25 mars 2010

La leçon de scénario de David Mamet

Le scénariste et romancier américain David Mamet a écrit en 2005 un mémo à l'attention des scénaristes de sa série télé "The Unit". La lettre vient de filtrer sur le web et c'est un véritable condensé de dramaturgie: une perle que je m'empresse de traduire pour vous.

"Aux scénaristes de The Unit.

Salutations.

Pendant que nous apprenons comment écrire cette série, un problème récurrent apparaît clairement.

Le problème est le suivant: faire la différence entre le *drame* et le non-drame. Permettez-moi de vous expliquer.

Tous les gens impliqué dans la création nous prient de rendre la série limpide. Il semble que nous ayons la lourde tâche de fourrer une chiée d'*informations* dans un minimum de temps.

Nos amis, les pingouins (ndt: les producteurs), pensent donc que nous sommes engagés pour communiquer de *l'information* et, parfois même, nous le pensons aussi.

Mais notez-bien: les spectateurs ne zappent pas chez nous pour regarder de l'information. Vous ne le feriez pas, je ne le ferais pas. Personne ne le ferait ni ne le fera. Les spectateurs veulent seulement zapper chez nous pour regarder un drame.

Question: qu'est-ce qu'un drame? Le drame est la quête du héros pour triompher de toutes ces choses qui l'empêchent d'atteindre un but spécifique et *profond*.

Donc: nous, les scénaristes, devons nous poser ces trois questions *pour chaque scène*:
1) Qui veut quoi?
2) Que se passe-t-il s'il ne l'obtient pas?
3) Pourquoi maintenant?

Les réponses à ces questions sont comme du papier de tournesol: appliquez-les, et elles vous diront si la scène est dramatique ou pas.

Si le scène n'est pas écrite de manière dramatique, elle ne sera pas jouée de manière dramatique.

Il n'existe pas de poudre de perlimpinpin qui va faire fonctionner une scène embêtante, inutile, redondante, ou simplement informative une fois qu'elle quitte votre machine à écrire. *Vous* les scénaristes avez la responsabilité de vous assurer que *chaque* scène est dramatique.

Cela signifie que toutes les *petites* scènes d'exposition où deux personnes parlent à propos d'une troisième (et nous avons tous tendance à en écrire lors du premier jet) sont complètement inutiles, si elle étaient finalement - dieu nous en garde - filmées.

Si la scène vous ennuie lorsque vous la lisez, soyez sûrs qu'elle va *assurément* ennuyer les acteurs, et donc, qu'elle ennuiera les spectateurs. Et nous voilà revenu au seuil de la médiocrité.

Quelqu'un doit rendre la scène dramatique. Ce n'est pas le job des acteurs (leur job est d'être vrais). Ce n'est pas le job des réalisateurs. Leur job est de filmer la scène de manière précise et de rappeler aux acteurs de parler vite. C'est, en fin de compte, *VOTRE* job.

Chaque scène doit être dramatique. Cela signifie: le protagoniste doit avoir un besoin simple, précis et pressant qui le pousse inéluctablement à apparaître dans la scène.

C'est pour cela qu'il est *venu*. C'est de cela que parle la scène. Sa tentative de satisfaire à son besoin va conduire, à la fin de la scène, à *l'échec* - c'est de cette façon que la scène se *termine*. Cet échec nous conduira, par nécessite, à la scène *suivante*.

Toutes ses tentatives, prises ensemble tout au long de l'épisode, constituent *l'intrigue*. Chaque scène, par conséquent, qui ne fait pas avancer l'intrigue et qui n'est pas autonome (c'est-à-dire qui est dramatique par-elle même) est soit superflue soit mal écrite.

Oui, mais! Oui, mais, dites-vous: que fait-on de la nécessite d'inclure toutes ces fameuses *informations*? Et je réponds: *démerdez-vous*. Le premier crétin venu en costard a appris à dire "rends la scène plus limpide", ou "on veut en savoir plus sur *lui*".

Lorsque vous avez rendu la scène si limpide que même le crétin en costard est content, vous allez tous les deux perdre votre job.

Le métier du dramaturge est de forcer les spectateurs à se demander ce qu'il va se passer ensuite. *Pas* de leur expliquer ce qui vient de se passer, ni de leur * suggérer* ce qui arrive ensuite.

Le premier crétin venu, comme on a vu, peut très bien écrire: "Mais, Jim, si nous n'assassinons pas le premier ministre dans la scène suivante, toute l'Europe sera à feu et à cendres".

Nous ne sommes pas payés pour *comprendre* que les spectateurs ont besoin de l'information pour comprendre la scène suivante, but bien pour écrire la scène de telle manière que les spectateurs s'intéresseront à la suite de l'histoire.

Oui, mais! Oui, mais, répétez-vous.

Et je réponds: *démerdez-vous*.

*Comment* trouver le bon équilibre entre la distribution et la rétention de l'information? C'est *ça* la tâche essentielle du dramaturge. Et la capacité de *faire* ça est ce que vous sépare des sous-hommes en costard bleu.

Démerdez-vous.

Commencez, à chaque fois, avec cette règle inviolable: *cette scène doit être dramatique*. Elle doit commencer parce que le héros à un problème, et elle doit culminer avec le héros qui se retrouver contrarié ou mené sur une nouvelle voie.

Examinez vos séquenciers. Chaque ligne qui commence par "Bob et Sue discutent..." ne décrit pas une scène dramatique.

Et pourtant remarquez comme nos synopsis sont spectaculaire, en général. Tout le drame s'échappe entre le synopsis et le premier jet du scènario.

Pensez comme un cinéaste plutôt que comme un fonctionnaire, car en réalité c'est *vous* qui faites le film. Ce que vous écrivez, il le filmeront.

Voici les sonnettes d'alarme: chaque fois que deux personnages parlent d'un troisième, la scène est un bâton merdeux.

Chaque fois qu'un personnage dit à un autre "comme tu le sais", autrement dit quand il donne à un autre personnage une information que vous, scénariste, avez besoin de donner aux spectateurs, la scène est un bâton merdeux.

N'écrivez *pas* de bâtons merdeux. Ecrivez des scènes époustouflantes de trois, quatre, sept minutes, qui font avancer l'histoire, et bientôt vous pourrez vous acheter une maison à Bel-Air et *engager* quelqu'un pour y vivre à votre place.

Souvenez-vous que vous écrivez pour un media visuel. La plupart des scénarios de télévision, y compris les nôtres, sonnent comme de la *radio*. La *caméra* donne les explications pour vous. *Laissez-la faire*. Ce que *font* les personnages, littéralement. Ce qu'ils tiennent en main, ce qu'ils lisent. Ce qu'il regardent à la télévision, ce qu'ils *voient*.

Si vous faisiez comme si les personnages ne pouvaient pas parler, et que vous écriviez un film muet, alors vous écrirez du bon drame.

Si vous vous privez volontairement de la béquille de la narration, de l'exposition, bref, de la *parole*, vous serez forcés de travailler dans un nouveau médium - raconter l'histoire en images (aussi connu sous le nom de scénario).

C'est une compétence à apprendre. Personne ne le fait naturellement. Vous pouvez vous entraîner, mais vous devez surtout *commencer* à le faire.

Je termine avec un conseil: regardez la *scène* et demandez-vous: "est-elle dramatique? Est-elle *essentielle*? Fait-elle avancer l'intrigue?"

Répondez-y franchement.

Si la réponse est "non" réécrivez-la ou supprimez-la.

Amitiés, Dave Mamet
Santa Monica 19 octobre 2005

(Ce n'est *pas* votre responsabilité de connaître toutes les réponses, mais c'est la vôtre, et la mienne, de se *poser* les bonnes questions encore et encore. Jusque ce que cela devienne une seconde nature. Je crois que j'en aborde quelque-unes ci-dessus.)"

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pff Nathalie Lenoir a honteusement pompé ton billet... pff, même pas fichue de faire une traduction... Comme quoi tu peux faire l'actu...

Nicolas Van Peteghem a dit…

Oui, la traduction en une soirée c'est une exclu de l'Auteur Inspiré mais Nathalie ne m'a rien "pompé" (hélas?), l'info a beaucoup circulé sur la blogosphère américaine ce mois-ci.

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