Télérama publie un article sur l'état du cinéma d'auteur à la Française. Constat d'échec et appel à la rescousse, l'article est intitulé "Il faut sauver le cinéma d'auteur".
Pouah! Quelle horreur!
Je suis plutôt du côté de ceux qui pensent qu'il vaut mieux laisser le cinéma d'auteur mourir de sa belle mort. Etre obligé de venir à sa rescousse pour le "sauver" à coups de campagnes d'informations ou de leçons sur la culture ou que sais-je, c'est vraiment le signe qu'il est trop tard et que le mal est incurable.
L'article démontre assez bien le fossé immense qui sépare les critiques du public. Et pas simplement le "grand public imbécile", qui se rue sur les navets habituels. Non, non, même le public plus cultivé boude les films d'auteurs français.
D'après moi la réponse est simple: ces films sont juste très mauvais. Point.
Mais ce serait insuffisant d'en rester là.
Je tiens à démonter tous les arguments de Télérama, un par un. Parce que j'ai du temps à perdre. Mais aussi, parce que j'ai l'impression que les critiques - dont la journaliste de Télérama - ne comprennent pas l'ampleur du phénomène. Ils pensent profondément que le public est un peu con, et qu'avec la bonne éducation il reviendra vers le cinéma d'auteur.
C'est faux. Le grand public n'est pas con, il est juste fainéant. Mais il distingue relativement bien ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. Un bon film finit toujours (non, allez, souvent) par trouver son public. Un chef-d'oeuvre méconnu, ça n'existe pas. C'est un fantasme. Si c'est méconnu, c'est pour une bonne raison.
Décortiquons les arguments dans l'ordre:
L'article donne un liste de critères qui peuvent participer au succès d'un film au box-office:
- une franchise/adaptation
- un prix dans un festival
- un bon casting
- une bonne promo
- un sujet fort
Et puis de se plaindre que les films qui ne bénéficient pas de l'un de ces éléments se rétament en salles. Bah, oui: un film qui n'a pas un bon casting, ni un bon sujet, qui ne se distingue pas dans les festivals, je suis pas certain qu'il mérite vraiment le succès! Les festivals sont justement là pour "repêcher" les bons films sans promo. Si même les festivals n'en veulent pas, peut être que le problème est à chercher du côté de la qualité du produit.
Ensuite, la journaliste se demande pourquoi le "miracle" de petits films d'auteur tels que Mammuth, de Délépine (800 000 entrées), ne se produit pas plus souvent. Parce que faire un bon film c'est pas si facile, alors ça n'arrive pas tous les jours. Ceci dit, c'est pas un miracle, c'est du savoir faire et du talent. Rien de surnaturel là dedans.
Plus loin, on s'interroge sur l'influence des magazines comme Télérama sur le choix des spectateurs. Ils semblent ne plus faire confiance au critiques! Ah! Enfin! L'empereur est nu! Evidemment que les critiques à l'ancienne, dans Télérama ou les Inrocks, ne pèsent plus du tout dans le choix des spectateurs. Leur avis est souvent biaisé, forgé par des années de combat contre le cinéma commercial, envers et contre tout bon sens, prêt à encenser le moindre film fauché - même médiocre - et à vouer aux gémonies un honnête film hollywoodien. Il ne faut pas s'étonner de la méfiance des lecteurs: ils en ont marre qu'on les prennent pour des pantins.
Et surtout, ce qui a changé depuis l'époque où Télérama pouvait encore avoir de l'influence, c'est Internet: les critiques sont désormais rassemblées dans des agrégateurs comme IMDB ou Rotten Tomatoes, qui sont à la critique cinéma ce que Google est à la recherche bibliographique, c'est-à-dire une révolution.
Désormais, l'avis isolé d'un vieux gusse frustré dans son bureau parisien ne compte plus. C'est l'avis de la masse qui compte. Et la masse, honnêtement, ne se trompe que très très très rarement.
Petite expérience: prenons deux films très différents et comparons les critiques:
1) The Social Network, probablement le film de l'année 2010.
Les critiques ont été plutôt bonnes, pas vrai? Allons voir ce que dit IMDB: à l'heure où j'écris ces lignes, 8.2/10, soit une excellente note. Que dit Rotten Tomatoes? 97%, bref un chef d'oeuvre!
Allons maintenant jeter un coup d'oeil aux critiques de la presse française. Ca va de "chef d'oeuvre", jusqu'à... "The Social Network" (...) ne provoque ni excitation ni ennui véritable, comme si Fincher avait épuisé dès ses premières minutes le potentiel d'un personnage dramatiquement faible (...).
Si vous ne lisez que Charlie Hebdo, vous venez de manquer le meilleur film de l'année.
2) Fatal, de Michael Youn, probablement pas le film de l'année 2010 (mais moi perso j'ai bien aimé)
IMDB: 5.9/10 - pas infamant, mais pas terrible.
Le Journal Du Dimanche dit: "On l'avoue : on a ri, beaucoup et souvent (...). Sa satire saignante et pertinente du monde de la musique et des médias prouve que derrière l'as de la provoc' se cache un auteur inspiré."
Alors que Le Monde dit: "Le comique trash et régressif de Michaël Youn, ex-star du petit écran, passe-t-il le cap du cinéma ? (...) c'est désormais, hélas, une certitude : la réponse est non."
Bref, les notes sur Internet ne se trompent presque jamais. C'est statistique, et vouloir se battre contre les statistiques, en "poussant" un mauvais film d'auteur dans les pages de son magazine, c'est un combat digne de Don Quichotte.
L'article se perd ensuite dans des considérations sur la curiosité, l'envie de découvrir, et va jusqu'à se demander quel est le rôle du cinéma. Inutile: le public va vers ce qu'il aime bien. Il veut bien être curieux si on lui donne un minimum d'os à ronger, mais il n'est évidemment pas suicidaire. Entrer dans une salle obscure en ayant choisi un film d'auteur au hasard est une expérience très angoissante que seuls les plus téméraires osent entreprendre.
Les autres spectateurs sont effectivement des suiveurs. Mais ils suivent bien: les bons films, même d'auteur, même français, même à petit budget, peuvent tout à fait cartonner. L'unique condition, c'est qu'ils soient bons. Et je n'ai pas besoin de citer les nombreux exemples (la journaliste parle de miracles, mais il s'en produit plusieurs chaque année tout de même).
A la fin de la l'article, le pire côtoie le meilleur.
Le meilleur, c'est le regard lucide d'un intervenant, qui annonce platement, comme moi, que ces films sont mauvais. Il fallait le dire et peut être pas en fin d'article.
Le pire, c'est quand ce même intervenant annonce que la solution se situe dans la formation des cinéastes! C'est à mon avis de la folie pure! Les écoles de cinéma sont justement les premières responsables de ce cinéma d'auteur élitiste et chiant! Au secours! Il est stupide de penser qu'une formation peut donner de l'inspiration à ces cinéastes. Il faut surtout changer d'état d'esprit sur la dichotomie entre le cinéma d'auteur et le cinéma commercial. Il faut rapprocher les deux. Arrêter de porter le cinéma d'auteur aux nues comme une espèce de patrimoine culturel intouchable, et arrêter de voir le cinéma commercial comme un mauvais démon.
Le cinéma commercial peut avoir plusieurs degrés: du pur blockbuster, ça il y en aura toujours. Mais on peut aussi faire un film plus subtil et sensible, sans se couper de son public comme un auteur autiste. Essayer d'écrire des scénarios en 3 actes avec un début un milieu et une fin, ça oui, c'est une première étape dans le dialogue qui doit relier tout artiste avec son public. Ne pas toujours ressasser les même thèmes. Oser la légèreté. Casser les codes. Penser latéralement. Oui, les solutions sont innombrables.
Mais vouloir "sauver le cinéma d'auteur", dans le sens où l'on voudrait sauvegarder une façade en ruine d'un bâtiment classé au patrimoine, c'est vraiment une très mauvaise opération. Laissons-le mourir tout seul, et si son absence se fait remarquer, une autre forme de cinéma prendre sa place. Et c'est tant mieux.
1 commentaire:
En effet, parfaite synchronicité! Et très bonne réponse.
Ça en fait au moins trois en tout, il y a aussi eu celle-là: http://lafabriquedescenarios.blogspot.com/2011/01/telerama-vole-au-secours-du-cinema.html
Comme par hasard, des écrivants!...
(Au passage, félicitations pour ce très intéressant "pitch project"!)
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