26 décembre 2009

L'humour dans How I met your mother

Je continue d'être fasciné par les sitcoms américaines. Après avoir analysé l'épisode pilote de Friends, je m'attaque aujourd'hui à la série How I met Your Mother, qui est vraiment drôle.

Commençons par les habituels calculs d'apothicaire: combien de rire en 22 minutes? Réponses: 102! C'est pareil que Friends. Donc l'objectif est clair: 100 rires en 22 minutes. Ca va très vite!

Vu le débit très rapide des dialogues, le script est assez long: 56 pages! Divisé en 3 actes, pour les coupures pub, le tout est très bien structuré. Mais il faut pouvoir faire l'effort d'imagination de la durée, puisque les 17 premières pages du script sont expédiées en 6 minutes sur l'écran!

Pour ceux qui ne connaissent pas la série, How I met Your Mother c'est l'histoire de Ted Mosby, architecte, qui raconte à ses enfants comment il a rencontré leur maman. L'ensemble est donc raconté en flash-back (mais on ne revient aux enfant qu'à la toute fin de l'épisode, c'est plutôt un flash-forward, en réalité) et nous suivons les déceptions amoureuses de Ted, accompagné de ses amis Marshall et Lily (qui vont bientot se marier), et de Barney, un dragueur complètement insensible et fou.

L'introduction de l'épisode est très très brève, et situe le flashback (la traduction et l'adaptation est de moi - le script original en anglais est disponible sur internet):

INT. MAISON DE TED - 2030
Les enfants de Ted, une adolescente de 16 ans et un adolescent de 14 ans, sont installés dans le divan et écoutent leur papa, Ted.

TED
Les enfants, je vais vous raconter une histoire extraordinaire: comment j'ai rencontré votre mère.

Les enfants soupirent.

LE FILS
On est puni?

TED
Non!

LA FILLE
Ca va prendre longtemps?

TED
Oui. Il y a 25 ans...

Ensuite on passe au générique, où l'on voit des photos de Ted plus jeune avec ses amis. Cinq lignes de dialogue, deux rires. C'est moins performant que Friends, mais ça a l'avantage énorme de mettre en place cette stratégie de flash-back, qui, on le verra, va permettre à Ted de stopper le cours du temps pour donner ses commentaires a posteriori sur les événements. C'est une manne à gags précieuse.

La suite de l'épisode se passe donc entièrement dans ce faux flash-back, où Ted n'a pas encore d'enfants. Ca commence dans l'appartement qu'il co-loue avec son ami Marshall. Marshall veut demander Lily, sa petite amie, en mariage. Il est stressé, et donc s'entraîne à faire sa demande. Cette situation banale (il était question de mariage dans l'épisode pilote de Friends!) est propice aux gags. Voyons quelques exemples:

INT. APPARTEMENT

MARSHALL
Veux-tu m'épouser?

Zoom arrière: il s'adresse à Ted.

TED
Parfait! Ensuite elle dit oui, vous sabrez le champagne, mangez un toast, et vous faites l'amour comme des sauvages sur le carrelage de la cuisine. (Un temps) Non, ne faites pas l'amour sur le carrelage de la cuisine.

Ou encore:

MARSHALL
Merci de m'aider à planifier tout ça!

TED
Eh, mon vieux, c'est toi et Lily! J'étais là lors de tous vos grands moments. La nuit où vous vous êtes rencontrés, votre premier rancard... (un temps) D'autres premières fois.

MARSHALL
Désolé vieux, on pensait que tu dormais!

TED
C'est mathématique, Marshall: si le lit d'en bas bouge, le lit d'en haut bouge aussi!

Ce qui est étonnant c'est qu'en écrivant ces gags, avec leur traduction approximative, je me rends compte qu'ils fonctionnent mieux en anglais qu'en français. Dans les sitcoms, le choix est mots est pas simplement important, il est crucial! Puisqu'il s'agit de jouer avec les mots, un synonyme peut vraiment faire la différence. D'ailleurs je pense que les traducteurs francophones de How I met Your Mother n'ont pas été nettement plus inspirés que moi: la version française n'est pas très drôle.

Bref, après quelques lignes de dialogues, nous faisons connaissance avec le véritable clown de la série: l'amir Barney. Voici sa première ligne de dialogue:

BARNEY
Hey, tu sais que j'ai toujours eu un faible pour les asiatiques? Et bien maintenant mon truc c'est les libanaises. Les libanaises, c'est les asiatiques en mieux.

On cerne directement le centre d'intérêt du personnage, et sa personnalité déviante! Le jeu de l'acteur y est pour beaucoup, mais lorsque les auteurs de la série décrivent le personnage dans le script, il disent ceci: "BARNEY, 32 ans, diabolique, le genre de golden-boy qui fume des cigares". Une ligne et pas plus. Mais on a tout compris.

Différencier les personnages, c'était déjà quelque chose que Friends réussissait admirablement. Ici, pareil, les personnages sont typés:

Ted, est le célibataire au bon coeur, maladroit mais gentil. Dans Friends, ça serait Ross.
Marshall, le grand nounours peureux mais très amoureux de sa copine. Il est un peu lent, c'est le "con" de Ted par moments. Dans Friends, il se rapprocherait le plus d'un Chandler (période mariage avec Monica).
Lily, c'est la petite délurée. Pas super belle, mais sympa et joviale, un instinct maternel débordant, c'est Monica.
Barney joue le rôle du dragueur décalé, voire du fou instable: c'est un mix entre Joey et Phoebe.

Manque le rôle de la belle séductrice. Dans Friend, c'était Monica. Dans How I met your mother, c'est Robin, qui apparaît au milieu de l'épisode. Elle est évidemment très belle, et tombe à point nommé devant Ted, qui se sent seul. Il est sûr et certain qu'il va finir par l'épouser, c'est la future "Madame Mosby".

Il l'invite au resto, et ils discutent de la déco du restaurant, notamment une trompette peinte en bleu qui leur semble de très mauvais goût.

INT. RESTAURANT

ROBIN
Jolie trompette! J'aimerais bien en avoir une comme ça au dessus de ma cheminée.

TED
Ca ressemble à un pénis de Schtroumpf.

L'IMAGE SE MET EN PAUSE.

TED (voix-off)
Fils, un conseil: quand tu as un premier rendez-vous avec une fille, ne dit pas pénis de Schtroumpf. En général, les filles n'apprécient pas.

Voyez comme l'utilisation du flash-forward permet de commenter la situation, et de faire toutes les blagues que l'on veut avec le recul que l'on veut. C'est très pratique.

La technique est utilisée encore une fois à la fin de l'épisode, mais sans humour, plutôt pour une touche romantisme. La situation est celle-ci: Ted a foiré son rendez-vous avec Robin. Il aurait du l'embrasser, mais il n'a pas osé. Il dit qu'elle ne lui a pas envoyé "un signal". C'est le moment idéal pour faire appel aux commentaires du vieux Ted, a posteriori.

LILY
C'était le signal!

BARNEY
Le signal, ça n'existe pas. (un temps) Mais oui, c'était le signal.

TED
Je vous assure que ce n'était pas le signal.

L'image se met en pause.

TED (voix-off)
Je lui ai demandé des années plus tard, et oui, c'était le signal. J'aurais pu l'embrasser ce soir-là.

Un beau petit moment, pas drôle mais touchant. Il y en a pas mal dans How I met Your Mother, plus que dans Friends. C'est une composante importante des sitcoms: balancer le rire avec des moments plus profonds. Le rire pour le rire ne fonctionne jamais très bien. Quand il y a un mouvement de balancier, ca coule de source.

Bien sûr, 100 gags, c'est énorme. Comment y arrivent-ils? Il y a quelques petits trucs dont je n'ai pas encore parlé:
- Barney est le principal pourvoyeur de rires, car il utilise tout un tas de tics de langage qui font mouche.
- Les personnages secondaires ont pour seule fonction de faire rire (ex: un taximan qui vient du Bengladesh)
- Même Robin n'est pas la déesse 100% intouchable: son métier (journaliste) est source de moqueries.

Bref, après avoir analysé cet épisode pilote, je peux tirer cette conclusion: quand on conçoit une sitcom, l'originalité n'est pas tellement importante. Les situations sont classiques: des amis, des histoires de coeur, un appartement en colocation. L'important c'est de trouver une mécanique qui permet de faire levier pour pondre beaucoup de rires.

Le premier levier, ce sont les personnages. Barney est magistral. Pas seulement parce qu'il est fou. C'est parce que dans sa folie, il parle vrai. On connait tous un Barney. Mieux: on a tous un côté Barney en nous, et on l'aime bien. Là, il est à 100%. C'est jouissif. Je suis sûr que Barney est un exemple pour plein d'hommes, aujourd'hui!

Deuxième levier: la structure en flash-back. C'est la petite originalité de la série par rapport aux autres sitcoms: elle n'est pas en temps réel, mais découpée dans le temps. Cela permet de s'arrêter sur les événements pour les commenter, ce qui est une habitude dans le sitcoms (il y a toujours un personnage pour voir plus clair que les autres et commenter sans états d'âme la situation). Ici, ce commentateur est Ted lui-même. C'est amusant.

Troisième levier: les situations gênantes. How I met your mother, c'est l'histoire de la drague, en réalité. Et la drague est une situation gênante quand on n'y excelle pas. C'est pourquoi Barney est l'opposé parfait de Ted. Et c'est pourquoi la série multiplie les situations gênantes. Les anges passent souvent.

Je vous conseille donc de visionner cette excellente série (en VO si possible) afin de vous imprégner un peu plus de ce genre d'humour. Je connais beaucoup de gens qui sont rebutés par les rires préenregistrés, comme si on les obligeait à rire au bon moment. Mais il faut passer au dessus de cette impression et apprécier les sitcoms pour ce qu'elles sont: de bons moments de rigolade, et des petits chefs-d'oeuvre d'écriture scénaristique!

La fin des espoirs

Quand on est jeune, on représente un espoir. Un espoir non seulement pour ses parents, qui voient en nous un futur génie, mais aussi pour ses professeurs, qui espèrent enseigner à un futur prix Goncourt. Quand on est jeune, on a le temps d'apprendre, de faire des erreurs et de les corriger, d'affiner son style, de copier les maîtres pour s'imprégner de leur substance.

Bref, tous les espoirs reposent sur nous. Et quand l'apprentissage se passe bien, que l'on est le premier de classe, que l'on montre des signes précurseurs de talent, cet espoir est tellement grand qu'il se transforme presque en adoration, et l'on s'habitue très vite à recevoir des louanges.

"Plus tard, pas de doute, tu seras écrivain! Tu es de loin l'élève le plus doué que j'ai jamais eu!"

C'est bien d'être jeune...

Puis arrive un âge, que j'estime à 25 ans, où tout change. Mais pas juste un petit changement, non, non: tout change radicalement. A l'opposé.

25 ans, c'est l'âge où les réductions pour "jeunes" s'arrêtent. C'est l'âge où l'assurance hospitalisation de papa ne nous couvre plus. 25 ans, c'est quand on est censé avoir terminé ses études et choisi sa voie dans la vie. Si l'on veut réussir avant 30 ans, il faut se lancer à 25. Après, c'est trop tard.

Et quand on a 25 ans, tout d'un coup, l'espoir se transforme en interrogation. "Finalement, le génie, il a fait quoi?" Pendant toute sa jeunesse, on a appris, appris, et du jour au lendemain, le mot d'ordre ce n'est plus apprendre, c'est prester! C'est l'heure d'étaler tout ce que tu as appris, vite! Montre-nous ce dont tu es capable. Et soit le meilleur, parce que la concurrence est rude.

Et soudain, ça ne suffit plus de copier les maîtres. Insuffisants, les textes plein d'espoir. Un style qui se cherche n'est plus considéré comme un bon signe, mais comme une tare. Les espoirs des parents, des professeurs, se sont évaporés le temps de fêter ce malheureux 25ème anniversaire. Le seul espoir qui reste, à présent, c'est celui que l'on a dans sa tête.

C'est dur. Ca va tellement vite.

Je fête mes 25 ans dans quelques jours. Et dans ma tête, le seul espoir qui reste c'est que l'on m'accorde une deuxième chance. 26 ans, c'est pas mal non plus, hein?

05 décembre 2009

Citation

"Chaque début d'écriture est un retour à la case départ. Et la case départ, c'est un endroit où l'on se sent très seul. Un endroit où aucun de vos accomplissements passés ne compte."
-- Quentin Tarantino