23 février 2012

Exporting Raymond

Phil Rosenthal, le créateur de la sitcom "Everybody Loves Raymond", a filmé son voyage en Russie lorsqu'il a été appelé par les pontes du studio pour superviser l'adaptation locale de sa série à succès. A priori, rien de bien excitant... Et pourtant, confronté au grand écart culturel, Rosenthal va se rendre compte qu'une formule donnée gagnante au pays de l'oncle Sam n'est pas forcément une bonne idée au pays des Soviets.


Ce documentaire vise évidemment une cible très particulière: les fans de la sitcom originale ou alors, comme moi, ceux qui s’intéressent aux coulisses de ce genre de séries. Car, en effet, on y apprend pas mal de chose sur le casting, le réglage des gags, et tout le processus intellectuel qui guide l'écriture d'une sitcom.

Il est amusant de constater le désespoir de Rosenthal face aux Russes, qui souffrent de graves lacunes en matière d'humour. Une séquence l'illustre bien, c'est le dîner avec le patron du département humour de la télévision, qui a l'air aussi drôle qu'un officier SS. Mais c'est surtout l'occasion de se regarder dans le miroir: souvent, en voyant l'état de la production française, je me suis dis que tout ce serait passé à peu près pareil à Paris. Et là j'ai eu un frisson dans le dos...

Je vais essayer de passer en revue tous les éléments qui font que la version Russe ne fonctionne pas comme sur des roulettes, et comparer avec la France...

Numéro un: les égos!
De loin le problème le plus handicapant sur le plateau, les créatifs Russes ne roulent que pour leur propre pomme, en dépit du bon sens. Voyez par exemple cette costumière qui s'entête à habiller les actrices comme si elles étaient au bal des débutantes, alors que la scène consiste à faire le ménage à la maison! Défiant toute logique, la costumière insiste que ses actrices doivent "être belles". Que d'efforts pour la convaincre. Autant d'énergie gaspillée qui aurait pu être utilisée à d'autres tâches.

Bien sûr, en France, nos costumières ne poussent pas le vice jusque là. Mais je lis régulièrement sur les blogs et les newsletter consacrés à l'audiovisuel des problèmes issus en ligne direct d'égos surdimensionnés, de la part des acteurs, des réalisateurs, des producteurs et surtout des diffuseurs. Au lieu de faire cause commune pour atteindre un objectif commun (la meilleure série possible), chacun s'applique à sauvegarder sa corporation, son lopin de terre, et sa gloriole. Le résultat est toujours pathétique...

Numéro deux: l'instabilité hiérarchique.
Comme en Russie, les têtes pensantes et les décideurs jouent souvent aux chaises musicales et ne tiennent pas en place plus de quelques mois. Difficile de trouver une continuité dans ces conditions! Ainsi, dans le documentaire, on assiste, impuissant, à des changements de casting pour la simple et bonne raison que la direction change de main. Chacun place ses pions (ah! encore l'égo!) en dépit du travail accompli auparavant ou de l'avis (pourtant justifié) des créateurs de la série.

En France, demandez à n'importe quel scénariste, il vous confirmera que bon nombre de séries et/ou de projets sont annulés parce qu'untel n'est plus à la tête de France Télévision (et je peux en citer d'autres, mais le service public est particulièrement fort en la matière). Certes, les hommes bougent, mais de grâces, faites en sorte que les projets puissent survivre à une simple promotion. C'est vital pour avoir une vue à long terme sur la création. On a déjà prouvé 1000 fois qu'une série doit s'installer dans le temps pour trouver son public (exemple: Plus Belle la Vie). Annuler des séries qui marchent après une ou deux saisons, c'est criminel. Avorter des projets qui ont demandé des mois de travail pour placer son neveu ou la cousin d'un pote, c'est juste triste.

Numéro trois: une incompréhension du genre.
Les Russes voulaient adapter une sitcom américaine, telle quelle, en traduisant bêtement les scénarios. On a déjà vu ça en France: l'adaptation ridicule de The Office sur Canal. Résultat: lamentable! Pourquoi? Parce que la création d'une sitcom demande un minimum de compréhension du genre. Ce n'est pas la même chose de demander à des humoristes de faire leur show en roue libre (comme le réussit assez bien On ne demande qu'à en rire) et de s'appuyer sur des acteurs pour raconter une histoire...

Car voilà le grand malentendu: la sitcom n'a pas bonne presse en France. Mon confrère Sullivan Le Postec explique très bien la méprise qui court dans l'audiovisuel Français au sujet des sitcoms et des shortcoms, et qui à la base de plusieurs déconvenues (voir l'article "Et si on arrêtait de récurer", au bas de la page).

En Russie aussi, la sitcom était un genre bâtard, destiné à mettre en scène des acteurs médiocres et des gags tarte à la crème. Une partie du documentaire se consacre d'ailleurs au casting d'un bon acteur, issu d'un théâtre historique. Mais il ne jouera jamais dans la série, car le patron du théâtre n'a que mépris pour les sitcoms.

Et Rosenthal de dire en substance: "Grand théâtre et sitcom, même combat, même si le mode de communication est différent". Mais il n'est entendu par personne...

On voit vers la fin du film que les gags commencent à fonctionner quand les réalisateurs russes comprennent le sens profond de ceux-ci. Non, une sitcom n'est pas forcément tarte à la crème: elle peut être réaliste, imprégnée par les situations vécues, et tirer sa force comique d'une observation honnête de la réalité.

Pas une différence de culture.
Bref, entre la Russie et la France, j'ai vu pas mal de points communs, et aucun de ceux-ci n'était "une différence de culture", comme on essaie souvent de nous expliquer quand on se demande pourquoi les sitcoms sont nazes en France. Les problèmes de couple, les émois amoureux, les gaffes en société, sont les mêmes partout dans le monde: c'est justement ceux-là que la sitcom explore.

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