14 février 2013

La figure du jour: l'adynaton

Un adynaton est une hyperbole tellement exagérée qu'elle en devient comique.

Là où l'amplification ou l'hyperbole habituelle peut avoir un certain souffle épique, une portée héroïque, l'adynaton est le discours du ridicule. La différence est subtile, et dépend de la vraisemblance de la phrase: si c'est clairement impossible, ce ne peut être qu'un adynaton!

Un exemple très célèbre d'adynaton (combiné à une accumulation), c'est la tirade du nez de Cyrano de Bergerac:
"C'est un roc ! ... c'est un pic... c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? ... c'est une péninsule !"
Au-délà de cette phrase, c'est l'ensemble de la tirade qui étire le nez dans des proportions telles (le nez devient tour à tour perchoir, parasol, monument) que le ridicule est évident.

Les enfants aiment bien utiliser des adynatons lorsqu'ils se plaignent! N'as-t-on jamais entendu un enfant dire à ses parents:
"Tu me l'avais promis il y a au moins dix mille ans!"
L'enfant étire le temps au-délà du possible, ne laissant aucun doute sur le ridicule de son exagération. S'il avait donné une date plus réaliste ("tu me l'avais promis il y a 10 ans"), on serait face à une simple amplification et non à un adynaton.

Le langage populaire regorge d'expressions du même genre, telles que:
"Quand les poules auront des dents!"
Etrangement, l'adynaton était fort employé dans la littérature antique, où il avait moins ce côté absurde. L'exagération tenait alors au sublime, au divin. Jésus, par exemple, dit dans la Bible:
"Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu."
Mais très vite, les auteurs ont compris qu'ils étaient tournés en dérision. Il a fallu attendre les naïfs romantiques pour retrouver une certaine noblesse dans leurs déclarations d'amour exagérées.
"Mon coeur bat pour toi comme tous les tambours du monde."
On retrouve ce genre de phrase dans le journal intime des adolescentes. Mais aujourd'hui, dans une société rationelle et peu encline à l'expression des sentiments, l'adynaton est définitivement rangé dans le tiroir du risible.

13 février 2013

La figure du jour: l'hypallage

L'hypallage est une figure de style extrêmement courante: elle consiste à coller un adjectif (ou un complément) au mauvais mot dans la phrase, tout en laissant bien transparaître quelle devrait être sa place normale. Par exemple:
"Un ciel triste s'écrasait sur les passants."
Il est bien évident que ce sont les passants qui sont tristes, pas le ciel (un ciel peut être gris, nuageux, mais pas triste). Cette figure de style est si souvent employée qu'elle ne donne plus vraiment son effet: l'expression "ciel triste" est entrée dans le langage courant.

Il faut donc aller chercher plus loin pour trouver des exemples marquants, comme la façon dont Victor Hugo décrit un marchand:
"Ce marchand accoudé sur son comptoir avide"
On comprend bien que c'est le marchand qui est avide, et non le comptoir. Mais l'hypallage personnalise en quelque sorte ce comptoir pour lui donner les attributs du marchand, qui se confond entièrement avec son métier.

Prenons encore ce vers de Jacques Prévert:
"Un vieillard en or avec une montre en deuil"
On notera que dans ce cas-ci, on fait face à une hypallage double, puisque les deux adjectifs ont été inversés. Dans ce cas précis, les adjectifs fonctionnent étonnament bien dans le mauvais sens (l'expression "un type en or" est courante), ce qui accentue l'effet comique.

Un autre exemple d'hypallage double très célèbre:
"Ils allaient obscurs dans la nuit silencieuse"
Cette phrase, qui les latinistes connaissent bien puisqu'elle est de Virgile, bénéficie d'un parfum de suspense grâce à sa figure de style. Mais ne cherchez pas beaucoup plus loin: l'hypallage est un effet de style principalement esthétique. Il permet de créer des combinaisons inattendues qui restent parfois, comme on l'a vu, dans le langage courant. Si vous voulez marquer la langue française de votre empreinte, inventez de bonnes hypallages!

12 février 2013

La figure du jour: l'épanadiplose

Cette figure de style consiste à répéter à la fin d'une phrase (ou d'une strophe, ou d'une oeuvre) le même mot, la même expression, que tout au début de la phrase (ou de la strophe, ou de l'oeuvre), telle est cette figure de style.

Comme on le voit, l'épanadiplose permet d'insister assez lourdement sur un mot, dans le but de marquer les esprits, d'attirer l'attention, de créer un slogan, comme on le voit.

A priori assez inutile et grossière, l'épanadiplose peut se montrer plus fine qu'une simple répétition un peu lourdaude. Prenons l'expression suivante:
"L'homme est un loup pour l'homme."
La répétition élève la phrase au rang de maxime. Sans elle ("l'homme est un loup pour lui-même"), l'effet tombe à plat. Du coup, on peut ressortir toutes sortes de slogans basés sur le même modèle:
"Le roi est mort, vive le roi!"
L'épanadiplose est proche du chiasme, comme dans cette phrase de Cocteau:
"L'enfance sait ce qu'elle veut. Elle veut sortir de l'enfance."
L'épanadiplose peut donner un sentiment de fatalité, de destin implacable un peu tragique, car elle évoque le train incessant du temps qui passe, du monde qui ne change pas: les grandes vérités resteront toujours valables quoi qu'il arrive.
"Les rêves ne sont heureux que lorsqu'ils restent des rêves."

08 février 2013

La figure du jour: l'épitrochasme

Telle une mitraillette littéraire, l'épitrochasme consiste à tirer une rafale de mots courts et piquants, voire choquants, l'un à la suite de l'autre. Les conjonctions et autres mots-liens sont facultatifs: le but est ici de donner un effet sonore très marquant. Par exemple:
"Jean est grand, gras, gros, il rit, bois, hurle, pleure, danse, dors, rêve, vit par peur, pire: par erreur."
Se mélangent ici d'autres figures de style, telles que l'allitération et l'énumération, mais le point à retenir, c'est cette rafale de mots brefs en l'absence de coordination. On pourrait même retirer les virgules, ce que certains poètes modernes ne se privent pas de faire (mais je ne mettrai pas d'exemple car je déteste les vers libres).

Cette effet de mitraillette donne un rythme certain à la phrase. Il est donc logique de retrouver des épitrochasmes en grand nombre dans les textes de rap. Ainsi, MC Solaar déclamait dans Obsolète:
"Je me glisse, m'immisce entre les cuisses lisses de la miss, ses yeux se plissent, et elle dit stoppe ton vice"
Les haïkus, ces petits poèmes japonais, font grand usage de cette figure de style dans un souci de brièveté, comme le célèbre exemple de Mastuo Basho:
"Vieille mare,
Une grenouille saute,
Bruit de l'eau."
Comme on le voit, l'épitrochasme n'est pas forcément brut et rugueux: il peut être un enchaînement de mots plus doux et longs, pour autant que l'effet soit toujours saisissant à l'arivée!

07 février 2013

La figure du jour: l'antanaclase

L'antanaclase (ou diaphore) consiste à répéter plusieurs fois le même mot avec une acception différente à chaque fois. Par exemple, citons Le Père Noël est une ordure:
"Je ne vous jette pas la pierre, Pierre."
Dans un contexte politique:
"La droite est gauche et la gauche maladroite."
Ou encore, en philosophie:
"L'existence précède l'essence, mais l'essence est de plus en plus chère."
Quant à Pascal, il écrivait, dans ses Pensées:
"Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point."
Une variante de l'antanaclase, appellée antanaclase elliptique, est très appréciée par les humoristes. Elle consiste à omettre la répétition, la laisser sous-entendue, tout en continuant à jouer sur le double sens du mot. Par exemple, Pierre Desproges disait:
"L'intelligence, c'est comme les parachutes, quand on en a pas, on s'écrase."
Le mot qui devrait être répété, c'est le verbe s'écraser, qui prend un sens différent selon que l'on soit en parachute ou non. Sans l'antanaclase elliptique, l'effet humoristique serait totalement détruit:
"Quand on a pas d'intelligence, on s'écrase, et quand on a pas de parachute, on s'écrase."
On voit bien que l'idée y est, mais c'est nettement moins élégant!

Fort utilisée lors des plaidoiries, l'antanaclase permet aux ténors du barreau de reprendre les termes de leur adversaire pour en détourner le sens. Imaginons le dialogue suivant:
"- Circonstance aggravante: l'accusé était le maître de la victime!
- Mais il n'était pas maître de lui-même."
Le mot "maître" prend ici un sens différent.

Dernière variante: l'antanaclase antinomique. Prendre deux mot a priori opposés (blanc/noir) mais dans un contexte différent, ce qui crée la surprise. Par exemple:
"Napoléon était un petit homme mais un grand général."
Ou encore ce célèbre slogan publicitaire pour une petite voiture citadine:
"Elle est petite, mais elle est grande." 

06 février 2013

La figure du jour: le zeugme

En grec ancien, "zeugma" désigne le joug qui relie deux animaux. En littérature, le terme désigne une phrase dans laquelle deux termes sont reliés au même mot, alors qu'ils ne devraient logiquement pas l'être. Par exemple, dans la phrase:
"Il a enfilé sa veste et sa femme."
Veste et femme sont tous les deux reliés au verbe "enfiler", mais le sens est très différent. L'effet produit est comique. Le zeugme consiste souvent à jouer, de manière humoristique, sur le double sens du verbe (ou du nom commun par rapport à des adjectifs).

Même si l'effet comique est facile, les auteurs sérieux ont également utilisé le zeugme pour provoquer un effet poétique, comme par exemple Victor Hugo qui, en évoquant des veuves, écrivait qu'elles:
"Parlent encor de vous en remuant la cendre de leur foyer et de leur coeur!"
L'effet tragique est saisissant: la cendre évoque à la fois leur mari décédé et leur chagrin. Comme on le voit, le zeugme est une figure qui peut se montrer puissante. Mais il ne faut pas pour autant tout confondre avec un zeugme. Par exemple:
"Il a vengé son père et son honneur."
Même si cette phrase ressemble vaguement à un zeugme, le sens du verbe "venger" est rigoureusement identique dans les deux cas. Ce n'est donc pas une figure de style.

Certains zeugmes sont devenus des clichés, à éviter:
"Les soldats marchaient tambour et gifles battantes".
En plus d'être un cliché éculé, cette expression nous ramène à l'origine fautive du zeugme: le rapprochement de deux termes qui ne s'accordent pas (en genre ou en nombre ou, comme ici, les deux).

Dans ce cas de figure, sans sa valeur littéraire ajoutée, le zeugme ne serait qu'une vulgaire faute de grammaire. Pour passer outre la faute d'accord, il faut s'appeller Apollinaire, qui écrivait:
"Sous le pont Mirabeau coule la Seine et nos amours."

05 février 2013

La figure du jour: l'anantapodoton

J'inaugure une nouvelle série d'articles sur les figures de style. Purement techniques, ces articles sont l'occasion d'approfondir certains aspects méconnus de la langue française qui en font tout le charme. Aujourd'hui, l'anantapodoton.

Le mot barbare anantapodoton vient du grec, et signifie à peu près "phrase incomplète" (je simplifie). L'anantapodoton apparaît lorsqu'on commence une phrase comprenant une alternative en omettant de donner le deuxième terme. Exemple:

"D'une part, elle me plait, oui, elle me plait."
On s'attend logiquement à ce que la phrase continue avec l'expression "d'autre part" pour conclure l'alternative. Mais on ne la retrouve pas, à notre grande surprise! L'effet obtenu renforce le sentiment amoureux de celui qui prononce la phrase: alors qu'il s'apprêtait à faire la liste des points positifs et négatifs de sa bien-aîmée, il s'arrête en cours de route pour ne rester que sur le point positif.

Cette figure de style ressemble à s'y méprendre à une erreur de langage et son utilisation volontairement poétique n'est pas si facile. Toutefois, la surprise face à cette disparition peut provoquer soit le rire...

"Quelle est la différence entre ta mère?"
Quelques poètes un peu plus raffinés se sont servis de l'anantapodoton pour provoquer quelque effet, comme cet exemple de Paul Valéry:

« Les uns, dirait-on, ne songent jamais à la réponse silencieuse de leur lecteur. »
En omettant "les autres", Valéry illustre bien cette absence de réponse. De plus, cela lui permet de ne pas devoir expliciter la suite de la phrase, qui serait assez banale: "les autres s'en inquiètent tout le temps". On avait bien deviné! La licence poétique l'autorise à se départir des poids morts qui n'apportent rien au texte.

L'anantapodoton est une figure de style qui fait partie du groupe des anacoluthes, qui ont comme point commun de se baser sur une rupture de la synthaxe: au sens strict, elles sont donc à considérer comme des fautes de grammaire! Attention, donc, à ne les employer que si l'effet provoqué en vaut la peine!