25 octobre 2010

Méfiez-vous des gourous

Un débat secoue actuellement la scribosphère hollywoodienne. Craig Mazin, scénariste et réalisateur de quelques piteuses parodies mais bloggeur respecté, descend en flèche toute la clique des "script consultants", "script doctors", et autres gourous du scénario. Pour résumé, il les considère comme des arnaqueurs s'il n'ont pas une *véritable* carrière de scénariste.

John August réplique que, au contraire, comme un entraîneur de foot n'a pas besoin d'avoir été une star du ballon rond pour être bon, un script-doctor peut être excellent sans pour autant être un scénariste pratiquant.

Le débat m'interpelle car je me sens visé.

Ce blog, cher lecteur, est de plus en plus souvent cité ci et là pour certains de ses articles, créant ainsi d'une certaine manière un semblant d'autorité sur le sujet. Alors que, il est bon de le répéter, JE NE SUIS PAS UN SCÉNARISTE PROFESSIONNEL!

Mon métier, depuis des années, est celui d'enseignant.

Je suis un professionnel de l'apprentissage.

Et c'est pareil à l'école: j'enseigne la grammaire et le style sans avoir jamais publié un roman. Suis-je pour autant un arnaqueur?

(Quelques élèves du fond de la classe crient que oui.)

En réalité, je pense que le coeur du problème se situe, comme bien souvent, dans le porte-monnaie. Les fameux "gourous" du scénario ne se gênent pas pour échanger leurs précieux conseils contre pièce sonnante et trébuchante. Le tout en promettant à leur victime, heu... élève, d'entrer dans ce cercle invisible des "pros".

La promesse est alléchante mais invérifiable. C'est là tout le problème.

Du coaching ça reste un contact humain subjectif. C'est non-mesurable. Ou plutôt: la seule mesure est le résultat final. Suis-je devenu un pro? Et hélas, c'est rarement - voire jamais - le cas.

Quitte à dépenser un peu d'argent, autant tenter sa chance dans une école comme le CEEA, qui, pour le coup, ouvre vraiment des portes et crée les contacts indispensables à un début de carrière.

Les consultants en tout genres et autres "coachs" ne peuvent pas promettre cela. Il ne peuvent que constater une "amélioration" dans la production littéraire de l'apprenant. Amélioration qui sera jugée par l'apprenant lui-même... autant laisser un aveugle choisir les couleurs de son papier peint.

L'avantage des blogs c'est la gratuité, et la rapidité. Pas d'engagement, pas de dépense, sinon celle du temps perdu. Si mes conseils sont mauvais, personne n'y perd. S'ils sont bons, tout le monde y gagne. Je ne pourrais pas le dire si je facturais la visite du site à 39€99/mois, par exemple.

Or, tous - même en France - s'y sont mis: JM Roth, Lavandier, Elie Abécéra, etc. Trois types que je veux interviewer depuis un bail déjà. Mais il y a clairement un conflit d'intérêt. La facture de leurs conseils aux jeunes scénaristes se chiffre en milliers d'euros. C'est sûr qu'ils portent une fameuse responsabilité sur les épaules.

Dans tous les cas, il faut que les apprentis auteurs évitent un écueil certain: celui de confondre la pratique l'écriture avec l'apprentissage de l'écriture. Avoir lu Lavandier 5 fois n'a pas fait de vous un meilleur scénariste. Avoir lu Lavandier et écrit 3 scénarios de long-métrage après, par contre, c'est beaucoup plus productif. Or, quand on apprend, on n'écrit pas.

Quand vous lisez ce blog, vous n'êtes pas en train d'écrire. C'est du temps perdu. Pareil avec tous les livres sur le sujet, les séminaires de McKee à Paris, et tous les cours par correspondance, par téléphone, ou même en face à face. C'est du temps passé à autre chose qu'à écrire. Et, avec internet, ce temps perdu devient majoritaire.

Horaire typique du scénariste amateur qui rentre du boulot pour écrire un scénario:
17h00 - checker ses e-mails
17h20 - checker les nouveaux messages sur L'Auteur Inspiré, Scenario-buzz, John August, etc.
18h00 - répondre à quelques messages sur un forum de scénaristes
19h00 - checker ses e-mails
19h20 - des nouveaux messages sur les blogs? Ah non.
19h30 - des nouveaux messages sur les forums? Ah oui.
20h00 - Oh Cool, une vidéo sur YouTube avec une interview de Linda Seger, qui dure 30 min.
20h30 - il faut manger, parfois.
21h00 - Cette fois-ci, je m'y mets: je regarde une page blanche pendant 30 minutes
21h30 - checker ses e-mails, les blogs, les forums.
22h00 - oh je suis crevé, j'écrirai demain.

Rinse & repeat, die alone.

Méfiez-vous des gourous. Ceux qui ne vous prennent pas votre argent vous volent votre temps. Les autres aspirent votre inspiration jusqu'à vous assécher complètement. Il n'est pas bon d'être trop informé quand on est un artiste. La naïveté mène plus loin que la préparation défensive.

Coupez-votre ordinateur, prenez un stylo, un blog de feuille, et esquissez votre prochain film. Maintenant. Vous n'avez pas besoin de plus de conseils que ça. Ni de lire les actualités pour vous inspirer. Vous avez déjà une idée en vous. Même si c'est pas votre préférée, exploitez-là, au lieu de changer d'avis tous les trois jours, et de repousser au lendemain ce qui doit être écrit aujourd'hui.

Ne revenez pas sur ce blog avant d'avoir terminé. A ce moment là pour pourrez revenir pour me dire merci. Après tout je suis pas un pro mais je suis d'excellent conseil!

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article.
Questions d'un candide :
Quel différence faites-vous entre votre enseignement et celui d'un gourou ? Est-ce que vos mensualités sont le gage d'une meilleure pédagogie ? Refuseriez-vous la notoriété (professionnelle) si vos enseignements étaient suffisamment bons pour être plébiscités ?
PhP

Anonyme a dit…

Votre article est très juste. :-)
Louise

Nicolas Van Peteghem a dit…

PhP (Philippe Perret?) > en tant qu'enseignant, payé par l'argent du contribuable belge, je gagne 1300€/mois. Divisez cela par le nombre d'heures que j'enseigne, et vous verrez que le montant demandé de l'heure n'est pas loin du minimum légal.

Comptez aussi le fait que je n'ai pas un seul élève, mais souvent une grosse vingtaine à la fois (ma plus grande classe: 27 élèves).

Mes mensualités ne sont donc le gage de rien du tout, mais uniquement un moyen de survie pour manger et louer un deux pièces.

En ce qui concerne la notoriété professionnelle, je vois difficilement comment elle peut s'intercaler dans mon activité d'enseignant. Si vous parlez de la notoriété de scénariste par rapport à ce blog, je rappelle que tout ici est gratuit, ce qui rend la question caduque.

Si vous êtes Philippe Perret, je comprends très bien que l'article vous agace. Vous êtes l'un de ceux qui m'ont donné envie de commencer ce blog. Votre site, à l'époque, était une référence, et de qualité bien supérieure à tout ce que je pourrais jamais entreprendre. Ceci dit, il était gratuit! Je suis de la génération wikipedia, nous n'avons plus l'habitude de payer pour acquérir le savoir. Du coup, les séances de coaching à 1000€, ça fait bien rigoler, surtout que ça vous oblige, commercialement, à faire des promesses que vous ne pouvez pas tenir.

Anonyme a dit…

Bonjour,

Très fort ;-). Effectivement, c'était bien Philippe Perret qui se cachait derrière la signature Php ;-)

Je suis heureux que vous compreniez qu'un tel article m'agace un peu, oui.

> Ceci dit, il était gratuit!

Mes cours, encore plus complet (même s'il reste beaucoup à faire encore) sont toujours aussi gratuits. Personnellement, je n'ai pas attendu la génération wikipédia pour penser que le partage du savoir était une noble et nécessaire cause.

On trouve ces "cours" à l'adresse :
http://www.atelier-icare.net/narration

Quand google prendra en compte l'ajax, on pourra le trouver plus facilement.

Ils apparaissent maintenant sous forme d'un e-book, car je n'avais plus le temps de m'occuper d'un site comme le feu scenariopole.

Pour ce qui est des séances de coaching à 1000 euros, je ne sais pas de quoi vous parlez. Allez voir les prix de mon atelier (http://www.atelier-icare.net — même hébergement mais rien à voir avec l'e-book), et surtout, demandez aux icariens et icariens s'ils en ont pour leur argent, s'il vous plait, avant de faire de telles affirmations qui portent atteinte à mon intégrité.

Je ne fais pas payer pour m'enrichir (je gagne à peine de quoi payer mes clopes avec l'atelier), je fais payer pour impliquer les auteurs dans leur apprentissage ou leur processus de création.

Et ils ne paient pas pour un savoir, mais pour, je dirais, une expertise. Et ça, wikipédia serait bien incapable de le faire, puisqu'il s'agit d'individus uniques, face à des problèmes uniques qu'ils rencontrent sur leurs projets uniques.

Et j'aimerais bien que vous m'explicitiez un peu mieux les promesses que soi-disant je ne peux pas tenir…

Je ne suis pas un épicier, je ne réfléchis pas en terme de commerce (à mon grand dam, malheureusement, car je sais à quel prix je pourrais monnayer le peu que je sais).

Je terminerais quand même sur une note positive : je suis heureux d'apprendre que c'est mon travail qui vous a donné l'impulsion de ce blog.

Bien à vous,

PhP

Nicolas Van Peteghem a dit…

Mea culpa,

J'ai été très (trop) rapide pour vous mettre dans le même sac que les fameuses "méthodes de 3 jours à 500€".

Je suis heureux que votre site gratuit existe toujours, j'en avais effectivement perdu la trace depuis qu'il n'est plus hébergé sous le nom Scenariopole.

Pardon pour mon jugement à l'emporte pièce. Je reste bien sûr sceptique sur le concept du "coaching" en général, mais c'est un avis personnel qui ne doit pas me faire dire des mensonges.

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