15 janvier 2012

Le genre et la subtilité oubliés

Un article dans Le Monde prône l'utilisation, en grammaire, de la règle de proximité, afin de contenter les féministes et de rétablir l'égalité entre les sexes dans notre belle langue française. En gros, il s'agit d'accorder l'adjectif au féminin si le nom le plus proche est féminin.

Un exemple sera plus parlant... Au lieu d'écrire:
"Le prince et la princesse heureux ont salué le peuple."
... on devrait écrire:
"Le prince et la princesse heureuses ont salué le peuple."
Ce faisant, on abolit enfin la règle machiste qui veut que "le masculin l'emporte sur le féminin".

Si je n'étais pas plus attentif, je pourrais presque me laisser convaincre par les féministes: après tout, au fond, tout le monde sait très bien que cela ne changera rien et que la vaisselle ne sera toujours pas lavée par ces messieurs.

Mais le Français, ça fait partie de mes tics nerveux, et il se fait que j'ai été attentif, ce coup-ci.

Mesdames, désolé, votre règle de la proximité, c'est du caca.

Et je vais vous dire pourquoi.

Quand une langue évolue, elle est censée améliorer la langue, la rendre plus subtile, harmonieuse; elle doit permettre de rendre compte avec précision de la réalité - qui évolue, elle aussi. C'est pourquoi je ne suis absolument pas opposé à une évolution radicale de la langue française quand cela se justifie.

Par exemple, dans de nombreux domaines techniques (le web en est un) l'usage des anglicismes est nettement plus pratique, précis, et subtil. Je n'éprouve donc aucune honte à préférer le terme de "Smiley", plutôt que celui "d’Émoticône", ridicule et difficile à prononcer. J'envoie un "e-mail", et pas un "courriel", et certainement pas un "mèl", n'en déplaise à l'Académie et aux Québécois.

Mais revenons à nos moutonnes...

L'évolution qu'elles proposent, la règle de proximité, possède un défaut majeur - et éliminatoire : elle rend la langue moins précise. Je m'explique...
"Le prince et la princesse heureux ont salué le peuple".
Puisqu'une princesse ne peut pas être "heureux", mais forcément "heureuse", on entend, à l'oreille, que l'adjectif se rapporte forcément aux deux noms. Le prince ET la princesses sont tous les deux heureux. Tout le monde a bien saisi le sens de la phrase.

Par contre, dans la proposition "Le prince et la princesse heureuses...", on croit comprendre avec effroi que le prince vient d'épouser un laideron dont il ne partage pas le bonheur. C'est un détail, mais ça change complètement le sens de la phrase. Dans le cours d'un roman, cela peut momentanément déstabiliser le lecteur et le faire sortir du récit, ce qui n'est pas recommandé.

Bref: la langue vient de perdre un peu de sa précision, et l'on sera obligé de recourir à des périphrases pour se faire comprendre sans ambiguïté. Ce serait dommage.

Bien sûr, on pourra me rétorquer que mon exemple ne fonctionne que si le nom masculin vient en premier lieu... Mais ça fait 50% de phrases bien compréhensibles. Ne rabaissons pas ce quota à zéro juste par sens d'égalité mal placé.

Une langue qui perd en précision, en subtilité, un peu comme le langage des textos chers à nos ados, ça me rappelle toujours, avec un frisson dans le dos, la Novlangue de 1984. On a peur de la Crimepensée alors on essaie de rendre la langue Doubleplusbon pour faire plaisir au Miniver. C'est effrayant...

Au delà des pinailleries grammaticales un peu stériles (je dois bien l'avouer) c'est surtout ce courant vindicatif du féminisme qui me chagrine. Mais je n'en dis pas plus, ceci n'est pas un blog politique... Le jour où elles auront des amendements qui rendent la langue plus riche, je serai le premier à les appliquer avec joie!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire