags
- les variations sur le même thème
Et c'est sans compter les innombrables jeux de mots qui n'ont pas vraiment d'autre mécanique que la langue.
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