19 mars 2011

La sitcom en France: l'exemple de "H"

La télévision française n'a jamais brillé par ses sitcoms. Le genre est probablement mort en même temps que les productions lamentables des studios AB, à qui l'on doit, entre autres, Le miel et les abeilles, Hélène et les garçons, ou encore Les filles d'à côté. C'est sûr qu'avec un pedigree pareil, les sitcoms étaient mal embarquées pour plaire dans l'hexagone.

Il y a eu des tentatives. La première qui, à mon sens, a vraiment bien fonctionné, c'est "H", qui était diffusée sur Canal+ fin des années '90. Hélas, la série a été arrêtée après quatre saisons et on attend toujours un remplaçant digne de ce nom.

J'ai toujours eu l'impression que H était sous-estimée. Mais ce n'est qu'une impression: en réalité, tous ceux impliqués dans la série ont connu la gloire et le succès après son arrêt. C'est la preuve que Canal+ tenait là une formule réussie.

J'avais lu à l'époque que les auteurs de "H" avait visité les studios américains pour s'inspirer de leurs méthodes d'écriture et de réalisation. Riche idée: ce sont sont les meilleurs. Toutefois, il y a des différences entre l'humour américain et français. Un copié-collé ne peut pas fonctionner de ce côté de l'océan. La structure de la langue, les références culturelles différentes, les modes de vie opposés ne le permettent pas.

Comment les auteurs de H s'y sont-ils pris pour réussir leur coup? J'ai analysé l'épisode pilote et essayé de dégager des tendances et des méthodes de travail.

Personnages
Dans les articles précédents, nous avions vu que les personnages d'une sitcom doivent être bien différenciés et complémentaires pour activer l'humour. De plus, leur entrée dans l'épisode pilote se doit de les définir rapidement et efficacement.

C'est bien le cas dans H.

Les trois garçons sont des infirmiers glandeurs qui passent leur temps à ne pas travailler:
- Aymé est le dragueur foireux. Dés sa première apparition il se prend un râteau. Il est en recherche constante d'attention. C'est un naïf.
- Jamel est le petit rusé des quartiers. On ne la lui fait pas, mais il manque totalement de classe et de savoir-vivre. Il sera le principal vecteur de gags grâce à son physique comique et sa diction aléatoire.
- Sabri est, dans ce premier épisode, le plus posé des trois garçons. Il est en quelque sorte le clown blanc. Ce rôle changera au fil des épisodes, où Sabri deviendra le plus stupide des trois garçons.

Du côté des filles, Béa est l'infirmière moche, timide et sympathique, trop bonne trop conne.
Clara est l'infirmière en chef, hautaine, autoritaire, sûre d'elle, prétentieuse et vraiment pas sympathique. Elle aura le rôle de contrepoids face aux garçons. Dés son entrée dans la série, elle dit du mal des autres.

Nous avons bien des personnalités différenciées, bien amenées pour la plupart, esquissées en quelques répliques. Tous ces personnages sont des gens médiocres, ce qui convient bien à l'humour.

Intrigues
Comme dans la plupart des sitcoms, plusieurs intrigues sont entrecroisées dans cet épisode.

Intrigue A: Clara est jalouse car elle n'a pas été invitée à l'anniversaire de Sabri.

Intrigue B: Sabri a utilisé les timbres de collection de son patron pour envoyer les cartons d'invitation de son anniversaire. Il doit absolument les récupérer avant que la poste ne les expédie.

Intrigue C: Aymé doit passer la nuit dans le même lit que Béa.

On remarque immédiatement le côté conflictuel de ces intrigues, et le fait qu'elles fassent appel aux caractéristiques des personnages. On est donc sur la bonne voie, puisque même les sitcoms ne peuvent pas se passer du conflit, le moteur de toute histoire.

Notez bien qu'une sitcom ne doit pas se résumer à un enchaînement de bons mots. Il FAUT amener les gags par une nécessité de l'intrigue. C'est ce que permet le conflit, qui oblige les personnages à entreprendre des actions qu'ils ne feraient pas normalement.

Sources du rire
J'ai fait mes calculs habituels: il y a 130 tentatives de "gags" (au sens large) sur 25 minutes d'épisode, soit une moyenne de 5,2 rires à la minute. On est au-dessus des 4,5 rires du pilote de Friends, mais la qualité générale des rires est un peu en dessous. En réalité, sur ces 130 tentatives, environ 70 font mouche.

La langue française ne permet pas de faire les mêmes gags que l'anglais. Les mots étant généralement composés de plus de syllabes, il est très difficile de faire une "chute choc". Ce que j'appelle une "chute choc", c'est quand le rire arrive sur une syllabe précise, comme un couperet. La langue française se prête moins au sens de la formule, et plutôt à un rire diffus, amené par un malaise de la situation.

Or, une sitcom nécessite ces temps de rire précis, de par son format (ils faut bien que les rires enregistrés rythment l'épisode à un certain tempo). Les auteurs de H ont donc trouvé des solutions grammaticales.

1) les anglicismes
Si l'anglais se prête mieux aux formules choc, pourquoi s'en priver? Nous avons donc droit à l'anglais approximatif d'Aymé, qui reprend des formules hollywoodiennes. Elles font mouche dans 100% des cas. C'est extrêmement efficace, et peut importe le contenu de ce qu'il dit: sa prononciation foireuse suffit.

2) les barbarismes
Jamel, le petit furet des cités, n'a jamais vraiment appris le Français correctement. Il va donc émailler ses propos d'impropriété de langage, des barbarismes et autres solécismes, qui sont toujours hilarants. Ici, c'est la ressemblance phonétique entre le mot correct et le barbarisme qui provoque le rire.

Exemple:

PR. STRAUSS
Si je retrouve le malandrin qui a volé mes timbres, je le tue!

JAMEL
Malandrin... Malandrin... Vous auriez pas son prénom?

Mais les tics de langue ne sont évidemment pas les seuls moyens pour faire rire. Un grand classique de l'humour français (que l'on retrouve moins dans les sitcoms américaines), c'est la réaction de chacun face à l'autorité. Et, surtout, l'abus d'autorité. On pense immédiatement à l'héritage de Louis de Funes, qui excelle dans le rôle du "petit chef". Ici, c'est Clara qui reprend le flambeau de l'autoritaire cruelle.

Il y a évidemment des gags de toutes sortes (observation de la vie quotidienne, parodie de films, gags visuels, etc.) Je les ai classé en plusieurs catégories pour les compter. Voici un compte rendu des sources de l'humour dans l'épisode pilote de H:


Avec des personnages médiocres (les "losers" sur le graphique), la majorité des gags proviennent de leurs réactions toujours à côté de la plaque face aux évènements. Lorsqu'ils entreprennent quelque chose, ils s'attendent à des résultats bien différents de ce que quelqu'un de normal peut espérer. Chacune de leurs interventions leur permet d'exprimer leur médiocrité.

Exemples:

SABRI
Les timbres sont encore dans la boîte aux lettres. On peut les récupérer.

JAMEL
Oui, tu as juste besoin des clés et c'est bon.

SABRI
Oui, c'est tout.

JAMEL
Et bien voilà, tout s'arrange!

SABRI
Oui!

JAMEL
T'as les clés?

SABRI
Non!

Ou encore:

JAMEL
Ce soir, je vais au McDonald.

SABRI
Wow tu sors le grand jeu à une fille toi! Menu BestOf, grande frite, grand coca!

Le reste des gags se partagent entre les sous-entendus coquins que Aymé fait subir à Béa, humour facile mais efficace, et puis les quiproquos entre Aymé et Clara: il pense qu'elle est open pour une partie à trois, elle pense qu'il parle d'une surprise party pour l'anniversaire. Un grand classique inusable.

Défauts
Malgré cette pléthore de gags, l'épisode souffre tout de même de quelques défauts.

1) Avec ses 25 minutes, l'épisode est un peu plus long que les sitcoms américaines (qui tournent autour de 21-22 minutes). Les 3 minutes de différence se ressentent dans une légère baisse de rythme. Certaines scènes servent clairement à faire avancer l'intrigue sans pour autant amener des gags. C'est quasiment interdit dans l'écriture des sitcom: le temps mort n'est pas autorisé.

2) Les scènes ne se terminent pas par le meilleur gag, ce que les américains appellent "the button". Il vaut mieux terminer chaque scène par une chute, pour faire la transition dans les rires, plutôt que dans le silence. Cela participe beaucoup au sentiment de rythme: on n'a pas le temps de "sentir" les scènes arriver; à peine a-t-on repris son souffle que la suite est déjà commencée. Or, par la structure du langage français, les scènes de H se terminent souvent par un creux.

3) Les personnages ne sont pas du tout réalistes. Il n'y a pas vraiment la place pour les sentiments ou l'identification dans H. Alors que Friends, certaines scènes jouaient la cartes d'un réel romantisme ou d'une intimité sérieuse avec les personnages, H reste dans la zone superficielle de l'humour. C'est un choix artistique (Arrested Development l'a fait également) qui explique peut-être la courte durée de la série. Les spectateurs ont besoin de se reconnaître un minimum dans les protagonistes pour les suivre au long terme.

Conclusions
Les auteurs de H ont à mon avis, percé le secret d'une sitcom à la Française. Avec un casting de rêve, des gags plus ou moins corrects, des bons personnages, ils ont trouvé un équilibre instable. Dommage que personne n'ait vraiment tenté de les imiter.

En effet, les autres sitcoms françaises (je pense aux short-coms, à Fais pas ci, fais pas ça) s'éloignent beaucoup du modèle américain, au détriment d'un format qui favorise vraiment le nombre de rires à la minute. C'est, en fin de compte, le plus important: est-ce qu'on se marre en regardant cette série? Pour "H", la réponse est oui!

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