19 novembre 2006

Décortiquer l'humour

John Rogers (scénariste américain), sur son blog Kung-Fu Monkey, explique régulièrement certains termes du jargon des scénaristes de séries télévisées américaines, un jargon souvent associé à l'humour.

Si à première vue ce jargon peut sembler superficiel, en réalité il démontre une connaissance approfondie des mécanismes qui font qu'une blague marche ou ne marche pas dans un scénario.

Un peu comme les esquimaux qui ont une dizaine de mots pour désigner la neige, les scénaristes comme John Rogers différencient les blagues par des termes différents. Un classement empirique qui permet rapidement de cerner les limites de chaque style de blague, et au besoin, d'en construire très rapidement.

Cette façon de faire est un peu mécanique: l'humour naît grâce à des recettes pré-établies que l'on peut ressortir à l'envi. Ce n'est pas de l'humour fin, ni très original. Mais il fonctionne, du moins dans des séries et des sitcom.

Nous allons donc faire un petit tour des techniques existantes. Je n'utiliserai pas le jargon d'origine, puisqu'il ne sera pas très parlant pour nous autres européens. Je me permets donc d'inventer des noms de toute pièce.

Le râteau: quelque chose de drôle se répète jusqu'à n'être plus drôle... et se répète encore pour en devenir finalement irrésistiblement drôle. Cette méthode est bien connue dans un épisode des Simpsons, où Homer marche sur un râteau, se fait mal, se retourne et marche sur un autre râteau... et ainsi de suite pendant une minute entière!

L'entrée fracassante: un personnage fait son entrée à un moment amusant. Exemple:

Personnage A : "Mais quelle espèce d'abruti pourrait bien avoir fait ça?"
Personnage B (il entre, tout naïf) "Sa-luuuut!"

La réponse cut: un personnage jure qu'il ne fera pas quelque chose. Cut. On le voit en train de le faire.

L'idiot: dans une scène très dramatique, insérer un idiot qui a toujours un temps de retard sur les autres et qui comprend tout de travers.

Mettre un défaut en lumière: si il y a un défaut de logique dans le scénario qui ne peut être résolu, autant faire en sorte qu'un personnage en parle de manière très explicite. C'est drôle mais ça affaibli l'ensemble du scénario.

L'aparté: un personnage rit avec tous les autres, puis subitement fait un aparté face caméra pour se plaindre. Cela montre son hypocrisie de manière drôle.

Voilà quelques exemples typiques que l'on retrouve dans de nombreuses sitcoms. Bien utilisées, elles peuvent être tordantes. Mais leur effet peut aussi être nul si la situation n'est pas bien préparée: dans la comédie, le rire est le dénouement d'une situation inextricable. Il n'arrive pas comme un cheveux dans la soupe.

Le rire c'est comme une grenouille: quand on la dissèque, elle meurt. Il convient de laisser une place importante à l'improvisation et au rire spontané. Mais dans un scénario de long-métrage, impossible de se passer de la construction méthodique de situations inextricables. Tous les films de Pierre Richard, par exemple, sont très construits.

Des théoriciens ont cherché à percé les secrets du rire provoqué par la comédie. Henri Bergson, par exemple, a publié en 1900 un essai sur le rire. Sa lecture n'est pas d'un grand secours pour les scénaristes. Tout au plus dégage-t-il quelques tendances. Les voici:

Premièrement, le rire est humain, et dans la comédie il est provoqué par les humains. La nature peut être belle, laide, puissante ou insignifiante, elle n'est jamais drôle. Donc la base de toute comédie ce sont des personnages bien construits, atypiques.

Deuxièmement, le rire ne s'adresse pas aux émotions, mais à l'intelligence. Le rire est issu d'un raisonnement logique. Les situations comiques doivent donc avoir un fondement logique, ou justement se moquer du manque de logique d'une situation.

Troisièmement, le rire n'est pas solitaire. Le rire est une communion. La comédie doit donc parler au gens, faire raisonner en eux des choses vécues. On ne rit pas de situations que l'on n'a jamais pu connaitre.

Bergson explore plus loin dans son ouvrage de nombreuses théories sur l'origine du rire dans la comédie. Mais faut-il lire Bergson pour écrire un scénario comique? Probablement pas.

Décortiquer l'humour est un jeu dangereux. Connaitre les recettes retire un peu de saveur à l'humour. C'est comme décortiquer le texte d'un humoriste. Instructif, mais pénible. A vous de voir.

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