09 février 2011

30 Rock Rocks!

J'ai déjà évoqué la sitcom américaine 30 Rocks à plusieurs reprises, je vais aujourd'hui faire une analyse plus détaillée de l'épisode pilote. Je vous conseille de vous procurer une copie du script pour suivre avec le texte original sous les yeux. Il faut évidemment savoir lire l'anglais (ce qui, en 2011, dans une société mondialisée, est fort recommandé).

Comme toujours, la première séquence de "pré-générique" (cold opening, en VO) est cruciale: il faut planter le thème de la série toute entière en moins d'une minute, et faire rire environ cinq fois (d'après mes calculs statistiques savants).

Dans le pilote de 30 Rock, c'est le personnage de Liz Lemon que nous suivons en premier lieu. Le choix est fait de nous la montrer *hors* de son lieu de travail habituel, avec pour but de se concentrer sur son caractère et ses manies de psycho-rigide "control-freak". Comme il faut le faire rapidement, l'auteur Tina Fey a choisi de mettre Liz face à deux petits conflits de la vie quotidienne:

- des dames qui bloquent le chemin en discutant devant une porte.
- un sale type qui dépasse tout le monde dans la file.

C'est très bien joué: un conflit simple à comprendre et surtout rapide à mettre en place (c'est un instantané, ce qui convient au rythme de la sitcom).

Nous pouvons donc nous concentrer sur les réactions de Liz pour mieux la connaître: elle va finir par acheter tout les sandwiches du magasin pour couper l'herbe sous le pied du vilain dépasseur, quitte à faire enrager tous les autres gens dans la file. C'est là que nous levons un coin du voile sur la personnalité de Liz: plutôt le déluge qu'une injustice!

La situation génère assez de conflit pour faire éclore les cinq rires requis.

Après le générique, nous découvrons le lieu de travail de Liz (les studio NBC). Nous faisons la connaissance de l'assistant Kenneth, puis des scénaristes. Chaque fois que l'on arrive sur un nouveau personnage, il faut une vanne: c'est mécanique. La vanne permet de garder le rythme de 5 rires/minute, mais aussi de fixer de façon rapide le caractère du personnage. Les blagues jouent donc double rôle et font avancer le récit.

Exemples:
- On apprend que Kenneth est fan de télévision car il connaît toutes les séries pour filles.
- Toofer et Frank sont des pervers car ils parient sur l'arrière-train de Sarie, la jolie assistante.
- Pete, le producteur blasé, est prêt à écouter les histoires gnangnantes de Liz pour un sandwiche gratuit.
- Liz, elle, est toujours très fière d'avoir racheté tous les sandwiches du magasin et veut s'en vanter, mais tout le monde s'en fiche.

Quelques échanges d'amabilités rigolotes nous mènent à l'incident déclencheur de cet épisode: Liz et Pete montent à l'étage pour voir le directeur et lui faire une liste des doléances (machine à café, sodas, snacks, etc.) sauf que ce brave homme est mort. Et il est remplacé par Jack Donaghy, un irlandais aux dents longues qui a d'autres plans en tête.

Comme d'habitude, sa première intervention est drôle:
JACK: "Je suis Jack Donaghy, vice-président du développement pour NBC/Vivendi/Universal/Auchan"
LIZ (étonnée) : "Ah! On a racheté Auchan maintenant?"
JACK: "Non, alors pourquoi vous êtes habillés comme si c'était le cas?!"

Remarquez comme le type d'humour *DEPEND DU PERSONNAGE*. C'est extrêmement important. Jack Donaghy est un "corporate man" très chic, costard cravate, sans coeur: son humour est donc logiquement très sec, très corporate. Alors que des personnages comme Frank ou Pete seront plus vulgaires et porté sur le sexe.

Tina Fey joue très bien avec ses différents personnages pour créer une palette d'humours différents. On avait vu dans Friends comment les personnages étaient complémentaires (la blonde, le rigolo, le sérieux, etc.). C'est le même principe qui est à l'oeuvre ici, avec l'avantage que la catégorisation des "types" de personnages est beaucoup moins évidente. La grosse ficelle est mieux dissimulée, ce qui caractérise l'art bien fait.

Prochaine entrée en scène: Jenna DeCarlo (qui sera renommée Jenna Maroney dans la version finale). On comprend déjà ce qui va se passer: sa première apparition à l'écran sera la définition de ce qu'elle sera tout au long de la série. C'est vraiment une technique importante à retenir: on instaure le thème dés la 1ere entrée du personnage. Et le thème pour Jenna, c'est son rapport ambigu à la célébrité: elle est prête à tout pour attirer l'attention, mais elle est incapable de gérer ça convenablement (dans ce pilote, elle arrive beurrée face au public).

Cut vers le bureau de Donaghy, où il accepte les doléances de Liz en échange d'un petit aménagement dans son show: l'arrivée d'un nouvel acteur, le pathétique Tracy Jordan, bouffon imprévisible et chahuteur.

Le personnage de Tracy Jordan est la cerise sur le gâteau de la comédie. Pour le moment nous avions une situation initiale bien pépère: des auteurs, certes comiques, qui créent un show avec leur patronne Liz, qui est comique. Ils ont un nouveau patron, pas très comique. Jusque là, pas de quoi s'extasier, les patrons vont et viennent sans que rien de spécial de ne passe. Ce qui va vraiment changer, que dis-je, bouleverser leur univers, c'est l'arrivée en fanfare de Tracy Jordan.

Cette modification de la situation initiale est un élément à ne pas oublier dans les sitcoms. On croit souvent, à tort, que les sitcoms racontent la vie "habituelle" de quelques personnages. En réalité, non, elle raconte leur *réaction* à un changement du quotidien.

Dans Friends, l'élément qui change toute la dynamique du groupe, c'est l'arrivée de Rachel (dont Ross tombe immédiatement amoureux).
Dans How I met Your Mother, c'est la rencontre avec Robin qui va lancer le récit.
Dans Big Bang Theory, c'est le déménagement de Penny qui modifie les relations.

Et bien, pour 30 Rock, le moteur du changement, c'est Tracy Jordan.

C'est un personnage haut en couleurs, avec des gags plus évidents: ils réagit toujours de manière inattendue. C'est systématique. On nous le présente comme un fou furieux, et face au public, il a les mots qu'on attend d'une mère Thérèsa.

En résumé, le pilote à mis en chantier TOUS les thèmes qui traverseront la série, elle a fixé le décor, montré le caractère des personnages sans s’appesantir sur des séquences d'exposition très longue: tout est amené par des situations conflictuelles.

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