Analyser les scénarios de "Bref", la shortcom de Canal+, est un exercice un peu particulier dans le sens où son écriture est intimement liée à la réalisation, au montage et aux effets spéciaux. Pour la première fois (en France et peut-être même dans le monde), une sitcom repose d'avantage sur son rythme et son visuel que sur ses dialogues.
L'objet de ce blog étant l'écriture, je vais essayer de faire abstraction de l'emballage (le buzz sur Facebook, le casting excellent, le montage clipesque) pour analyser les sources des gags dans Bref. Je passe outre le côté générationnel et "connecté" de la série qui alimente beaucoup le buzz mais ne me semble pas si important que cela - en tout cas du point de vue du scénariste.
Comme d'habitude, commençons par un relevé de compteur lolesque de l'épisode pilote...
Durée: 1'46
Nombre de rires potentiels: 12
Nombre de rires réels: 2
Nombre de sourires: 6
Comme toujours, il y a un écart entre le nombre de gags prévus par les auteurs et le nombre de rires réels. D'habitude, le marge est de 70% de réussite. Ici, c'est beaucoup plus faible, mais principalement parce que le format ne se prête pas aux éclats de rires (manque de temps, aucune respiration après un gag). Du coup, on sourit quasi tout le temps, mais je n'ai vraiment rigolé que deux fois grâce au copain pervers, puisque je ne crache jamais sur l'humour gras.
Le premier gag de la série est basé sur une vieille mécanique imbattable: la triple répétition, dont le dernier élément est modifié:
"Je sais pas.
- Je sais pas.
- J'entends pas."
En soi, ce n'est pas drôle, mais avec le rythme du montage, cela provoque mécaniquement le rire.
Lisez Bergson si vous voulez en savoir plus.
La suite de l'épisode continue sur le même genre de répétitions dont un élément est modifié.
"Je lui ai raconté une blague, elle a rigolé.
Je lui ai encore raconté une blague, elle a pas rigolé."
Ici, la drôlerie provoquée par le côté mécanique de la voix-off et accentuée par le côté "loser" du personnage qui commence tout doucement à s'installer. J'ai déjà démontré maintes fois qu'en sitcom, un personnage loser est indispensable pour bien rire. Nous somme donc en territoire connu, et Bref n'aura qu'à s'inspirer de
Georges Constanza pour remplir ses épisodes.
Et pour enfoncer le clou, la même mécanique est utilisée encore une fois:
"Je suis caissière...
- C'était pas intéressant.
- ... dans un sexshop.
- C'était intéressant!"
On commence à voir comment l'écriture et le montage sont lié: joués de manière classique, ces dialogues ne fonctionneraient pas vraiment. Avec la formule du vidéo-clip, c'est plus musical et efficace.
Après 45 secondes, les auteurs en finissent avec leurs répétitions pour passer à l'autre grand classique de l'humour: le sexe!
Evidemment, il ne suffit pas de dire bite et couille pour faire rire, il faut apporter une valeur ajoutée. Dans le cas de Bref, la valeur ajoutée est la fine observation du quotidien des trentenaire de notre génération. Et donc, le "baise-laaaaaaaa" avec 8 "a" par texto fonctionne vraiment bien, car on a tous déjà reçu ce genre de messages.
Le reste des épisodes sera encore plus axé sur l'observation du quotidien, jusqu'à devenir un petit documentaire sur la vie en milieu urbain dans les années 2000. Souvent d'ailleurs, cette observation fine s'arrête à de la pure observation, sans qu'un gag vraiment construit vienne la soutenir. C'est le montage rapide qui fait passer ces facilités sans problème.
Pour en revenir au pilote, notons les prémices d'une technique d'écriture qui sera elle aussi beaucoup utilisée tout au long de la série:
le set-up et pay-off. Kyan observe un pop-corn sur l'épaule de la fille, sans y porter plus d'attention. On croit que cet élément est oublié... Pour finalement y revenir plus tard.
Malheureusement, dans cet épisode, le pay-off n'est pas drôle, il sert simplement à introduire le personnage du copain gay. Une écriture plus serrée aurait permit de faire revenir le pop-corn dans un contexte inattendu, qui provoquerait un rire. C'est le but du pay-off dans la comédie en général.
Même si cet épisode pilote est loin d'être parfait, il montre déjà les bases de ce qui fait le succès de Bref: sa réalisation et son rythme, ainsi qu'une observation amusante de la vie quotidienne. Ce que l'on peut retenir, c'est un choix excellent des personnages: le loser volontariste, qui va draguer une fille alors que l'échec est prévisible, underdog à qui l'on souffle la fumée de cigarette dans la figure, celui là est vraiment un héros de sitcom.
Le personnage du copain pervers est aussi très bien vu, dans le sens où c'est un personnage éminemment amoral, dégoûtant et peu fréquentable, mais malgré tout un très bon copain qui s'inquiète de la vie sentimentale du héros: on l'aime déjà. En ce sens, il est une copie francophone de Barney Stinson dans How I Met Your Mother: l'obsédé sexuel utile, un nouveau cliché de sitcom du 21ème siècle!
Le fait que Bref soit un énorme succès prouve aux diffuseurs qu'il faut un peu de couilles pour faire rire: il faut oser dire "baiser", "sucer", "branler". Pas par facilité ou par médiocrité, mais parce que le "parler vrai" est le seul qui puisse vraiment toucher les gens. On ne peut pas mentir en humour. Même NBC l'avait compris dans les années 90, en diffusant Seinfeld, une sitcom qui contient plus d'allusions sexuelles qu'une série rose de M6.
Arrondir les angles, c'est la mort assurée de la sitcom. TF1, prenez exemple sur Bref. J'ai lu que vous vouliez programmer une sitcom en accèss: ne soyez pas trop politiquement corrects. Vos tentatives humoristiques étaient trop polissées jusqu'à présent. Comme disait André Manoukian: ça sent trop le savon et pas assez la foufounne. Bref, lui, sent le mâle en ruth à 2km à la ronde, et c'est une très bonne chose!