Le scénariste Antoine de Froberville pousse un coup de gueule dans le Huffington Post: les scénaristes écrivent pour gagner leur vie, pas pour passer des concours! En effet, de plus en plus de petites maisons de production tentent d'attirer le chaland en sous-traitant l'étape de l'écriture par le biais d'un concours.
Du coup, plus besoin de chercher ou d'engager un auteur: il suffit de laisser venir à soit les novices attirés par l'esprit de compétition. L'ironie, c'est que le prix pour l'heureux gagnant est dérisoire, en général bien en deçà du minimum syndical qu'un véritable scénariste est en droit d'exiger.
Ce qui pose un réel problème: si les scénaristes professionnels se font doubler par des petits jeunes sous-payés, ils meurent. Et les petits jeunes, vainqueurs du concours? Ils s'en viennent et s'en vont comme une denrée périssable. C'est la précarité pour tous.
Tout cela n'est pas nouveau.
D'ailleurs, si j'en parle, c'est uniquement parce que moi-même j'ai succombé à l'attrait des concours, il y a plusieurs années. Petit retour en arrière...
Nous sommes en 2003. J'ai 18 ans et je rêve de devenir scénariste. Mais en Belgique, à part deux écoles de cinéma (qui ne veulent pas de moi), les chemins pour y arriver semblent pour le moins sinueux. J'écrit donc "on spec" avec la naïveté et l'entrain du débutant.
Non seulement mon rythme d'écriture est très rapide (ne connaissant rien à la dramaturgie, je ne me pose aucune question) mais les premières critiques sont plutôt bonnes. J'étais à l'époque inscrit sur le site version-finale.fr (un site aujourd'hui disparu, et c'est dommage) où les visiteurs pouvaient critiquer librement tous mes scénarios. Ce n'étaient ni mes amis ni ma mère, et ils étaient pour la plupart élogieux, et à tout le moins, gentils. Je me croyais donc sur la bonne voie.
M'étant forgé la conviction que mon avenir professionnel se joue sur le terrain scénaristique, je commence à élaborer des plans de carrière. Mais, comme je le disais, en Belgique, il n'est pas question de "monter à la capitale" pour montrer son travail à un producteur: il n'y en a tout simplement pas.
Je suis à deux doigts de perdre espoir, lorsque je vois à la télévision une publicité pour un grand concours de scénario. Je soulève un sourcil. Le jury est composé de professionnels du cinéma, dont Alain Berliner, réalisateur de Ma vie en rose, un très bon film belge des années 90. Là, je soulève deux sourcils.
Lorsque, plus tard dans la journée, ils parlent du concours au journal télévisé, je suis carrément convaincu: "CinéQuest", du nom du concours, c'est une grosse machine, ils promettent de produire le scénario du gagnant, et les conditions de participation sont favorables, c'est à dire: ils veulent un "film de genre" moderne, et, mieux que tout, pour participer, c'est gratuit.
Je m'attèle donc à la tâche et j'écris un scénario fantastique, qui me semble, du haut de mes 18 ans, totalement génial. J'envoie le manuscrit et j'attends.
Bon, il se fait que je n'ai pas gagné, mais mon histoire ne s'arrête pas là. Loin de là...
Les mois passent, le gagnant est annoncé, bravo pour lui. Le projet retombe dans l'oubli. Ils sont sûrement en train de produire le fameux film promis, me dis-je ne toute naïveté.
Quelques années plus tard, alors que ce fameux concours m'est totalement sorti de l'esprit, je participe à l'écriture d'une série d'animation avec d'autres jeunes scénaristes. Nous nous sommes rencontrés via un forum internet, et notre écriture collective est très satisfaisante: l'émulation est à son comble, nous avons tous le même objectif.
Un midi, alors que nous mangeons un sandwich, nous discutons de nos parcours respectifs. "Pour ma part: pas grand chose, dis-je. J'ai vendu un petit scénario à RTL quand j'ai fait mon stage là-bas, pour une émission pour enfants..."
Un autre scénariste raconte: "Moi j'ai réalisé quelques courts métrages. Là j'ai reçu une aide à l'écriture du Fonds Flamand...."
Ok, très bien. On est plus ou moins au même niveau, pensais-je. Mais soudain, il rajoute:
"Ah oui, et aussi, il y a quelques années, j'ai gagné le concours CinéQuest."
Là, je tombe des nues! Ce scénariste débutant avec qui j'étais en train d'écrire avait eu exactement le même parcours que moi, sauf qu'il l'avait gagné, ce fameux concours! C'était lui le gagnant! Je ne l'avais pas reconnu! "Mais alors, qu'est devenu ce fameux film?" demandai-je.
L'histoire qu'il me fit des coulisses du concours fut assez calamiteuse pour le dégoûter des concours d'écriture à vie... En résumé: le promoteur du concours était un étudiant en business qui avait mis au point, avec l'argent de papa (un gros patron belge), un système fiscal avantageux pour lui, à condition de "faire du cinéma". Le fameux tax-shelter parlera peut-être à quelque-uns.
Bref, le margoulin avait réussi à réunir sous sa bannière des noms prestigieux, grâce à l'argent familial avait réussi à faire parler de son concours dans tous les médias, mais en réalité n'avait réellement l'intention de faire un film... Ou en tout cas, pas les moyens, ni logistiques ni intellectuels.
Le scénario écrit par mon camarade n'a jamais été exploité. Le concours s'es éteint de mort naturelle. Personne n'en a jamais plus parlé.
Qu'est-devenu le fameux producteur?
Il est resté producteur, de films obscurs direct-to-dvd dont personne n'a jamais entendu parlé. Il gagne probablement assez d'argent avec ses activités pour subvenir à ses besoins. En réalité, je pense qu'il n'était pas animé d'intentions mauvaises, il était juste trop incompétent. Il a surestimé ses forces. Et il a déçu pas mal de jeunes auteurs.
La morale? Dans ce genre de concours, le seul gagnant, c'est l'organisateur.
30 mars 2013
25 mars 2013
La Femis, concurrente du CEEA
La Femis, respectable école de cinéma, lance l'année prochaine une formation sur l'écriture des séries TV: un cursus à la mode, puisque c'est exactement ce que propose déjà le CEEA. J'ai vu ici et là des réactions plus ou moins enthousiastes à cette nouvelle; voici mon avis.
Les derniers rapports officiels sur la situation des scénaristes mettaient en avant un manque de formation, surtout en ce qui concerne les séries télé. La faible qualité des séries hexagonales s'explique, d'après les rapporteurs, par l'absence de véritable formation chez les scénaristes.
Je ne partage pas entièrement cet avis (beaucoup de rock stars n'ont pas fait de solfègre) mais il est néanmoins probable qu'une multiplication des formations entraîne une multiplication des talents, ne serait-ce que statistiquement. Ce vide va donc être (un peu) comblé... Mais comment et avec quels résultats?
La première question que l'on peut se poser est: la formation va-t-elle permettre un accès réel au marché du travail? Si l'on se base sur la concurrente (CEEA), la réponse est oui. On retrouve en effet pas mal d'anciens élèves du CEEA au générique de séries TV plus ou moins respectables. Avec sa réputation, La Femis a le potentiel de faire aussi bien.
Le risque, toutefois, est de proposer une formation plus abstraite, moins en prise avec les contraintes du marché. Là où le CEEA propose pragmatiquement des stages directement dans le pool d'auteurs de Plus Belle La Vie, créant de ce fait une expérience professionnelle inestimable, La Femis ne semble pas pour le moment mettre en avant un partenariat avec les diffuseurs. Affaire à suivre...
Deuxième question: cette nouvelle formation est-elle un "coup marketing" ou un véritable cursus de qualité? On le sait, de nombreuses écoles privées proposent des filières aux titres ronflants mais au contenu pathétique, souvent à prix d'or. La Femis a au moins l'avantage de ne pas être chère: subventionnée par l'Etat, elle ne coûte qu'environ 500€ par an. Difficile de parler d'un "coup marketing" dans ces conditions, surtout qu'elle ne prendra dans son giron que 12 élèves.
La qualité du cursus déprendra beaucoup des professeurs. La Femis promet, dans son dépliant publicitaire, l'encadrement par des "professionnels de haut niveau" ainsi qu'un "show-runner américain". La précision peut faire sourire, surtout en l'absence de nom. La formation semble en effet tournée vers les USA, promettant de "faire changer les usages figés de la profession". On peut apprécier l'intention, mais on restera sceptique sur les moyens.
Enfin, soyons pragmatiques, et posons-nous la vraie question: ais-je une chance de faire partie des 12 élèves?
Si vous avez déjà un diplôme de La Femis, apparement, oui: c'est la voie royale.
Si vous avez plus de 30 ans, il faudra prouver votre expérience professionnelle dans l'écriture narrative. Exemples cités: la BD, le cinéma, etc. La Femis étudiera alors votre dossier pour vous accorder une dérogation... L'ampleur de l'expérience professionnelle requise n'est pas précisée: dois-je être un réalisateur oscarisé, ou ais-je une chance avec mes trois courts-métrages? J'ai auto-édité mon roman, suis-je disqualifié d'office?
Si vous avez moins de 30 ans, vous êtes dans les conditions, mais il serait préférable, d'après le directeur, que vous ayez "une trentaine d'années..." Auquel cas il vous faudra demander la fameuse dérogation.
Donc, en fait, non: vous n'avez aucune chance de faire partie de 12 élèves. A demi-mots, La Femis avoue que la formation est réservée aux pros. D'après ma lecture des choses, inutile de gaspiller 100€ de frais de dossier pour tenter sa chance quand on n'a pas déjà une bonne expérience professionnelle en écriture.
Par exemple, même moi qui suis journaliste depuis des années, je ne tenterais pas le coup: la barrière à l'entrée me semble beaucoup plus haute qu'au CEEA (et même si je n'y suis pas entré, j'ai vu des potes d'expérience équivalente y entrer).
On peut déjà tirer une conclusion de tout ça: cette nouvelle formation a été annoncée un peu à la va-vite, sans trop réfléchir au comment. Les conditions d'admission sont floues, les moyens mis en oeuvre très abstraits, et les ambitions affichées un peu irréalistes.
Du côté des points forts, La Femis a très bonne réputation, le cursus semble alléchant, et, je cite, la présence du fameux "show-runner américain". La première année sera probablement pour les élèves une aventure rigolote (inaugurer une filière universitaire tient toujours de la cabriole) mais où l'activité principale sera l'essuyage de plâtres. Wait and see!
Les derniers rapports officiels sur la situation des scénaristes mettaient en avant un manque de formation, surtout en ce qui concerne les séries télé. La faible qualité des séries hexagonales s'explique, d'après les rapporteurs, par l'absence de véritable formation chez les scénaristes.
Je ne partage pas entièrement cet avis (beaucoup de rock stars n'ont pas fait de solfègre) mais il est néanmoins probable qu'une multiplication des formations entraîne une multiplication des talents, ne serait-ce que statistiquement. Ce vide va donc être (un peu) comblé... Mais comment et avec quels résultats?
La première question que l'on peut se poser est: la formation va-t-elle permettre un accès réel au marché du travail? Si l'on se base sur la concurrente (CEEA), la réponse est oui. On retrouve en effet pas mal d'anciens élèves du CEEA au générique de séries TV plus ou moins respectables. Avec sa réputation, La Femis a le potentiel de faire aussi bien.
Le risque, toutefois, est de proposer une formation plus abstraite, moins en prise avec les contraintes du marché. Là où le CEEA propose pragmatiquement des stages directement dans le pool d'auteurs de Plus Belle La Vie, créant de ce fait une expérience professionnelle inestimable, La Femis ne semble pas pour le moment mettre en avant un partenariat avec les diffuseurs. Affaire à suivre...
Deuxième question: cette nouvelle formation est-elle un "coup marketing" ou un véritable cursus de qualité? On le sait, de nombreuses écoles privées proposent des filières aux titres ronflants mais au contenu pathétique, souvent à prix d'or. La Femis a au moins l'avantage de ne pas être chère: subventionnée par l'Etat, elle ne coûte qu'environ 500€ par an. Difficile de parler d'un "coup marketing" dans ces conditions, surtout qu'elle ne prendra dans son giron que 12 élèves.
La qualité du cursus déprendra beaucoup des professeurs. La Femis promet, dans son dépliant publicitaire, l'encadrement par des "professionnels de haut niveau" ainsi qu'un "show-runner américain". La précision peut faire sourire, surtout en l'absence de nom. La formation semble en effet tournée vers les USA, promettant de "faire changer les usages figés de la profession". On peut apprécier l'intention, mais on restera sceptique sur les moyens.
Enfin, soyons pragmatiques, et posons-nous la vraie question: ais-je une chance de faire partie des 12 élèves?
Si vous avez déjà un diplôme de La Femis, apparement, oui: c'est la voie royale.
Si vous avez plus de 30 ans, il faudra prouver votre expérience professionnelle dans l'écriture narrative. Exemples cités: la BD, le cinéma, etc. La Femis étudiera alors votre dossier pour vous accorder une dérogation... L'ampleur de l'expérience professionnelle requise n'est pas précisée: dois-je être un réalisateur oscarisé, ou ais-je une chance avec mes trois courts-métrages? J'ai auto-édité mon roman, suis-je disqualifié d'office?
Si vous avez moins de 30 ans, vous êtes dans les conditions, mais il serait préférable, d'après le directeur, que vous ayez "une trentaine d'années..." Auquel cas il vous faudra demander la fameuse dérogation.
Donc, en fait, non: vous n'avez aucune chance de faire partie de 12 élèves. A demi-mots, La Femis avoue que la formation est réservée aux pros. D'après ma lecture des choses, inutile de gaspiller 100€ de frais de dossier pour tenter sa chance quand on n'a pas déjà une bonne expérience professionnelle en écriture.
Par exemple, même moi qui suis journaliste depuis des années, je ne tenterais pas le coup: la barrière à l'entrée me semble beaucoup plus haute qu'au CEEA (et même si je n'y suis pas entré, j'ai vu des potes d'expérience équivalente y entrer).
On peut déjà tirer une conclusion de tout ça: cette nouvelle formation a été annoncée un peu à la va-vite, sans trop réfléchir au comment. Les conditions d'admission sont floues, les moyens mis en oeuvre très abstraits, et les ambitions affichées un peu irréalistes.
Du côté des points forts, La Femis a très bonne réputation, le cursus semble alléchant, et, je cite, la présence du fameux "show-runner américain". La première année sera probablement pour les élèves une aventure rigolote (inaugurer une filière universitaire tient toujours de la cabriole) mais où l'activité principale sera l'essuyage de plâtres. Wait and see!
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