On a tendance à imaginer les scénaristes comme des êtres solitaires, recroquevillés devant leur écran d'ordinateur, à l'écart du monde civilisé. Ce n'est pas le cas de Cédric Perrin & Jean-Christophe Hervé, duo de scénaristes en activité depuis quelques années. Comme aux Z'Amours, ils ont répondu à mes questions sans connaître les réponses de l'autre... Résultat de l'interview croisée: ils cultivent leur esperluette avec beaucoup d'humour et de tendresse!
La rencontre
Comment vous êtes-vous rencontrés?
Cédric: « C'était fin 2004. Je venais de m'inscrire à l'association "Séquences 7", affiliée à l'UGS. Quand je me suis présenté, j'ai parlé de la façon dont je voyais la fiction en France, de ce que je pensais des dialogues et toutes ces choses un peu prétentieuses qu'on dit quand on ne connaît pas vraiment la réalité. Il s'est reconnu dans ce que je disais. »
J-Christ: « On s'est foutu de la tronche de tous ces scénaristes, avec un sale esprit de petits cons qui croient pouvoir tout révolutionner, et c'est là qu'on a vu qu'on s'entendait vachement bien. Pour voir si il y avait la même entente dans l'écriture que sur l'ironie tête à claque, on s'est fait lire mutuellement des trucs qu'on avait écrits. Ça a fait tilt. »
Cédric: « Nos regards se sont croisés, le coup de foudre a été immédiat. On a mangé une pizza, il a posé sa main sur ma cuisse et c'était parti ! »
Vous avez eu rapidement des contrats?
J-Christ: « En ce qui me concerne, c'est une longue histoire. J'ai toujours travaillé à la télé, comme assistant-réalisateur ou comme réalisateur. J'ai co-écrit et réalisé un documentaire sur la musique cubaine pour Arte, il y a déjà de cela quelques années. Mais ma nouvelle vie de scénariste professionnelle a commencé avec l'écriture d'un épisode pour la série C com ç@, pour France 2. »
Cédric: « En fait on a eu nos deux premiers contrats à peu près en même temps, je crois. L'un pour la série jeunesse de France 2, C com ç@, et l'autre pour une série fantastique qui en est restée au stade du scénario, intitulée Dark Stories. Dans les deux cas, ça s'est passé par l'intermédiaire des blogs. Pour Dark Stories, le producteur lisait mon blog et m'a contacté par mail. Ca s'est vite et bien passé, on est allé jusqu'à la version dialoguée. Pour C com ç@ c'est Aurélie Marteau qui nous a filé le tuyau. »
J-Christ: « Le directeur de collection, Elie G. Abécéra, cherchait des auteurs et il nous a donné notre chance. Je lui en suis reconnaissant pour la vie, parce que tout le monde n'a pas cette démarche. Après ça, tout s'est enchaîné assez vite. Le plus dur, c'est de mettre un orteil dans l'engrenage. »
Cédric: « Ce sont ces deux rencontres qui nous on permis de commencer, parce que dans ce milieu, comme dans beaucoup d'autres, on ne te laisse pas vraiment ta chance si tu n'as rien fait avant. »
Ces contrats vous ont mené à un agent?
Cédric: « Oui! Avec ces deux contrats, et sous l'oeil bienveillant de Simon Jablonka, on a rencontré l'agent Lise Arif. Tout s'est ensuite enchaîné... »
J-Christ: « Comme elle n'est pas très difficile, elle nous a pris tout de suite (rires). Au début, elle nous a fait rencontrer pas mal de producteurs, nous a lancés dans le grand bain. Ça a fini par porter ses fruits. Mais c'est vrai qu'on lui a aussi apporté pas mal d'affaires de notre côté (Paris 16, Graine de maire…). Aujourd'hui, on est arrivés à se créer notre petit réseau, qui nous permet de trouver du travail, et on a de moins en moins besoin d'elle. Lise s'occupe alors surtout des contrats et des négos. Mais on sait qu'au moindre coup dur, elle nous fera rebondir en nous relançant sur d'autres pistes. Elle a un côté "maman" qui n'est pas désagréable. Même si parfois, c'est nous qui devons lui remonter le moral. Au bout d'un moment, nos relations prennent fatalement une dimension affective assez forte. »
La vie de couple
L'écriture en binôme, ça se passe comment?
J-Christ: « Ca va, jusqu'à maintenant, je n'ai pas encore eu d'envies de meurtre! »
Cédric: « On se ressemble beaucoup mais nous ne sommes pas des clones. Donc, parfois, c'est vrai que nous ne sommes pas d'accord, mais c'est vraiment rare. On écrit séparément, mais on en discute toujours avant de livrer aux producteurs. On tombe souvent d'accord, ou on fait confiance à l'autre quand on a un doute. Parfois, l'un des deux sent plus "la chose" que l'autre. »
J-Christ: « Je crois que si ça marche bien, c'est qu'on est maintenant assez conscients des préférences de chacun (scénaristiques j'entends). Et quand quelque chose ne va pas, on arrive à se le dire très vite et très franchement, ce qui évite les non-dits et les quiproquos. Maintenant, chacun a sa méthode. Lui a besoin d'écrire pour pouvoir écrire (ça peut paraître logique). Moi j'ai plus besoin de brainstormer à deux avant d'écrire. Je crois beaucoup à la maïeutique, l'accouchement de la pensée et des idées. Mais ça, c'est mon côté psy…En fait, le vrai avantage d'être à deux c'est surtout pour la PS3. Le mode coopératif sur Resistance: Fall of man, c'est quand même de la bombe! »
Vous divisez les gains en deux?
J-Christ: « Ah oui tiens, tu as raison, on divise en deux, j'y avais jamais réfléchi (rires). En fait, à deux on arrive à travailler sur plus de projets, donc ça compense. Quand on bosse sur deux ou trois séries en même temps (si si, ça nous est arrivé), le volume de travail devient vite important. Mais, à vrai dire, ce n'est pas une question qui m'obsède. »
Cédric: « La question ne se pose pas vraiment, puisqu'on signe toujours tout à deux. Les producteurs ne savent pas qui a fait quoi. En fait je crois que les producteurs préfèrent ça. Ca doit les rassurer. Ils se disent que le premier a l'air vieux et que le second a l'air con mais qu'ensemble, ça peut donner quelque chose ! »
J-Christ: « Ils savent qu'à deux, il y en aura toujours un qui pourra assurer si l'autre est malade ou en vacances, et puis ils se disent qu'on aura deux fois plus d'idées ! »
Aujourd'hui, vous pourriez retourner à l'écriture en solo?
Cédric: « Tant que ça marche bien entre nous, il n'y a pas de raison que ça s'arrête. Je crois que nous avons encore besoin de construire notre écriture à travers ce binôme. »
J-Christ: « J'avoue que maintenant que j'ai goûté aux joies de l'écriture à deux avec un partenaire "sur mesure", je ne sais pas si ça m'amuserait de me retrouver seul sur un projet. Ça ne veut pas dire que je n'y arriverais pas. Mais le coeur y serait moins. Et être heureux dans ce qu'on fait, partager ce qu'on fait avec des gens qu'on aime, c'est quand même pas loin du bonheur… »
Cédric: « Après, je pense que nous aurons envie de raconter des choses qui seront peut être plus personnelles. Ca peut être pour le cinéma, ou pour autre chose. J'écris une BD en ce moment et je le fais tout seul. Je crois que ça sera nécessaire à notre équilibre. Mais pour le moment, qui plus est à la télévision, on est et on sera toujours plus forts tous les deux. Parce qu'en face, je peux te dire qu'ils sont nombreux ! »
L'écriture
L'écriture d'une série jeunesse est-elle particulière?
Cédric: « Oui, on doit faire plus attention à ce qu'on dit et à ce qu'on montre. Pour les scène de sexe en groupe, par exemple, c'est plus compliqué. »
J-Christ: « Il faut surtout faire attention à ne pas parler d'alcool ou de choses que la morale réprouve. Bref, toujours avoir une arrière pensée éducative. On divertit les têtes blondes, mais on les éduque aussi un peu au passage. Ça leur fait pas de mal à ces morveux ! Après, il ne faut pas non plus trop s'autocensurer. Il ne s'agit pas de faire les Bisounours. Les mômes vivent dans la même réalité que nous, et ils savent plein de choses. Faut pas les prendre pour des débiles. L'équilibre se fait en discussion avec la chaîne. Je dois dire que sur France 2, la qualité de notre interlocutrice permet de faire en sorte que tout le monde soit heureux là-dessus. »
Cédric: « Mais c'est très plaisant à écrire parce que pour le moment, en France, la fiction jeunesse est pratiquement le seul endroit où l'on peut se permettre du délire, du non sens, des situations et des gags très visuels. Comme si seuls les enfants aimaient ça. C'est aussi le seul lieu où on peut faire un peu de teen-drama, qui est un genre que j'aime particulièrement. En tout cas je ne me sens pas du tout à l'étroit dans ce domaine là. je crois d'ailleurs que comme il y a moins de pression (de budget, d'audience), on y est plus libre qu'en access et en prime. »
Vous travaillez en ce moment à la création d'une nouvelle série. Comment le projet a-t-il démarré?
Cédric: « C'est Laurent Germain Maury, un réalisateur qu'on connaît bien, qui nous a appelé un jour en nous parlant de son concept de départ. On s'est fait une réunion avec lui, pour bien comprendre son envie de départ, puis on a brainstormé pour en faire quelque chose qui nous ressemble un peu plus. »
J-Christ: « On a fait une bible, avec description des personnages et développement des synopsis sur 8 épisodes, soit une saison complète. Même si ça reste dans les grandes lignes, ça permet d'avoir une bonne idée du potentiel des intrigues. On a imaginé une fin bouclée ainsi qu'une fin en cliffhanger, pour relancer sur une saison 2 encore plus haletante. »
Cédric : « Je me suis occupé de la description des personnages et, comme je le fais souvent, j'en profite pour y lancer des débuts d'arches narratives relatives aux personnages. »
J-Christ: « Si les personnages sont riches, leurs interactions seront importantes, et les intrigues d'autant plus faciles à imaginer. Même si c'est beaucoup de travail, hein ! »
Pendant l'écriture, vous avez déjà en tête la chaîne qui diffusera la série?
J-Christ: « On essaie d'abord d'écrire la série qui nous plait, c'est-à-dire qu'on aimerait voir à l'écran. Sinon, à quoi bon? Il faut que l'envie soit là, très forte, et qu'on prenne beaucoup de plaisir. Ensuite, on sait bien qu'il va falloir penser aux questions "Pour qui, avec qui…etc". »
Cédric: « Notre projet a un peu voyagé. Il est allé à Canal... puis au Canada. Là, les choses se sont un peu accélérées. Un gros producteur de là bas s'est dit intéressé. Ca impliquait aussi une grosse chaîne d'ici. On s'est donc lancé dans des petits synopsis pour chacun des 8 épisodes de la première saison. C'est seulement là que la série s'est révélée à nous, parce qu'on rentrait vraiment dans le vif du sujet. Avant cette étape, ça restait un peu abstrait. On sait maintenant à quoi nous avons envie qu'elle ressemble, mais le chemin est encore long. Le fait d'écrire en pensant à la chaîne, je crois que tu ne peux pas t'y empêcher. Même si là on évite parce que sinon on se dit que ça ne se fera jamais... »
J-Christ: « Avant de "lisser" la série dans le sens de ce qu'on pense que peut-être ils aimeraient, on préfère leur apporter ce qu'on a fait avec nos envies et nos goûts, et on verra bien. Il sera toujours temps plus tard, en fonction de leur réaction, de retravailler tout ça. Mais pas question là encore de s'autocensurer, ni d'essayer de prévenir des réactions qui ne seront peut-être pas du tout celles auxquelles on pouvait s'attendre. »
Quel est votre avis sur le rapport de la commission Copé, et son impact sur l'avenir des scénaristes en France?
Cédric: « Je suis plutôt de nature optimiste, donc je pense qu'on va pouvoir continuer à écrire et à faire des choses avec le service public. Et je crois vraiment que la suppression de la pub est une bonne chose. Alors après, on pourra toujours parler du financement. mais ce n'est pas à nous de régler ce problème, je crois. Quant à notre avenir à nous, je sais qu'il sera fait de hauts et de bas, comme c'est le cas depuis nos débuts. Mais si tu n'as pas pleinement conscience de ça, je crois qu'il est inutile de faire ce métier ! The best is yet to come ! »
J-Christ: « Il y aura toujours des histoires à raconter et des gens pour vouloir les écouter. Et donc toujours des gens pour les produire et les diffuser. Sur le service public comme ailleurs. Maintenant dans quel volume, est-ce qu'il y aura des morts ? Je ne sais pas. Le morcellement de l'audience, avec la montée de la TNT, peut laisser espérer que les petites chaînes auront un jour les moyens de produire elles aussi des fictions (cf. NRJ12). Ça devrait, à terme donner du boulot à pas mal d'auteurs. Je ne suis pas vraiment pessimiste là-dessus. On vit, c'est sûr, une période d'agitation et ça va tanguer un peu pendant quelques temps. Mais je crois qu'à terme, une fois la tempête passée, le ciel bleu devrait à nouveau revenir pour les auteurs, les producteurs, les diffuseurs, et aussi les téléspectateurs. Parce qu'ils veulent des séries, mais des "bonnes" séries. »
Si vous voulez en savoir plus sur ce duo de scénaristes, rendez-vous sur leurs blogs : Drama drama drama !(Cédric) et Journal dans ma tête(Jean-Christophe). Tout ce qu'on peut leur souhaiter, c'est plein de succès et de réussite pour la suite de leurs aventures trépidantes!
4 commentaires:
Que dire à part MERCI :-)
C'est justement le mot qui me venait à l'esprit. Merci.
Oui, merci !
Et Cedric, j'ai 2 mots à te dire…
;)
Très bonne initiatives ces interviews. Bonne continuation.
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