12 mai 2010

La difficulté d'écrire des dialogues

Un lecteur m'envoie cette question et j'aimerais prendre le temps d'y répondre convenablement:

J'ai constaté que le plus difficile, dans l'écriture d'un roman, était la rédaction des dialogues. Comment faut-il s’y prendre? Faire parler un personnage dans le langage argotique s’il est d’origine populaire? Tel autre intervenant pourra-t-il prononcer des grossièretés? Et si mon héros n’est pas très causeur, puis-je montrer au grand jour qu’il ne termine jamais ses phrases ?

J'avais déjà écrit un article sur les dialogues il y a quelques années, mais il est grand temps de détailler cette étape périlleuse du scénario.

Je ne connais pas de méthode universelle pour réussir ses dialogues. Chacun y va de son procédé. Mais ce que je sais, par expérience, c'est que chaque fois que j'ai voulu faire une figure de style dans un dialogue, l'effet est tombé à plat. Cela plaide donc en faveur d'un certain réalisme.

Le roman et le scénario ne sont donc pas sur le même pied d'égalité dans ce domaine. Dans un roman, on peut facilement écrire des tirades de plusieurs paragraphes, avec des mots de quatre syllabes (ou plus!) sans avoir l'air ridicule. Dans un scénario, ce n'est pas possible.

Il faut apprendre le rythme du langage oral.

C'est une question de feeling. On l'a ou on l'a pas. Moi, je ne l'ai pas. Quand j'ai travaillé à la télévision, je devais vraiment faire un effort soutenu pour pondre les textes des présentateurs (qui sont en réalité des monologues, mais le principe est le même). C'était pourtant des choses aussi triviales que le hit parade et les capsules "people" de l'après-midi. Oui, mais voilà, le rythme oral est très éloigné de celui de l'écrit. Ecrire la fiche d'un présentateur, ce n'est pas comme écrire un blog, et encore moins comme une thèse de philosophie. Il ne faut jamais hésiter à utiliser des tournures de phrases familières, des expressions imagées, un langage coloré. L'écriture est en général beaucoup plus terne que la parole. Alors, coloriez vos mots!

D'autre part, même pour faire passer des idées complexes, il faut toujours utiliser des mots simples et des phrases courtes. Je vois mal comment on peut trouver une exception à cette règles. Quitte à utiliser des paraphrases, évitez les mots de quatre syllabes!

Or, chaque fois que je regarde une série française, je tombe sur des énormités. Prenons un exemple, d'après moi le pire, c'est à dire R.I.S. Police Scientifique. C'est un extrait d'épisode, en plein milieu: pas besoin de contexte, concentrons-nous sur les dialogues.



Dés le départ, la tonalité est assez fausse, ne trouvez-vous pas? Décortiquons...

- Ecoutez, je savais que Jean écrivait un livre. Mais ça m'était égal... je l'aimais.

La bonne femme déballe ses sentiments de but en blanc. Elle est dans un interrogatoire et ouvre les hostilités par "je l'aimais". Les anglo-saxons appellent ça du dialogue "on the nose". C'est à dire subtil comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Au-delà de cette évidence, notez la construction de phrase: les mots-liens sont totalement absents. C'est très haché. C'est une technique qui marche parfois, mais là, elle est érigée en système. Ca en devient artificiel. Il faut varier les techniques: le "flow" de la parole doit être comme une montagne russe, avec des haut et des bas, des lents et des rapides, de pleins et des déliés. Quelque chose dans ce goût là:

- Je savais très bien que Jean écrivait un livre. Je le savais depuis le début, mais je m'en foutais, en fait. C'est juste que je voulais pas lui causer des problèmes, c'est tout.

Dans ma version, la dame est plus familière, plus sur la défensive, comme dans un interrogatoire normal, j'imagine.

La suite du dialogue contient un vrai problème:

- Pourquoi vous nous avez menti, alors?
- Parce que cette histoire n'appartient qu'à moi!

Voilà. Quand je dis d'éviter de faire un thèse de philosophie, ça vaut dire: n'écrivez pas ce genre de charabia! Ca ne veut rien dire, c'est une réponse très insuffisante, incohérente, et frustrante. On a l'impression que le scénariste se fout de notre gueule parce qu'il n'a pas prévu d'explication valable!

Je ne connais personne qui parle comme ça. A la limite, elle pourrait dire ça:

- Parce que tout ça ne vous regarde pas! C'est entre moi et Jean!

La suite me semble un peu moins mauvaise: elle parle plus naturellement ("un mec l'a mordu"). A la limite, on pourrait reprocher à l'actrice un ton monocorde assez désagréable. Après tout, elle est censée se défendre lors d'un interrogatoire. Là, on dirait une dépressive chez un psy.

Pour répondre à la question du lecteur, nous pouvons donc dire: oui, il est bien de faire appel au langage argotique et à la vulgarité, la familiarité et aux fautes de français si nécessaire. Mais, plus que le choix du vocabulaire, c'est le choix de la structure de phrase qui donne un certain rythme à la parole. Des phrases courte, articulées dans un ordre chronologique de la pensée, on non pas dans l'ordre de la logique grammaticale.

Ceci dit, je ne peux pas m'arrêter là, car l'expérience m'a aussi appris autre chose: chaque fois que j'ai réfléchi trop longtemps pour pondre une réplique réaliste, je n'y suis pas parvenu. Mon texte avait l'air "trop travaillé". Et le réalisme devenait artificiel. C'est comme le parisien qui imite l'accent belge: il aura tendance à rajouter "un fois", à la fin de chaque phrase ("Dans le port de Bruxelles, il y avait une moulinière, une fois!"), ce qui est comique, mais loin d'être réaliste!

Le seul moyen vraiment efficace, c'est d'y aller au naturel. Foncez, ne réfléchissez pas, tout en sachant que vous n'écrivez pas un roman! Le KISS principle est roi: keep it simple, stupid!

3 commentaires:

Matthieu R. a dit…

C'est vrai que dans l'écriture d'un dialogue, au final et à mon sens, la musicalité de la phrase est le plus important.

On a l'avantage d'avoir un langage très riche qui permet de dire les mêmes choses de beaucoup de manières différentes, et ça serait dommage de ne pas en profiter.

Je ne sais plus si c'était justement dans ton premier article sur le sujet que tu abordais ça, mais Shakespeare, par exemple, faisait parler ses personnages, rois comme manants, de la même manière, parce que la vraie caractérisation venait des attitudes, des rapports de force, etc, bref, tout l'environnement autour. Mais c'est du théâtre, c'est différent aussi.

Sans être un spécialiste des dialogues, même si c'est ma partie préférée à écrire, je me permets de filer ma méthode, si elle peut aider, ou servir, sait-on jamais.

Après avoir défini les grandes lignes de mon personnage, je laisse quelques jours mijoter en y pensant mais sans rien écrire. je lui cherche une voix, en fait. Selon moi, la voix fait tout. Encore et toujours cette histoire de musicalité.

Pour la trouver, je parle, tout seul, je teste des différentes voix, tonalités, et on se rend vite compte que la voix agit sur notre posture, et vice versa (prenez Belmondo dans ses films, sa voix, son attitude semblent indissociables, naturels).

Après ça vient tout seul, parce qu'une voix et une posture permettent de définir plus en profondeur le personnage, sur son éducation, son histoire, son parcours...ce qui permet donc de compléter le personnage, et plus on en apprend sur lui de cette manière, plus il devient facile de jouer ce personnage, et plus le langage se détermine de lui-même.

Il faut juste accepter d'être plusieurs dans sa tête, mais c'est vraiment amusant, tout ce processus.
Et puis plus on rentre dans le jeu, plus on se surprend des fois à penser comme untel ou untel, ce qui est aussi bénéfique, de voir comment le monde fonctionne pour ses personnages, ça détermine en grande partie le dialogue également.

Enfin, voilà, grosso modo, ma manière de procéder.
J'espère qu'il y aura pour vous une petite aide en plus de cet article.

Nicolas Van Peteghem a dit…

Très bonnes remarques, Matthieu!

Et j'aimerais rajouter un détail scientifique qui sort de mes cours de communication de l'université: le langage PRECEDE la pensée! Un langage avec qui contient plus de mots agressifs rendra quelqu'un agressif. Un langage doux et polis rendra quelqu'un plus doux!

Un langage ne contenant que 50 mots simples rendra quelqu'un... simplet!

C'est scientifique! Faites-en donc bon usage!

David a dit…

Écrire un dialogue devient beaucoup plus facile une fois qu'on connait la théorie des jeux (rebaptisée Analyse Transactionnelle) et les ouvrages de Paul Watzlavick comme Une Logique de la communication. En gros n'importe quel sorte de situation dialoguée s'écrit quasiment automatiquement avec un impact émotionnel et logique irrésistible dès lors qu'on considère le dialogue soit comme un rite (le locuteur ne déguise pas ses intentions) soit comme un jeu (le locuteur déguise ses intentions).

Ensuite on considère le dialogue comme un jeu avec des rôles à distribuer (par exemple Bourreau / Victime / Bon samaritain) et on suit la règle du jeu (ou du rite), c'est à dire une liste de "coups" à réussir durant une série de phases comme dans un jeu de plateau comme le Monopoly ou le Cluedo que l'on aura soit appris dans un ouvrage sur la gestion des personnes ou la communication, soit que l'on aura reconstitué par l'observation de la vie réelle ou d'une œuvre de fiction de n'importe quelle époque qui met en scène le jeu ou le rite.

La seule difficulté est ensuite de doser et de s'endurcir : certains jeux sont très dérangeants et peuvent impacter le lecteur / spectateur avec une violence inimaginable. IL faut aussi savoir rester humble et ne pas se prendre pour un psychanalyste quand bien même la science des jeux et des rites est comme une révélation sur pourquoi et comment les gens tombent dans les pièges de la vie.
Enfin, tout le monde n'appréciera pas de découvrir l'envers du décor des relations humaines, mais je garantis en tout cas une progression spectaculaire du niveau et de la vitesse d'écriture.

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