Il y a trois étapes successives dans l'écriture:
1) Trouver une bonne histoire. "Il se passe ceci, ensuite il arrive cela, puis il y a un retournement de situation, etc." Un enfant de huit ans en est capable.
2) Ecrire correctement, trouver un style. Les adolescents en sont déjà capables à partir de 15, 16 ans, lorsqu'il commencent à peser la valeur des mots.
3) Toucher la nature humaine. Seuls les meilleurs adultes en sont capables.
Un livre qui ne touche jamais la nature humaine, qui ne nous en dit pas plus sur notre condition, n'est jamais plus qu'un roman de gare. Tous les grands romans ont au moins un point commun, c'est qu'ils parviennent à sonder notre âme, à en tirer l'essence, et à l'utiliser dans le cadre de leur récit.
Le cas est particulièrement frappant pour les livres de genres: les auteurs qui s'enferment dansun genre avec ses codes, ses contraites, qui utilisent ses limites pour pondre une littérature abondante mais sans relief, n'ont aucune chance de sortir des collections "spécialisées" qui ne ravissent qu'un petit groupe de fans peu exigeants. Ceux qui sortent du lot vont plus loin et utilisent les ressources de leur genre littéraire pour "toucher l'humain".
Prenons l'exemple du roman policier: des auteurs médiocres sont parfaitement capables de mettre au point des énigmes extrêmement complexes et rusées, mais n'écrivent que dans le but de les démonter comme des mécaniques. Leurs oeuvres ne dépassent pas le stade de l'exercice intellectuel et sont oubliées sitôt lues. Des Auteurs Inspirés comme Simenon ou Agatha Christie ne se contentent pas de monter avec virtuosité des intrigues retorses, ils s'appesantissent sur la psychologie des personnages. Ils expliquent comment "monsieur tout-le-monde" peut devenir un assassin.
Il en va de même avec tous les genres (héroïc-fantasy, science-fiction, fantastique, etc.). Il faut utiliser les ressources d'un genre comme d'une amorce (commerciale?) pour toucher l'humain, terme que j'utilise avec facilité pour expliquer une notion bien plus vague en réalité.
Car finalement, c'est quoi "toucher l'humain" ?
C'est une notion si fichtrement compliquée que je ne suis pas certain de pouvoir vous la définir avec exactitude. Car en fait, cela revient à dire: qu'est-ce qu'un humain? Et là, à chacun sa définition. Toucher l'humain dans un texte, c'est faire transparaître dans ses écrits sa propre définition de la nature humaine. Tout un programme!
Je ne prêche pas pour une littérature psychologique et torturée, l'affirmer serait mal me comprendre. Mettre en scène des schizophrènes introvertis n'est pas forcément d'un grand secours. Ni le genre littéraire ni la santé mentale des protagoniste n'ont d'importance. L'humanité se situe à un niveau plus fondamental, moins concret.
Il y a deux façons de toucher l'humain:
1) par l'intrigue. Les événements qui constituent le récit peuvent donner un éclairage nouveau sur la nature humaine.
2) par le style. L'auteur peut présenter des événements a priori anodins sous un angle nouveau, qui, sous sa plume, peuvent en dire plus sur la nature humaine.
En définitive, seul le talent de l'auteur pourra réellement faire éclater l'humanité de son histoire. Mon rôle ici n'est pas de donner la recette qui permettrait de l'atteindre facilement, mais simplement de vous faire prendre conscience qu'une telle humanité est une nécéssité et qu'il ne faut pas la perdre de vue. Je vous prie donc de ne jamais tomber dans la facilité.
3 commentaires:
Il reste la frontière entre poésie, prose et roman. La reconnaissance de quelques reflets humains n'est pas forcément nécessaire. "Toucher l'humain" mais pourquoi pas "Toucher le divin"?
Décrire, faire percevoir les ondes de ce qui nous dépasse peut être tout aussi intéressant,non?
ton article est...chapeau!. Tout le problème est comment toucher l'humain. c'est vrai qu'un livre qui nous touche est celui qui laisse son empreinte en nous. Par contre, un polard se lit d'un trait et s'oublie une fois l'intrigue connue. Pour Agatha Christie et Simenon, comme tu le dis, ils ne se contentent pas de poser des devinettes, mais toucher l'humain afin que le lecteur se voit comme dans un miroir.
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