La Femis, respectable école de cinéma, lance l'année prochaine une formation sur l'écriture des séries TV: un cursus à la mode, puisque c'est exactement ce que propose déjà le CEEA. J'ai vu ici et là des réactions plus ou moins enthousiastes à cette nouvelle; voici mon avis.
Les derniers rapports officiels sur la situation des scénaristes mettaient en avant un manque de formation, surtout en ce qui concerne les séries télé. La faible qualité des séries hexagonales s'explique, d'après les rapporteurs, par l'absence de véritable formation chez les scénaristes.
Je ne partage pas entièrement cet avis (beaucoup de rock stars n'ont pas fait de solfègre) mais il est néanmoins probable qu'une multiplication des formations entraîne une multiplication des talents, ne serait-ce que statistiquement. Ce vide va donc être (un peu) comblé... Mais comment et avec quels résultats?
La première question que l'on peut se poser est: la formation va-t-elle permettre un accès réel au marché du travail? Si l'on se base sur la concurrente (CEEA), la réponse est oui. On retrouve en effet pas mal d'anciens élèves du CEEA au générique de séries TV plus ou moins respectables. Avec sa réputation, La Femis a le potentiel de faire aussi bien.
Le risque, toutefois, est de proposer une formation plus abstraite, moins en prise avec les contraintes du marché. Là où le CEEA propose pragmatiquement des stages directement dans le pool d'auteurs de Plus Belle La Vie, créant de ce fait une expérience professionnelle inestimable, La Femis ne semble pas pour le moment mettre en avant un partenariat avec les diffuseurs. Affaire à suivre...
Deuxième question: cette nouvelle formation est-elle un "coup marketing" ou un véritable cursus de qualité? On le sait, de nombreuses écoles privées proposent des filières aux titres ronflants mais au contenu pathétique, souvent à prix d'or. La Femis a au moins l'avantage de ne pas être chère: subventionnée par l'Etat, elle ne coûte qu'environ 500€ par an. Difficile de parler d'un "coup marketing" dans ces conditions, surtout qu'elle ne prendra dans son giron que 12 élèves.
La qualité du cursus déprendra beaucoup des professeurs. La Femis promet, dans son dépliant publicitaire, l'encadrement par des "professionnels de haut niveau" ainsi qu'un "show-runner américain". La précision peut faire sourire, surtout en l'absence de nom. La formation semble en effet tournée vers les USA, promettant de "faire changer les usages figés de la profession". On peut apprécier l'intention, mais on restera sceptique sur les moyens.
Enfin, soyons pragmatiques, et posons-nous la vraie question: ais-je une chance de faire partie des 12 élèves?
Si vous avez déjà un diplôme de La Femis, apparement, oui: c'est la voie royale.
Si vous avez plus de 30 ans, il faudra prouver votre expérience professionnelle dans l'écriture narrative. Exemples cités: la BD, le cinéma, etc. La Femis étudiera alors votre dossier pour vous accorder une dérogation... L'ampleur de l'expérience professionnelle requise n'est pas précisée: dois-je être un réalisateur oscarisé, ou ais-je une chance avec mes trois courts-métrages? J'ai auto-édité mon roman, suis-je disqualifié d'office?
Si vous avez moins de 30 ans, vous êtes dans les conditions, mais il serait préférable, d'après le directeur, que vous ayez "une trentaine d'années..." Auquel cas il vous faudra demander la fameuse dérogation.
Donc, en fait, non: vous n'avez aucune chance de faire partie de 12 élèves. A demi-mots, La Femis avoue que la formation est réservée aux pros. D'après ma lecture des choses, inutile de gaspiller 100€ de frais de dossier pour tenter sa chance quand on n'a pas déjà une bonne expérience professionnelle en écriture.
Par exemple, même moi qui suis journaliste depuis des années, je ne tenterais pas le coup: la barrière à l'entrée me semble beaucoup plus haute qu'au CEEA (et même si je n'y suis pas entré, j'ai vu des potes d'expérience équivalente y entrer).
On peut déjà tirer une conclusion de tout ça: cette nouvelle formation a été annoncée un peu à la va-vite, sans trop réfléchir au comment. Les conditions d'admission sont floues, les moyens mis en oeuvre très abstraits, et les ambitions affichées un peu irréalistes.
Du côté des points forts, La Femis a très bonne réputation, le cursus semble alléchant, et, je cite, la présence du fameux "show-runner américain". La première année sera probablement pour les élèves une aventure rigolote (inaugurer une filière universitaire tient toujours de la cabriole) mais où l'activité principale sera l'essuyage de plâtres. Wait and see!
2 commentaires:
D'accord avec votre analyse.
Sur les raisons de la médiocrité des séries françaises, lisez "Mr Hulot écrit de la TV" dans http://www.clown-enfant.com/leclown/dramaturgie/preface.htm
Ca me paraît beaucoup plus juste que le problème de formation.
Bonjour,
Blog intéressant!
Sauriez-vous combien de fois au maximum peut-on tenter le concours du CEEA ? Je sais que pour la Femis, c'est trois fois et plié, mais pour le CEEA, je n'arrive pas à trouver l'information. Merci par avance!
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