08 mai 2012

Le thème

Avant la structure, la caractérisation, les dialogues, l'intrigue, et la mise en page, il y a un élément déterminant à intégrer dans n'importe quelle oeuvre dramatique: le thème. Ce n'est pas la partie la plus technique ni la plus visible, mais c'est certainement la plus difficile à maîtriser.

Tout d'abord, le thème, c'est quoi? Dans un film, le public lambda dirait qu'il y a un "message", un "propos"... Bref, un certain discours ou point de vue qui traverse toute l'oeuvre. Ce n'est pas forcément un message politique clamé ouvertement. Ce n'est pas non plus toujours une critique de la société... Parfois, c'est simplement une observation, une posture, voire même, sans plus de précisions, une ambiance.

Comme on le voit, le thème peut être très volatil et difficile à cerner. C'est pourquoi les auteurs débutants ont tendance à ne pas y penser du tout et à respecter structure et caractérisation en oubliant le thème. Ce qui donne des oeuvre inégales. Mais comment cet improbable thème peut-il aider un auteur à écrire son histoire?

Le thème est en réalité une solide boussole qui aide à prendre des décisions créatives. Puisqu'à chaque moment de son oeuvre, l'auteur peut faire dévier son récit dans mille directions différentes selon son bon vouloir, il peut se noyer dans une masse de choix et ne pas faire les bons. Le thème va permettre d'avoir du recul sur l'oeuvre et de sélectionner les choix créatifs qui sont les plus pertinents.

Pour clarifier l'importance du thème, prenons un exemple réel.

Dans Le Dîner de Cons, on peut plus ou moins réduire le thème à la phrase suivante: "le con n'est pas forcément celui qu'on croit". Ce thème va nous servir de boussole, il va donner un azimut, tout au long du film. Il explique plein de choix créatifs: pourquoi Brochant est si méchant. Pourquoi le "con" est un gentil con. Pourquoi le contrôleur fiscal est encore plus méchant. Pourquoi Brochant trompe sa femme... Femme qu'il a piquée à son meilleur ami... Bref: en connaissance du cap donné par le thème, les auteurs ont pu aisément calibrer des personnages qui illustrent avec force le sujet.

Dans la version américaine du Dîner de Cons, le thème semble avoir été modifié, on ne retrouve plus ce renversement des rôles. Le thème semble être: "les cons sont aussi des êtres humains". Du coup, le Brochant américain est un vrai gentil, et le con, ou plutôt les cons, sont moyennement appréciables, se font des coups bas, et sont réellement les cons que l'on imagine. Bref: tout tombe à plat à cause d'un cap mal défini.

Comme on le voit, l'adéquation entre le thème choisi et les intrigues du film est primordiale. Changer de thème en cours de route, ou pire, trahir son thème, c'est aller au devant d'incohérences et catastrophes dramaturgiques.

Mais il n'est pas tout de choisir un thème pour se donner bonne conscience et de l'oublier ensuite. Il faut s'y tenir jusqu'à la fin. Ce n'est pas facile.

Comme on l'a dit plus haut, le thème "traverse" toute l'oeuvre. Cela signifie que non seulement les personnages, mais aussi l'intrigue, les décors, les répliques, les traits d'humour, devront se concevoir à partir du thème. Chaque choix créatif se fait à la lumière du thème.

Souvent, à l'abord du troisième acte, du climax, le scénariste se heurte à une difficulté majeure: le déroulement des péripéties mène inexorablement vers une fin qui dénote complètement avec le thème que l'on avait respecté jusque là. La solution de facilité consiste à oublier le thème pour les 20 dernières minutes et de boucler son histoire avec les actions que l'on a en tête.

Cela explique la quantité impressionnante de films bien faits, mais avec une fin décevante. Quelques exemples:

Indiana Jones et le Crâne de Cristal : on est clairement dans un film d'aventure, et l'on tombe dans le fantastique - le thème est rompu.

Seul au monde: le film possède deux parties(sur l'île, et de retour à la maison). Elles ne fonctionnent pas ensemble car elles possèdent deux thèmes différents, elles ne sont pas unifiées par un thème global cohérent. Du coup, on à l'impression d'assister à deux films différents.

Les exemples sont nombreux... Des films dont le thème serait "la violence ne résout pas tout" qui se terminent par un bain de sang où le héros descend les méchants... Des films d'action qui carburent à l'intellect plutôt qu'aux muscles, mais qui se résolvent avec des revolvers et des explosions plutôt qu'une fin intelligente, par pure fainéantise de la part des scénaristes...

Même dans les jeux vidéo, le thème est primordial. L'exemple fameux de Mass Effect 3 - qui base tout son gameplay sur la liberté de choix du joueur et qui se termine par une fin unique qui nie tous les choix précédents - montre à quel point la dramaturgie est importante, même pour les "gamers".

Le thème est donc pour le scénariste un outil de prévention: il permet de prendre du recul sur son oeuvre, de se dire "ce que j'ai envie de raconter, c'est ça et pas autre chose", et donc de prendre les choix qui vont en accord avec cette volonté.

Cela suppose donc d'avoir une certaine volonté d'auteur. Ce qui n'est pas gagné d'avance!

03 mai 2012

Le jeu des devinettes

Un moment où un autre dans sa carrière, un scénariste doit répondre à la commande d'un producteur. Peut-être est-il amené à développer un pitch qu'il a lui-même imaginé, ou à adapter une oeuvre antérieure, mais le plus souvent l'idée de départ vient du producteur.

Et donc, le scénariste, tout heureux d'être enfin investi d'une réelle mission d'écriture, doit écrire un synopsis ou un bout d'essai en quelques jours sur la base d'un petit cahier des charges de deux ou trois pages (parfois ce "cahier des charges" se limite à une conversation téléphonique), et convaincre le producteur de lui faire confiance pour la suite du projet.

Le principal problème, ce n'est pas de développer une histoire (ça c'est facile), mais plutôt d'imaginer le genre de produit qui serait dans les cordes du producteur. En effet, lorsqu'il nous demande d'écrire un bout d'essai, le producteur veut surtout voir à quoi ressemble notre écriture, notre façon de traiter un sujet, et si notre travail correspond au gout de la maison.

Et là, bonjour le jeu des devinettes.

Alors, bien entendu, pour baliser le terrain, le scénariste pose quelques questions sur la tonalité de la série, sur les autres films ou séries qui s'en rapprochent, éventuellement sur les acteurs pressentis, etc. Mais même un interrogatoire exhaustif ne suffit pas à réellement cerner les attentes réelles du producteurs. Qu'a-t-il produit avant? Quel est le style maison? Quelle est la chaîne visée? Quel créneau horaire? Quel budget? Ces questions, utiles, ne vous donneront qu'un aperçu très vague de ce que l'on attend de vous.

Il y a une bonne raison à cela: si le producteur fait appel à un scénariste, c'est parce qu'il n'est pas totalement sûr lui-même du résultat qu'il désire obtenir. Il espère que votre génie créatif comblera toutes ses espérances, éclairera tous ses doutes, et répondra à toutes ses interrogations.

Le problème, c'est que sur base d'un tout petit pitch et d'un tout petit cahier des charges, mille scénaristes écriront mille scénarios complètement différents. Et tous ne parleront pas forcément au producteur. Mais difficile de deviner lesquels. D'où le jeu des devinettes.

Faut-il la jouer classique? Expérimental? Osé ou policé? Jusqu'où aller dans l'humour? Dans le trash? L'humour prend quelle place par rapport au drame? Le drame est-il larmoyant ou en retenue?

Autant de choix créatifs qui vont donner une direction différente à votre bout d'essai... Des choix qui vont vous définir aux yeux du producteur en tant que scénariste.

Donc, les devinettes, c'est bien, mais ne vous perdez pas trop en court de route. En fin de compte, c'est vous que vous vendez. Le bout d'essai n'est qu'une carte de visite. Si, à force de devinette, vous écrivez quelque chose qui est à l'opposé de vos sensibilités, le reste de la collaboration sera douloureux.

On dirait un vieux conseil de drague: soyez vous-même. Mais c'est vrai... La bonne version de vous-même, en tout cas.