L'autre jour, j'étais confortablement installé dans le bus, la tête posée contre la vitre, et les yeux mi-clos, près à m'assoupir après une dure journée de travail. J'aperçois un homme, dans la rue, galoper pour attraper le bus avant que celui-ci ne quitte l'arrêt. Je ricane intérieurement: à cette distance, il ne l'aura jamais!
Le bruit des pistons hydrauliques me donne raison: les portes se ferment, le bus démarre, l'homme n'aura pas son bus à l'heure aujourd'hui.
"C'était fichu d'avance", me dis-je avant de refermer l'oeil.
Mais un détail me gêne... Il y a quelque chose qui cloche. Je rouvre les yeux, me tourne vers la vitre et je vois, sur le bord du trottoir, une dizaine de mètre en retrait, le même homme en train de fendre l'air à grandes enjambées, réduisant seconde après seconde la distance qui le sépare du bus!
"Quel imbécile! Le bus ne s'arrêtera pas pour lui en plein milieu de la rue."
Et, en effet, le bus ne s'arrêta pas. Mais l'homme poursuivit l'effort soutenu, à bout de souffle, pendant près de 500 mètres! Un moment, il quitte mon champs de vision. A-t-il abandonné? S'est-il rendu compte du ridicule de ses ambitions?
Non! Le voilà qu'il arrive par devant! Il avait pris un raccourci!
Un feu rouge immobilise le bus quelque secondes, plus qu'il n'en faut à l'homme pour rejoindre l'arrêt suivant, présenter son titre de transport, et s'affaler comme moi sur une place assise bien méritée.
J'esquisse un sourire béat. C'était, mine de rien, un petit exploit auquel je venais d'assister en cet après-midi banal.
Puis, en me rendormant, toutes sortes de connexions se formèrent dans mon esprit. Le bus se transformait en producteur, ou en agent. Les arrêts de bus étaient des étapes de ma carrière. L'homme qui courait derrière le bus était un scénariste, et s'il s'arrêtait de courir, il allait être en retard dans les grandes étapes de sa carrière. Il devait soutenir l'effort: dépasser le bus, et l'attendre à l'aise pour gagner son ticket vers le repos.
"Terminus, tout le monde descend!"
J'ouvre les yeux et me voilà arrivé à la maison. Je ne sais pas si ce que j'ai vu ce jour là avait vraiment un rapport avec ma vie de scénariste, si c'était la fatigue qui faisait faire à mon cerveau des métaphores qui n'existent pas. Ce que je sais, en tout cas, c'est que le monsieur est arrivé à l'heure à son rendez-vous. Il n'en a jamais douté. S'il s'était dit, ne serait-ce qu'une seconde: "je n'y arriverai pas", il n'aurait pas réussi.
En réalité, rien n'est fichu d'avance.
Les choses peuvent sembler incroyablement difficiles, voire impossibles, mais pour quelqu'un qui ne s'arrête jamais de courir, il y aura toujours une bonne place!
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