Ce que l'on appelle parfois la scribosphère, c'est-à-dire l'ensemble des blogs rédigés par des scribes (écrivains, scénaristes, copywriters, et j'en passe), forme une sorte d'organisme vivant. Tous les organes sont reliés, et quand l'un souffre, c'est l'ensemble du corps qui frémit.
Quand j'ai commencé ce blog en 2005, la mode des blogs était en plein boom. La scribosphère s'étendait comme l'univers après le big bang. C'était la joie, et les textes de célébrités comme John August (scénariste de Big Fish) ou de Tony Rossio (scénariste de Shrek) donnaient beaucoup d'espoir à toute la communauté. L'ambiance était vraiment celle de conquérants qui allaient changer le monde.
Bien sûr, Tony Rossio et John August ont réussi. Ils avaient déjà réussi avant. Tony Rossio avait écrit Aladdin, un film que j'ai vu quand j'étais encore à l'école maternelle. Mais ils avaient cet esprit de mentors bienveillants qui, je le pense, ont suscité pas mal de vocations.
Après tout, quand j'ai décidé de me mettre à écrire des scénarios, il y a quelques années, comment pensez-vous que je m'y suis pris? Bien entendu, j'ai tapé "écrire un scénario" dans Google. Et comme les résultats francophones étaient pour le moins maigres (qui se souvient du regretté site Version Finale?), j'ai fait la même démarche en anglais.
Et là, c'était la corne d'abondance, et les articles de Tony Rossio ont été de véritables détonateurs. Ils expliquaient l'art du scénario de manière tellement claire, dévoilaient les coulisses du show-biz avec tellement d'acuité, qu'on avait l'impression d'y être. Je peux le faire! C'était parti, et presque 10 ans plus tard, je suis toujours là, avec le même rêve.
Mais en dix ans, les choses ont changé.
Entre temps, la motivation des mentors s'est entourée d'une certaine amertume. Les questions sont toujours les mêmes: comment je trouve un agent? J'ai une idée géniale, comment la protéger? Quel est le numéro de téléphone de Steven Spielberg. Et les plus malins demandaient aussi le numéro de Jessica Alba.
Les articles sont devenus de moins en moins motivants. Internet n'était certainement plus un club d'initiés. Tout le monde entrait sans frotter les pieds au paillasson. Les conquérants de naguère étaient devenus les quidams, écrivains d'un jour. Les belles idées de mentors se sont enrobé d'une couche amère, celle de la dure vérité: écrire un scénario, c'est une chose, le vendre, c'est une autre affaire.
Une sale affaire.
Revenons en France, où la sauce scribosphère a pris avec quelques années de retard. Même enthousiasme, même success story pour certains. Et au fil des années les réussites n'ont pas été renouvelées. La situation a changé. La crise s'est installée. Aux Etats-Unis, la grève des scénaristes a gelé les positions. En France, pas besoin de grève: il n'y a pas de scénaristes.
Le soufflé est retombé, et quand un blog souffre, c'est comme un cancer: le morosité se propage de proche en proche, et bientôt les vocations s'effritent. J'ai jeté l'éponge comme tant d'autres. Mes confrères ont bien du mal à se nourrir tous les jours avec leur maigre pitance. Scénariste, mon bon monsieur, ce n'est pas un métier. C'est une folie.
A cela, les mentors répliquaient jadis que la ténacité triomphait de tous les obstacles. Peut-être. Parfois. Mais pour combien de temps?
Ceci, chers amis, est un appel. Je n'en peux plus d'être le témoin de cette dégradation. Je vous appelle, amis scribes, pour reformer à nouveau la communauté d'antan. Où sont partis tous les membres de version finale? Où se sont dispersé les apprentis auteurs d'autrefois? Où se cache la naïveté bienveillante? Oui, internet a changé le monde: tout le monde en sait trop, sur tout, et pourtant il ne sait rien. Nous croyons savoir que nous sommes dans une impasse. Qu'il est probablement plus prudent de "se poser", d'arrêter ses élucubrations d'écrivain raté, de trouver un vrai métier... Mais je peux vous assurer d'une chose: les scénaristes de demain sont ceux d'entre nous qui tiendront bon.
Manifestez-vous!
3 commentaires:
Amusant que tu postes justement ça aujourd'hui...
http://sans-accent.over-blog.com/
Je suis là, mon bon monsieur. Bel appel, je vous entends du haut de mes rêves à moi aussi.
Vous avez raison : il n'y a pas de scénarisation en France. Si je peux me permettre un commentaire, je dirais qu'une des raisons de ce désert est que les écrivains français n'ont rien compris au cinéma américain, qu'ils méprisent. Et toute l'intelligentsia parisienne se précipite dans la revendication d'une Culture, en même temps que de la dénonciation d'une sous-culture américaine, sans comprendre que dès qu'on objective la culture, on cesse de la produire, et que les américains ont pris du coup une sacré avance sur nous, au moins dans le domaine du cinéma.
En tout cas, sachez que vous n'êtes pas seul du tout, beaucoup de gens pensent la même chose que vous et finiront par faire émerger une nouvelle manière de faire du cinéma en France. Du moins, je l'espère !
Article qui m'a rappelé certains coups de blues que j'ai pu avoir. Amusant.
Heureusement, qui sauve un homme sauve l'humanité.
Comprendra qui pourra.
@Thomas B > Avant que ces "beaucoup de gens" fassent leur révolution, il faudra qu'ils commencent par apprendre à écrire une histoire, tradition qui s'est perdue depuis longtemps chez nous.
PhP
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