03 mai 2010

Steven Moffat et les gimmicks

Définition: Un gimmick est une astuce qui distingue un produit sans en ajouter une fonction ou une valeur évidente.

La saison 5 de Doctor Who, menée par le showrunner Steven Moffat, est une déception pour moi. Moffat est un scénariste très talentueux. Il l'a prouvé lors des saisons précédentes (Blink étant le meilleur épisode de la série, toutes époques confondues) et cela explique sa promotion cette année. Hélas, plus la saison avance, plus je me rends compte que Moffat a troqué sa casquette de raconteur d'histoires pour celle d'artificier: il nous en met plein la vue, plein les oreilles, mais ses scénarios ne tiennent plus debout. Explications...

Vu le pédigrée de l'auteur, les attentes étaient hautes, il est vrai. D'autant plus que le premier épisode (The Eleventh Hour) les a entièrement comblées. Bien sûr, l'attrait pour Matt Smith, l'acteur qui incarne le nouveau Docteur, a accaparé les critiques, et l'histoire a été reléguée au deuxième plan. C'est dommage car le scénario était plein d'astuces, de bonnes idées, de peps, et surtout... l'histoire tenait debout. Hélas, cette cohérence faisait son apparition pour la première et dernière fois de la saison!

A partir du deuxième épisode (The Beast Below), les incohérences ont commencé à pointer le nez. Bien sûr, Moffat n'est pas devenu médiocre du jour au lendemain: ses scénarios sont toujours pleins de bonnes idées, de scènes géniales, de dialogues savoureux. Mais, malgré toutes ces cerises, le gâteau était raté. Le seul élément indispensable manquait: une histoire cohérente.

Décortiquons le problème (Spoilers: il faut avoir vu l'épisode pour comprendre la suite).

L'histoire reste logique jusqu'à mi-parcours. A ce moment, le Docteur et Amy sont ingérés par le monstre, pour atterrir dans sa bouche gluante. C'est le sort réservé aux contestataires et aux citoyens de seconde zone... Sauf que, voilà, en quelques pas et une ellipse "cut", nos héros s'en échappent sans égratignures. Pourquoi eux et pas tous les autres? Il ne leur a pas fallu beaucoup d'efforts pour regagner le haut de la ville. C'est donc une incohérence, que Moffat a laissé passer au profit d'un beau gimmick: le toboggan qui tombe dans la morve, clin d'oeil à la saga Star Wars.

L'autre incohérence concerne les "Smilers" (les automates rieurs). Ils n'ont de cesse de pourchasser le Docteur et Amy. Or, on apprend qu'ils sont censés obéir à la reine. Reine qui, elle-même, doit sortir ses revolvers pour sauver le Docteur des Smilers. Aucune explication ne nous est donnée, et si les fans les plus assidus élaborent une théorie qui explique tout, elle serait au mieux confuse. C'est n'est pas suffisant pour un élément aussi central de l'histoire. Si Moffat avait, dans sa tête, une explication à tout cela, il aurait du nous l'exposer un peu plus clairement.

La troisième incohérence est la plus grave: à la fin de l'épisode, on apprend que la "bête" qui transporte la ville aide les humains volontairement! Ce qui rend toute tentative de captivité inutile. Et donc, toute l'historie en devient caduque. Ni le gouvernement ni la reine n'avaient d'intérêt à torturer la bête et à instaurer ce régime de l'oubli. Moffat ne nous explique pas pourquoi ils en sont arrivés là. On a l'impression d'avoir vu un épisode "pour du beurre". C'est très frustrant!

Là encore, j'accuse Moffat et son utilisation de "gimmicks" scénaristiques. Il vendrait père et mère, et surtout cohérence, pour un bon mot, une bonne scène, une bonne idée. Mais il oublie que dans un scénario, les bonnes idées ne valent que si et seulement si elles s'intègrent bien dans l'intrigue globale. Vouloir les faire entrer au forceps, c'est l'assurance d'une histoire bancale, comme ce médiocre "Beast Below".

Hélas, la faute est encore commise dans les épisodes suivants. Je passe sur l'infecte retour des Daleks, qui aura certainement dégoûté plus d'un fan, pour m'arrêter sur le cas intéressant des Anges Pleureurs. Dans Blink, ils étaient terrifiants! "Ne cligne pas des yeux!", répétait alors le Docteur. "Cligne des yeux et tu meurs!". Les règles du jeu étaient simples, fatales, et terriblement excitantes!

Leur retour était donc attendu au tournant. Moffat le savait: l'effet de surprise éteint, il devait enchérir. Ca donne un double-épisode très intense, avec de bons moments, mais là encore, une incohérence monstre: pour survivre, Amy doit désormais... garder les yeux fermés! "Ouvre les yeux et tu es morte!" C'est tout de même un peu difficile à avaler, et - si ça fonctionne plus ou moins pour l'épisode - c'est en totale contradiction avec ce que l'on connaissait des Anges. Pas sympa pour les téléspectateurs fidèles.

Je pense que toutes ces incohérences viennent de la façon de Moffat d'imaginer un scénario. Je le soupçonne d'avoir d'abord les idées de scène choc, et de les enrober ensuite dans une histoire. Cela explique le nombre important de bonnes idées astucieuses (ces fameux "gimmicks") et les intrigues bancales. Ce n'est pas la bonne démarche à mon avis.

Toutes les meilleures idées du monde ne sont pas gratifiantes si elles ne sont pas portées par une histoire qui ait du sens. Le scénariste est un créateur de sens. Si l'on retire cet élément, l'impact émotionnel ne se fait pas. Le spectateur "sent" les ficelles, il sait qu'il est face à un monde artificiel.

Un gimmick, c'est comme une pute: ça fait plaisir sur le moment, mais, souvent, en rentrant à la maison, on regrette.

2 commentaires:

Mamane a dit…

Bonjour ! Je trouve cet article très intéressant mais je dois avouer ne pas être du tout d'accord avec toi, ce pour plusieurs raisons :

-L'échappée du Docteur et d'Amy de la bouche de la baleine Stellaire, une incohérence ? Pas forcément : je crois que rares étaient les victimes qui avaient de quoi faire vomir la bête, pas toi ? Ce n'est pas plus improbable (bien au contraire) que tous les rebondissements que Davies a pu faire (l'exemple type étant la fin de la saison 2 avec l'équipe de l'univers parallèle arrivant JUSTE au bon moment pour dézinguer les cybermen puis Peter Tyler arrivant également juste au bon moment pour sauver Rose du Void). Quant à la remontée sans problème, à partir du moment où ils étaient avec Liz 10... je ne vois pas le problème.

-La théorie des Smilers a été mal comprise : ce n'est pas à la Liz 10 que le Docteur rencontre qu'ils obéissent mais à la Liz 10 qui a mis en place le Starship UK 300 ans auparavant. C'est elle la figure d'autorité supérieure... de là l'attitude des smilers me semble tout à fait cohérente.

-La baleine est venue d'elle même : où est l'incohérence ? Je veux dire, le gouvernement n'avait absolument pas pensé à cette éventualité à l'époque où elle est arrivée. Leur première préoccupation a été de la capturer pour ensuite l'utiliser : comment auraient-ils pu savoir alors qu'ils étaient incapables de communiquer avec elle ? Ils n'ont même pas cherché à comprendre pourquoi elle était là ! Amy n'a compris que parce qu'elle pouvait faire un parallèle avec le Docteur … ceux qui ont construit le Starship UK, eux, n'avaient hélas pas de référentiel pour réaliser les véritables intentions de la baleine.

The Beast Below est un épisode solide et très cohérent, c'est juste que tu n'as pas pris le temps de bien réfléchir … tout était pourtant bien clair.

Quant au reste, je crois que les autres épisodes de la saison t'auront prouvé qu'au contraire Moffat n'a rien perdu de sa superbe ? (en témoignent tout particulièrement les deux épisodes finaux qui sont juste admirables ?)

Nicolas Van Peteghem a dit…

Merci pour les commentaires! Effectivement, j'ai admis à la fin de la saison que j'avais été un peu sévère avec Moffat (voir http://auteurinspire.blogspot.com/2010/06/limpasse-culturelle-francaise.html ).

Ceci dit, peut etre que si l'on peut effectivement trouver une explication à tout ça, et même en revoyant les épisode une deuxième fois pour être sûr que j'étais pas sous Valium à la première vision, il y a quelque chose qui me gène... et que j'ai du mal à m'expliquer.

Peut-être que DrWho a perdu un peu de sa naïveté (clairement, si j'en viens à ne pas comprendre les épisodes, c'est que quelque chose à changé!) et cette naïveté rendait la période Davies plus charmante (avec l'aide de Billie Piper, of course).

Ce qui est sûr par contre, c'est que les épisodes que j'ai aimé (Eleventh Hour, Hungry Earth/Cold Blood, Dr & Vincent, Pandorica Opens) torpillent à mon avis tout ce que Davies a pu produire en terme de qualité.

Après, oui, on peu discuter sur un épisode comme The Beast Below... je me suis ennuyé en le regardant, que la logique suive ou pas. Ce qui n'est pas le cas, par exemple, du double épisode sur les Anges Pleureurs, où on s'ennuie pas une seconde.

En conclusion: oui, j'entend bien tes commentaires, j'avoue que j'ai eu la main un peu lourde, mais je n'aime toujours pas cet épisode ;-)

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