Je ne sais pas si c'est une maladie mentale officiellement reconnue, mais je souffre d'un mal étrange. Chaque fois que j'écris une phrase pour mon prochain chef-d'oeuvre, je me pose la question suivante: "ce que je viens d'écrire correspond-il au standard de qualité d'écriture professionnelle?"
C'est stupide! A quel standard de qualité fais-je allusion? Il n'en existe aucun! Et, après tout, une phrase grammaticalement correcte, avec son sujet, son verbe et pourquoi pas ses compléments, entre totalement dans les critères nécessaires pour faire une phrase digne de figurer dans un roman.
Critères nécessaires, oui, mais pas suffisants! Et c'est là que commence l'infernale comparaison entre ma production et celle de 3000 ans d'histoire de la littérature. Il y a dans mon cerveau malade une conception de la phrase "de roman" toute singulière, indéfinissable, mais que tout le monde peut reconnaître dés la première lecture.
Exemple typique:
"Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre."
Voilà! C'en est une. Une phrase qui respecte le standard de qualité d'écriture professionnelle! Ca se voit immédiatement! Et c'est toujours pareil! J'ouvre un (bon) roman, et, paf!, je tombe sur ces fichues phrases, incapable d'expliquer par quel miracle elles sont conformes au S.E.P.
"Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves."
J'ai pourtant beau essayer d'en produire des pareilles, il y a toujours quelque chose qui cloche. Est-ce un adjectif mal choisi? Une musicalité qui sans doute m'échappe? Impossible de retrouver ce rythme, cette mélodie, qui caractérise les phrases des auteurs professionnels.
Je ne baisse pas les bras, alors j'essaie de comprendre. Comment font-ils? Flaubert, c'est connu, retouchait ses phrases plusieurs dizaines de fois avant de tomber sur la bonne. Mais il est mort ruiné, c'est pas sain comme méthode. Non, la majorité les pondent comme ils respirent. C'est frustrant!
Ce qui est sûr, c'est qu'il y a quelques constantes:
- un souci du mot bien choisi
- un découpage rythmique musical
- une utilisation discrète et fluide, mais néanmoins pertinente, des figures de style
Et finalement, peu importe le niveau de langue. On peut très bien faire des phrases S.E.P. avec un bagage culturel de 1500 mots. Je crois qu'une partie du secret, c'est de réfléchir à sa façon d'écrire sans y réfléchir. Oui, je sais, cela peut paraître contradictoire, mais - puisque je suis en train de passer le permis - permettez-moi une petite comparaison avec la conduite automobile: pour un novice, l'usage de l'embrayage semble ardu, et nécessite une concentration constante, sous peine de caler. Mais après quelques jours d'exercice, l'embrayage devient une extension du pied, et finalement, le cerveau intègre la donnée "embrayage", comme il a intégré la donné "respiration", "battement de coeur" et "clignement d'yeux".
Il faut tout de même se forcer à faire des phrases S.E.P., sinon c'est la solution "boîte de vitesse automatique"; l'écriture scolaire plan-plan à la Marc Levy, un des auteurs modernes à ne pas respecter le standard de qualité.
Petit exemple frappant:
"Crois-tu qu'on puisse s'aimer au point que la mort n'efface pas la mémoire? Crois-tu qu'il soit possible qu'un sentiment nous survive et nous redonne vie? Crois-tu que le temps puisse réunir sans fin ceux qui se sont aimés assez fort pour ne pas l'avoir perdu?"
Il faut quand même pas pousser mémé, mais ça, toutes les ados de 15 ans l'écrivent dans sur leur blog... Comme quoi, le SEP ne fait pas encore l'unanimité parmi les éditeurs, mais j'ose espérer, fidèles lecteurs, que vous aurez compris où je voulais en venir. Même si je n'ai pas été très clair, soyez chics: respectez le standard de qualité!
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