Chuck Lorre est une sorte de héros personnel. Bien sûr, son CV est assez impressionnant: il est le créateur de Dharma et Greg, de Mon Oncle Charlie (la sitcom la plus regardée aux USA), et puis récemment de The Big Bang Theory, dont on va parler aujourd'hui. Mais cela n'est rien comparé à ça: Chuck Lorre a composé, jadis, le générique de... Tortues Ninja, le fameux dessin animé de mon enfance! Bazinga! Il a droit à tout notre respect jusqu'à la septième génération!
The Big Bang Theory, sa dernière création, est une sitcom basée sur les geeks. Qui sont-ils? Ingénieurs en physique, en théorie quantique, doctorants fans de Star Trek pratiquant couramment le Klingon et prêts à tout pour obtenir l'autographe de Leonard Nimoy (c'est Spock!). Leur vie bien rangée de colocataires va être bouleversée quand apparaît une voisine (Penny) jeune, jolie, au QI très nettement inférieur au leur, dont le rêve est de devenir actrice mais qui n'est pour l'instant que serveuse dans un restoroute.
Je vous avoue que j'étais sceptique au départ... L'humour de geek, quel intérêt, ça fait 10 ans qu'on nous rabâche ça. Depuis la bulle Internet de 1999, le "geek" est devenu une catégorie sociale à elle seule, qui doit à vue de nez contenir 30% de la population... Donc rien de bien nouveau dans ce concept.
Mais Chuck Lorre connaît son métier, et il a évité le piège de ce fameux "humour geek" qui est très lourd, et surtout pas très drôle. En effet, après quelques épisodes, les protagonistes, Sheldon et Leonard, deviennent tellement attachants qu'il est impossibles de s'en défaire. Petite analyse de cette addiction...
La sincérité
J'en ai déjà parlé plusieurs fois, et ça se confirme, en humour la sincérité prime. Un geek "second degré" n'est pas drôle. Un geek sincère, donnant tout son coeur à apprendre le Klingon, est par contre, très drôle. Et beaucoup plus humain, aussi. On entre dans son mode de pensée, on est avec lui, et dés lors, chaque confrontation avec le monde extérieur - qu'il ne comprend pas bien - peut devenir une source de gags.
Le personnage de Sheldon est exemplaire à cet égard. C'est le plus sociopathe de tous les geeks de la série. Il vit par et pour la science. Ses amis sont avec lui "parce qu'il était là", mais il est insupportable à vivre. En colocation, il établit des règles de vie commune digne d'un traité constitutionnel, avec des exceptions aussi bizarroïdes qu'absurdes. Il est franchement antipathique: dans la "vraie vie", il serait seul. Dans la série, sa solitude se limite à la vie sentimentale. Sheldon n'a clairement jamais connu la chaleur d'un baiser. Et là où ça devient drôle, c'est qu'il s'en fiche, sincèrement. Jamais on ne ressent chez lui ce manque, cette frustration du manque d'amour. Au contraire, il est plus heureux seul: il a plus de temps à consacrer à la science.
L'humanité
Malgré leurs défauts probablement rédhibitoires dans un monde normal, les personnages sont ici sauvés par une humanité débordantes. Prenons pour illustrer cet aspect des choses le personnage de Howard Holowitz, l'ingénieur juif. C'est le plus pathétique des quatres geeks, car c'est le seul qui croit encore pouvoir réussir à draguer les filles en soirées. Mais il vit une relation étouffante avec sa mère, est musclé comme une crevette, et s'habille à la dernière mode de... 1972. Il est obsédé par le sexe, et offense régulièrement Penny à ce sujet. On pourrait mal le prendre. On pourrait s'en offusquer. Mais on en rit, car au sait que Howard n'est pas réellement obsédé par le sexe: c'est une parade, un masque, face à sa détresse, et à sa solitude qui est bien réelle, elle.
Dans une scène, il se révèle tel qu'il est vraiment, et se met à pleurer en avouant qu'il sait pertinemment bien qu'il n'a aucune chance de séduire une fille, que sa vie est pathérique. Un court instant, on ne rit plus, on découvre la Vérité de ce personnage. On le comprend. Il est humain et nous pouvons compatir. Evidemment, comme on est dans une sitcom, il n'apprend pas de ces erreurs: aussitôt a-t-il séché ses larmes qu'il retombe dans les mêmes travers, et se remet à draguer la première fille qui passe.
Le meta-humour
Traditionnellement, dans les sitcoms, les personnages ne font pas d'humour, car pour les spectateurs cela tomberait souvent à plat et ne serait pas drôle. Au contraire, les personnages sont les sujets de l'humour. Mais dans The Big Bang Theory, une chose rare arrive: Sheldon fait assez régulièrement des "blagues". Et elles sont hilarantes. Comment cela fonctionne-t-il?
Sheldon est une version humaine de Monsieur Spock: il ne comprends pas l'humour. C'est logique: lui, grand scientifique mais handicapé social, cherche a percer les secrets de ce qui fait une bonne blague, cet art mystérieux qui lui échappe. Dans ces conditions, Chuck Lorre peut se permettre de faire ce meta-humour, de l'humour SUR l'humour.
Sheldon met alors au point des stratagèmes extrêmement élaborés pour faire des farces à ses colocataires, qui n'en reviennent jamais du niveau d'absurdité de la chose. Et Sheldon de s'exclamer alors: "Bazinga!", onomatopée qui signifierait quelque chose comme "je t'ai bien eu!".
Le fantasme
Réalisme, humanisme, humour, voilà trois traits de caractères qui ne collent pas du tout à Penny, la jolie voisine. Dans le monde réel, la jolie voisine ne se serait jamais acoquinée avec ses terribles voisins de palier. Dans la vraie vie, elle ne leur pardonnerait pas leurs délires trois fois par épisode. Et certainement, dans la vraie vie, elle n'aurait pas de relation sentimentale avec Leonard (le leader des 4 geeks).
Penny a clairement un rôle structurel dans la série. Elle accepte tout sans se lasser, elle joue le rôle de punching-ball, à la différence qu'elle renvoie régulièrement les coups. Ce rôle un peu artificiel passe facilement car elle représente le fantasme absolu. On a tellement envie que ça se passe comme ça, que quand ça se passe, ça ne gêne personne. Et ça fait plaisir.
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