28 février 2007

S'auto-évaluer

Ecrire, c'est bien, mais encore faut-il pouvoir améliorer le premier jet. C'est le stade de la ré-écriture. Une étape souvent délicate pour les débutants qui ne savent pas par quel bout commencer. D'abord, il y a les choses évidentes: l'orthographe, les tournures de phrases, quelques dialogues mal torchés...

Mais pour aller plus loin, plus en profondeur, il faut posséder une faculté assez exceptionnelle: prendre du recul et évaluer son propre travail.

Et dans le domaine de l'écriture, c'est incroyablement difficile. Puisque le texte écrit est une expression de nos pensées, critiquer le texte revient à se critiquer soi-même. Et ça, c'est dur. La première étape consiste donc à séparer très nettement la production écrite de ses pensées intérieures. Il faut pouvoir mettre une barrière entre les deux. Le texte n'est pas "nous". Cette distinction faite, il est directement plus facile d'émettre des critiques sur le texte sans se sentir meurtri. (Bien sûr, la critique est toujours difficile à entendre. Mais au moins, elle devient supportable).

Mais encore, ce n'est pas suffisant. Pour émettre des critiques, il faut d'abord déceler les points faibles. Et pour cela, on a besoin de deux éléments:
- savoir lire un texte avec un esprit analytique.
- fixer un niveau que l'on estime "bon".

En effet, pour déclarer un texte mauvais, il faut pouvoir le comparer avec un texte dit "bon". Sans repères, pas de bon et pas de mauvais. Et c'est très précisément à ce niveau que les débutants sont pris en défaut. Ils n'ont aucun point de repère autre que leur production propre, ou celle que quelques amis amateurs. Ils n'ont une idée du bon qu'à travers les films terminés qu'ils peuvent voir au cinéma ou à la télévision. Mais un scénario n'est pas un film. Le point de repère est trop flou pour se faire une idée précise.

Il faut avoir entre les mains un scénario professionnel abouti pour se rendre compte du fossé. Comparer ce scénario avec notre premier jet, page après page, pour se rendre compte des différences de langue, de présentation, de construction, de rythme... Et c'est ce choc-là, qui permet d'avoir une première idée de son propre niveau.

En réalité l'auto-évaluation est une opération qui consiste à se mettre dans la peau d'un autre critiquant notre scénario. Sans coeur, sans passion, sans complaisance, sans bénéfice du doute, avec dureté et mauvaise foi. Et pour se mettre dans la peau d'un autre, il faut d'abord avoir soumis des textes à d'autres pour observer leur mode de fonctionnement. Il faut lire beaucoup, faire lire beaucoup, pour commencer à avoir un soupçon de recul.

Et ce n'est pas tout: le niveau d'exigence des lecteurs "test" varie. Entre la petite amie dithyrambique, le professeur de lettre laconique, l'ami honnête mais incompétent, il est difficile de savoir très exactement où on fixe le niveau. Et tout ça, c'est un niveau loin du professionnalisme exigé par un producteur. D'où les déconvenues...

En réalité beaucoup de gens savent écrire avec talent. Mais la différence réside souvent dans le degré d'exigence qu'ils se fixent à eux-mêmes. Les laxistes s'arrêtent au premier jet, qui ne convainc personne sauf eux-mêmes, les fainéants passent leur texte au correcteur orthographique, et puis basta. Les motivés relisent leurs dialogues. Mais seuls les acharnés arrivent quelque part. Et il faut comprendre que même le plus mauvais scénariste professionnel du monde fait partie de la catégorie des "acharnés". Alors que dire des bon scénaristes...

Le fossé peut sembler infranchissable, mais en réalité tout est question d'habitude. Lorsqu'un scénariste côtoie quotidiennement d'autres scénaristes professionnels et qu'ils parlent de scénario à longueur de temps, qu'ils se critiquent, se corrigent mutuellement, le niveau d'exigence augmente de lui-même. Ne serait-ce que pour ne pas passer pour un idiot...

Tandis que lorsqu'on est seul face à soi-même, ce genre de peur n'existe pas. Il n'y a pas le stress du résultat obligatoire. D'où un niveau moins bon et une plus grande indulgence.

J'aurai donc deux conseils:
- faites-vous une place parmi des scénaristes professionnels (ou pas, mais des bons alors!), par n'importe quel moyen (staff en télé, groupe d'écriture, école)...
- soyez impitoyable avec vous-même. Tout sera plus facile. Vous ne serez plus jamais choqué lorsque quelqu'un critiquera vos textes. Vous serez mêmes parfois déçu de leur mollesse!

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