L'art consiste à imiter, symboliquement ou non, la réalité. Un bon artiste imite mieux qu'un mauvais artiste. C'est, en fin de compte, aussi simple que cela.
Dans un scénario, l'imitation de la réalité doit se situer au niveau des situations décrites. Peu importe leur environnement, totalement farfelu ou rigoureusement réaliste, peu importe la subtilité des enjeux, pourvu que les personnages, leurs motivations, leur psychologie et leurs actions constituent une imitation réussie de la réalité.
Le but du jeu, c'est de faire ressentir des sentiments au spectateur. Pour y arriver - et j'en reviens à mon expression de "toucher l'humain" - il faut éveiller en lui des souvenirs parfois enfouis, et entrer en résonnance avec le souvenir idéalisé d'une situation qu'il a vécu.
Pour arriver à éveiller le souvenir de manière assez forte, et donc pour que la scène ait un impact maximal, il faut dépeindre les sentations - au sens propres, celles des cinq sens - de manière la plus conforme à celles enfouies dans la mémoire du spectateur.
Evidemment, cinéaste et spectateur n'ont pas vécu au même endroit, dans le même environnement. C'est pourquoi tout l'attirail qui encadre la situation humaine importe peu.
Mais les sensations vécues sont universelles. Ces sensations, c'est un certain type de lumière, de son, d'odeur, de "feeling"... Autant de choses impossibles à décrire avec précision dans un scénario. C'est le travail du réalisateur.
Ce que le scénariste peut contrôler, par contre, ce sont les circonstances de l'événement, la psychologie des personnages, les paroles prononcées. Le scénariste doit faire en sorte que ces éléments soient universels.
Un exemple sera plus parlant: imaginons l'histoire tragique d'une mère, veuve et misérable, qui doit s'occuper de son fils tétraplégique. Bien que la situations soit très triste, elle n'évoquera pas de sentiment particulier chez le spectateur lambda. Tous les pleurs et les cris n'y changeront as grand chose... Il sera poliment désolé pour cette pauvre dame, sans ressentir pour autant le moindre sentiment d'attachement.
Afin de faire comprendre la détresse de cette mère-courage, il faut éveiller chez le spectateurs des sentiments qu'il aura certainement vécu même sans avoir connu de tétraplégique dans sa vie: l'injustice, le fait de se battre sans cesse pour rien, l'impuissance, l'envie d'abandonner, l'envie de lutter pour un proche, la haine d'une situation qu'on ne contrôle pas.
Il faut raconter l'histoire de la mère-courage par le biais de situation que tout le monde a vécu: se faire remballer au pire moment par un fonctionnaire obtu. Le sentiment de frustration dans ces moments-là reste gravé à jamais, et l'évocation de cette situation résonnera chez le spectateur.
N'importe quelle histoire, celle d'une mère-courage, d'un mafieux, d'un astronaute, ou de n'importe qui, ne voudra rien dire tant qu'elle ne se contentra que d'évoquer un cas particulier, une succéssion d'événements vus de l'extérieur.
Cette évocation ne suffit pas, car elle n'imite pas la réalité. La succession des événements est fictionelle, elle n'a aucun rapport avec la réalité. L'imitation de la réalité a lieu au niveau des situations humaines. C'est là que le travail du dramaturge importe. Le reste n'est qu'enrobage.
6 commentaires:
Tu adoptes une position strictement réaliste qui n'est pas sans limitations et qui surtout ignore le fait que des éléments non réalistes peuvent très bien évoquer des sensations et des sentiments, spécialement dans le cadre de l'image. En effet si en littérature l'artiste est limité par les mots et leur sens, le créateur d'image ( fixe, comme la peinture ou la photographie, ou animée comme le réalisateur de film ) dispose lui d'une palette d'instruments variés qui lui permettent d'exprimer quelque chose sans avoir recours à des images réalistes. A la rigueur un enchevetrement de lignes de couleurs différentes ondulant selon un certain rythme peut évoquer ou provoquer une sensation. C'est d'ailleurs un procédé courament utilisé et particulièrement efficace, surtout lorsque combiné avec une bande sonore appropriée.
bryaxis > la sensation crée par les images hypnotiques et la musique "appropriée" ne rentre pas, ou difficilement, dans un cadre dramaturgique. je vois mal quelqu'un raconter une histoire cohérente en ayant uniquement recours à ce genre de procédé.
le cinéaste (j'exclus le cinéma expérimental, évidemment) doit raconter une histoire avant tout.
je précice bien en début de texte, que l'imitation de la réalité peut être symbolique.
mais un éloignement radical de la réalité, à mon avis, ne fonctionne pas au cinéma.
@Vanpet; ils fonctionne mais pas en Europe... (ni usa)
althend > un exemple?
Mmmh comme exemple: les milliers de filmes asiats/boliwoodiens (qui font flop) qui se focalisent sur la beauté des décors et la poésie et très souvent kitsh mais rien à voir avec la réalité; et evidemment pour lequel on ne retrouve aucun "sentiment/dénominateur commun" vis ) vis de nous humbles télespectateurs :D
althend > les "danses" de bollywood c'est comme nos comédies musicales à nous... les passages chantés sont évidemment pas réalistes, mais le récit qui les relie, il est bien obligé de l'être: l'amant trompé exprime sa souffrance par la chanson, etc.
ça fait partie des choses symboliques, qui peuvent tout à fait convenir pour décrire de manière assez réaliste (dans le ressenti, la façon d'exprimer des pensées enfouies) des sentiments que les personnages éprouvent.
voilà pour bollywood, et le kitch.
pour les films asiat contemplatifs, c'est du réalisme en plein: beauté de la nature, etc.
prenons Tigre et Dragons: les gens volent, c'est pas réaliste. Mais ça on s'en fout, c'est comme le sabre laser de Star Wars, ce n'est pas le fond du probleme dramaturgique. Le vrai probleme est plus réaliste, c'est une sombre histoire de couple/trahison si je me souviens bien... enfin, un truc très humain quoi...
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