Le cliffhanger, autrement dit la fin ouverte, est un "truc" que les scénaristes de feuilleton adorent. Il permet de maintenir le suspense à la fin d'un épisode, la recette assurée pour fidéliser les spectateurs. L'idée n'est pas neuve: déjà au 19e siècle, les journaux populaires publiaient chaque jour un extrait de roman-feuilleton, avec grand succès. Véritable addiction pour les lecteurs, ces feuilletons obligeaient l'auteur à redoubler d'imagination pour terminer chaque feuillet par un suspense insoutenable.
L'anecdote est célèbre: l'écrivain Ponson-Du-Terrail, employé par un journal à fort tirage, demande une augmentation car il estime que son feuilleton porte les ventes. Le patron refuse. Ponson-Du-Terrail décide alors de démissionner en laissant son héros dans une situation impossible: seul, enfermé dans un coffre fort dont personne n'a la clé, loin de toute aide, et coulant au fond d'un lac. Le patron tente bien d'engager plusieurs nègres pour reprendre la suite de ces aventures rocambolesques, mais aucun ne trouve d'idée pour sortir le héros de ce pétrin. Le patron du journal accorde donc à contrecoeur son augmentation à Ponson-Du-Terrail, qui revient la semaine suivante en écrivant la suite des aventures, en commençant à peu près comme ceci: "S'étant sorti de ce mauvais pas, notre héros reprit son souffle."
Cette pirouette est fort amusante, mais pas tellement éloignée de la réalité des cliffhangers qui concluent chaque épisodes des feuilletons télévisés. Prenons l'exemple de l'excellent Doctor Who, la série anglaise de science-fiction, qui use et abuse de ce procédé. La série n'est pas spécialement feuilletonante, mais elle contient plusieurs doubles épisodes (les meilleurs!) qui fonctionnent sur ce principe. Le premier épisode termine sur une note dramatique particulièrement corsée: les héros sont dans un sacré pétrin. Et l'épisode suivant règle le problème en deux coups de cuiller à pot.
Exemple A : ce qui nous semble dangereux est en réalité bénin
Saison 1, à la fin de l'épisode 4 (Alien of London), la situation paraît désespérée: la jolie Rose est sur le point d'être tuée par un extra-terrestre, mais le Docteur ne peut pas lui venir en aide. En effet, il est tenu en respect par un champ électro-magnétique que lui envoie le méchant. Notre Docteur est sur le point de mourir et tout espoir semble vain. Générique de fin.
Et puis l'épisode suivant (World War Three) commence assez bêtement: le Docteur n'étant pas humain, il n'est pas sensible au champ électrique. Il parvient à le retourner contre le méchant d'un simple coup de main. Et comme par magie, les effets de ce champ électrique se propagent à chaque extra-terrestre, comme s'ils étaient tous reliés par télépathie. Ca tombe juste à point pour sauver la jolie Rose et toute sa famille.
Exemple B : la solution à notre problème insoluble est bête comme chou
Toujours dans la saison 1, l'épisode 9 (Mummy Mummy) se termine avec Rose et le Docteur, nos héros, encerclés de mutants très inquiétants qui répètent sans cesse "Maman! Maman!", comme des enfants perdus. La situation est très délicate, car au moindre contact physique avec les mutants, nos héros risquent de se transformer à leur tour. Or, ils se rapprochent dangereusement. Générique de fin.
L'épisode suivant (Doctor Dances) est très désappointant, car le Docteur éloigne les mutants en leur criant simplement: "Retourne dans ta chambre!", comme à un méchant enfant. Et ils s'exécutent! C'est tellement bidon que le scénariste (le pourtant excellent Steven Moffat) a senti qu'il jouait avec nos pieds, et en rit, lorsque le Docteur s'exclame: "Je suis content que ça ait fonctionné! Ca aurait été nul comme derniers mots avant de mourir!"
Exemple C : la botte secrète
Saison 2, épisode 5 (Rise of The Cybermen), les héros sont encerclés par des cyborgs (les fameux Cybermen) qui n'ont qu'un mot à la bouche "Delete! Delete!". Ils sont sur le point de tuer le Docteur et sa compagne Rose, après les avoir pourchassés pendant une bonne partie de l'épisode. Le Docteur et Rose se sont cachés, ont couru, ont perdu des proches dans la fuite, mais il est trop tard maintenant, leur heure a sonné. "Delete! Delete!", et générique de fin.
L'épisode 6 (The Age of Steel) nous déçoit une fois de plus, puisque le Docteur règle le problème en sortant de sa poche un laser qui désintègre littéralement tous les Cybermen. C'est bien pratique, mais pourquoi ne l'a-t-il pas sorti avant, pour sauver les innocent qui sont mort pendant l'épisode précédent? Attendait-il précisément d'être encerclé? Ah, magie du cliffhanger!
Exemple D : le procédé cinématographique
Saison 2, épisode 8 (The Impossible Planet), le Docteur se trouve face à la porte de l'enfer, qui avait été scellée à la nuit des temps, et elle s'ouvre. Sans l'apercevoir, on entend la voix du diable, qui annonce le retour de son règne de terreur et de chaos. La caméra fait un long travelling avant, sortant des enfers comme si elle suivait le regard du diable lui-même, s'approchant du Docteur, qui recule lentement, saisi par la peur. Ca va chier ici! Générique de fin.
Episode suivant (The Satan Pit), plus rien: le Docteur se retrouve devant les enfers, la porte grande ouverte, mais pas le moindre signe du diable. Ce n'est que l'âme du diable qui s'est échappée, pas le corps du diable. Pas de danger pour le Docteur. Ah, bien joué, ce travelling avant n'était qu'un piège. Voilà un exemple (assez réussi) de cliffhanger purement visuel qu'un écrivain n'aurait pas pu utiliser. Le cinéma et la télévision possèdent leurs propre attirail de trucs et astuces pour tricher!
Conclusion
Je pense qu'il y a à manger et à boire dans les cliffhanger du Doctor Who. Ils sont souvent très artificiels et peu crédibles, ce qui fait parfois le charme de la série. Mais hélas, la deuxième partie des doubles épisodes souffre souvent d'un départ mou et décevant. Il est toujours plus gratifiant, aussi bien en tant que spectateur qu'en tant que scénariste, de trouver une *vraie* solution au problème qui semble insoluble. Utiliser une astuce ou une botte secrète, c'est la solution de facilité. N'est pas Ponson-Du-Terrail qui veut.
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