28 février 2012

It's always funny in Philadelphia

Avec un budget frôlant le zéro absolu, la sitcom "It's always sunny in Philadelphia" est parvenue assez rapidement à engranger un public d'habitués, même si le succès mainstream n'a jamais été de la partie (rarement plus de 2 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis)... Et ce, malgré la présence de l'hilarant Danny DeVito. Analyse.

Je vais vous faire une confidence: si je devais tourner une sitcom un jour, elle ressemblerait beaucoup à "It's always sunny in Philadelphia". Des mecs basiques et vulgaires, vivant dans la crasse et l'alcool, toujours prêts à faire un mauvais coup. Des filles, ici en minorité, qui ne sont pas beaucoup mieux: généralement moches, au mieux passables, mais jamais charmantes, elles ne représentent aucun fantasme (contrairement aux canons qui peuplent en général les autres sitcoms).

La bêtise humaine est ici poussée à son paroxysme. Charlie, le personnage principal, est illettré, et sa principale activité consiste à récurer les toilettes d'un bar mal famé. Il vit dans un appartement déglingué, sniffe de la colle, et n'a aucune vie sexuelle, son coeur battant pour une fille qui le déteste plus que tout.

Ses copains sont machos, pas futés, égoïstes, radins, drogués, orphelins, alcooliques, parfois vraiment méchants, bref: des véritables héros de sitcom! On ne le répétera jamais assez, les bons personnages comiques se doivent d'être des loques humaines. Les auteurs ont ici chargé leur plume, et c'est tant mieux.

Que reste-t-il alors pour nous faire apprécier ces monstres?

A vrai dire, pas grand chose... sinon l’accoutumance. La première saison est pour cette raison difficile à apprécier pleinement au premier regard: on tombe vraiment en territoire inconnu, et c'est parfois rebutant. Mais au fur et à mesure, on apprend à les connaître, et - comme avec des copains d'enfance - on leur pardonne beaucoup.

Ceci dit, les scénaristes nous facilitent la tâche: ils ont créé ce que l'on appelle des "underdogs", des gars à qui rien ne réussit. Et ça, c'est une constante de la dramaturgie: le public a *envie* de les soutenir dans l'adversité.

Prenez Charlie, le personnage principal. Il ne bénéficie pas de plus de temps d'écran que ses compagnons, il n'a pas une histoire plus profonde que les autres (au contraire, on n'en sait pas grand chose sur sa vie), mais la seule et unique raison pour laquelle il ressort comme étant le *héros*, c'est parce qu'il poursuit un amour qui le rejette. Parlez d'une adversité! C'est universel, c'est noble, et c'est parfait pour lui excuser tous ses sales coups et des accès de colère.

Dumb & Dumber
L'humour fonctionne rarement dans la bêtise pure. Il faut en général confronter la bêtise à une certaine forme d'intelligence pour que le contraste soit la source du rire. Dans le cas de "It's always sunny in Philadelphia", point de salut: personne n'est là pour rattraper l'autre. La technique que les scénaristes utilisent alors est une sorte de surenchère de la bêtise (qui peut parfois agacer d'ailleurs), un peu comme dans le film Dumb & Dumber. Le premier personnage va émettre une proposition stupide, mais va se voir directement rétorquer par son interlocuteur que son idée est idiote... Ce dernier va donc proposer une solution, qui se révèle bien sûr encore plus débile que la précédente. Et le premier de la trouver ingénieuse!

Ce schéma revient systématiquement, au début de chaque épisode, qui lance l'intrigue avant le générique. C'est répétitif, mais dans la configuration de la série, difficile de faire autrement.

Le cartoonesque sans conséquences
Contrairement à des séries comme How I Met Your Mother ou Parks and Recreation, beaucoup plus sérieuses, les actions des personnages n'ont ici aucune conséquence sur l'avenir. Chaque épisode commence comme si rien, ou peu, ne s'était passé avant. Certes, l'un ou l'autre personnage secondaire possède un arc (comme par exemple le prêtre défroqué qui fait quelques apparitions), mais aucun des protagoniste n'est vraiment touché par ce qui arrive. En ce sens, "It's always sunny in Philadelphia" ressemble beaucoup à un cartoon. Situations absurdes sans conséquences. C'est un rire différent, qui nécessite des effets plus lourds, des gags plus visuels, et une ambiance totalement désaxée relativement rare en télévision. C'est là l'originalité de la sitcom.

23 février 2012

Exporting Raymond

Phil Rosenthal, le créateur de la sitcom "Everybody Loves Raymond", a filmé son voyage en Russie lorsqu'il a été appelé par les pontes du studio pour superviser l'adaptation locale de sa série à succès. A priori, rien de bien excitant... Et pourtant, confronté au grand écart culturel, Rosenthal va se rendre compte qu'une formule donnée gagnante au pays de l'oncle Sam n'est pas forcément une bonne idée au pays des Soviets.


Ce documentaire vise évidemment une cible très particulière: les fans de la sitcom originale ou alors, comme moi, ceux qui s’intéressent aux coulisses de ce genre de séries. Car, en effet, on y apprend pas mal de chose sur le casting, le réglage des gags, et tout le processus intellectuel qui guide l'écriture d'une sitcom.

Il est amusant de constater le désespoir de Rosenthal face aux Russes, qui souffrent de graves lacunes en matière d'humour. Une séquence l'illustre bien, c'est le dîner avec le patron du département humour de la télévision, qui a l'air aussi drôle qu'un officier SS. Mais c'est surtout l'occasion de se regarder dans le miroir: souvent, en voyant l'état de la production française, je me suis dis que tout ce serait passé à peu près pareil à Paris. Et là j'ai eu un frisson dans le dos...

Je vais essayer de passer en revue tous les éléments qui font que la version Russe ne fonctionne pas comme sur des roulettes, et comparer avec la France...

Numéro un: les égos!
De loin le problème le plus handicapant sur le plateau, les créatifs Russes ne roulent que pour leur propre pomme, en dépit du bon sens. Voyez par exemple cette costumière qui s'entête à habiller les actrices comme si elles étaient au bal des débutantes, alors que la scène consiste à faire le ménage à la maison! Défiant toute logique, la costumière insiste que ses actrices doivent "être belles". Que d'efforts pour la convaincre. Autant d'énergie gaspillée qui aurait pu être utilisée à d'autres tâches.

Bien sûr, en France, nos costumières ne poussent pas le vice jusque là. Mais je lis régulièrement sur les blogs et les newsletter consacrés à l'audiovisuel des problèmes issus en ligne direct d'égos surdimensionnés, de la part des acteurs, des réalisateurs, des producteurs et surtout des diffuseurs. Au lieu de faire cause commune pour atteindre un objectif commun (la meilleure série possible), chacun s'applique à sauvegarder sa corporation, son lopin de terre, et sa gloriole. Le résultat est toujours pathétique...

Numéro deux: l'instabilité hiérarchique.
Comme en Russie, les têtes pensantes et les décideurs jouent souvent aux chaises musicales et ne tiennent pas en place plus de quelques mois. Difficile de trouver une continuité dans ces conditions! Ainsi, dans le documentaire, on assiste, impuissant, à des changements de casting pour la simple et bonne raison que la direction change de main. Chacun place ses pions (ah! encore l'égo!) en dépit du travail accompli auparavant ou de l'avis (pourtant justifié) des créateurs de la série.

En France, demandez à n'importe quel scénariste, il vous confirmera que bon nombre de séries et/ou de projets sont annulés parce qu'untel n'est plus à la tête de France Télévision (et je peux en citer d'autres, mais le service public est particulièrement fort en la matière). Certes, les hommes bougent, mais de grâces, faites en sorte que les projets puissent survivre à une simple promotion. C'est vital pour avoir une vue à long terme sur la création. On a déjà prouvé 1000 fois qu'une série doit s'installer dans le temps pour trouver son public (exemple: Plus Belle la Vie). Annuler des séries qui marchent après une ou deux saisons, c'est criminel. Avorter des projets qui ont demandé des mois de travail pour placer son neveu ou la cousin d'un pote, c'est juste triste.

Numéro trois: une incompréhension du genre.
Les Russes voulaient adapter une sitcom américaine, telle quelle, en traduisant bêtement les scénarios. On a déjà vu ça en France: l'adaptation ridicule de The Office sur Canal. Résultat: lamentable! Pourquoi? Parce que la création d'une sitcom demande un minimum de compréhension du genre. Ce n'est pas la même chose de demander à des humoristes de faire leur show en roue libre (comme le réussit assez bien On ne demande qu'à en rire) et de s'appuyer sur des acteurs pour raconter une histoire...

Car voilà le grand malentendu: la sitcom n'a pas bonne presse en France. Mon confrère Sullivan Le Postec explique très bien la méprise qui court dans l'audiovisuel Français au sujet des sitcoms et des shortcoms, et qui à la base de plusieurs déconvenues (voir l'article "Et si on arrêtait de récurer", au bas de la page).

En Russie aussi, la sitcom était un genre bâtard, destiné à mettre en scène des acteurs médiocres et des gags tarte à la crème. Une partie du documentaire se consacre d'ailleurs au casting d'un bon acteur, issu d'un théâtre historique. Mais il ne jouera jamais dans la série, car le patron du théâtre n'a que mépris pour les sitcoms.

Et Rosenthal de dire en substance: "Grand théâtre et sitcom, même combat, même si le mode de communication est différent". Mais il n'est entendu par personne...

On voit vers la fin du film que les gags commencent à fonctionner quand les réalisateurs russes comprennent le sens profond de ceux-ci. Non, une sitcom n'est pas forcément tarte à la crème: elle peut être réaliste, imprégnée par les situations vécues, et tirer sa force comique d'une observation honnête de la réalité.

Pas une différence de culture.
Bref, entre la Russie et la France, j'ai vu pas mal de points communs, et aucun de ceux-ci n'était "une différence de culture", comme on essaie souvent de nous expliquer quand on se demande pourquoi les sitcoms sont nazes en France. Les problèmes de couple, les émois amoureux, les gaffes en société, sont les mêmes partout dans le monde: c'est justement ceux-là que la sitcom explore.

16 février 2012

Everything Is A Remix

Quatrième et dernier épisode d'une série documentaire fascinante sur le thème de la copie, "System Failure" s’intéresse de près au lois de la propriété intellectuelle. Dans un contexte turbulent en ce domaine (voir les affaires SOPA, MegaUpload, PirateBay, etc.), il est toujours bon de prendre un peu de recul. Cette vidéo est partisane, mais je pense qu'elle va dans le sens de l'histoire. J'avais déjà écrit sur l'évolution culturelle dans ce blog et je suis heureux que cette idée soit partagée. Le concept de la propriété intellectuelle vit ses derniers instants, et le combat contre le système sera probablement long et sanglant (métaphoriquement, car il sera surtout fait d'avocats et de billets verts). N'est-ce pas excitant de vivre dans une période charnière de l'histoire?

14 février 2012

Parks and Recreation, le sauvetage réussi

A force d'analyser toutes les sitcoms de la planète, un jour viendra où j'aurai forcément fait le tour des bonnes et où je devrai me rabattre sur les mauvaises... Si vous n'avez vu que la première saison de Parks and Recreation, vous seriez même tenté de croire que ce jour est arrivé. Et bien non!

Exemple rare de sauvetage réussi après une première saison catastrophique, Parks and Recreation est devenue petit à petit un rendez-vous apprécié par quelques initiés (l'audience est faible mais la critique est conquise). Je vais donc sacrifier à mon habitude, zapper le pilote (qui n'est pas terrible), pour me concentrer cette fois-ci sur les changements qui ont permis à la série d'éviter la noyade.

Parks and Recreation a démarré comme une sorte de spin-off de The Office, récupérant son format mockumentary. Les premières critiques pointaient du doigt le sujet banal et déjà vu, affirmant que ce n'était là qu'une énième copie de l'original. Mais ils se trompaient.

Comme nous l'avons vu tout au long de mes précédentes analyses, le sujet d'une sitcom n'a qu'une importance minime, voire nulle. Par exemple, Seinfeld ne parle de rien. Friends parle de la vie amoureuse de quelques copains trentenaires. How I Met Your Mother parle de la vie amoureuse de quelques copains trentenaires. That 70s show parle de la vie amoureuse de quelques copains adolescents. Etc...

Bref: ce n'est pas dans le sujet qu'il faut chercher l'originalité d'une sitcom.

On le sait, le point le plus important dans la sitcom, ce sont les personnages. Il faut absolument que la sauce prenne. Hélas, tout le long de la première saison de Parks and Rec, le sauce n'a pas pris. Les personnages semblaient un peu distants, vacants à leurs occupations et laissant l'entièreté des gags reposer sur les frêles épaules de Amy Poehler (l'actrice principale). Une sitcom n'est pas un one-man-show, et - bien vite - la pauvre Amy devait en faire des tonnes pour extirper quelques rires forcés aux téléspectateurs.

Lorsqu'on compare le temps de présence de toute l'équipe de Leslie dans les saison suivantes, on se rend compte que les scénaristes ont corrigé leur erreur: les personnages secondaires ont bénéficié de plus d'espace pour évoluer et apporter des sources de gags supplémentaires. Jerry, par exemple, n'avait que quelques lignes de dialogues dans l'ensemble de la saison 1. Il faisait tapisserie. Au fil des saisons, il s'est doté d'une personnalité, d'un vrai rôle au sein de l'équipe, qui lui permet d'être drôle. C'est non seulement un bon point pour les scénaristes, qui peuvent s'appuyer sur un personnage supplémentaire pour leurs gags, mais également pour l'acteur, qui jouit désormais de plus de latitude pour exprimer son potentiel comique.

Même chose pour Ron Swanson, le boss libertaire de Leslie. Saison 1, il apparaît par intermittence, ponctuant ses entrées par quelques remarques certes drôles, mais assez impersonnelles (il est difficile de s'identifier à un libertaire extrémiste). Au fil des épisodes, lorsque l'on explore sa vie privée (ses ex-femmes, par exemple), on comprend mieux sa façon de concevoir le monde, et du coup on est directement dans l'empathie avec lui... On est presque même d'accord avec sa conception de la politique, c'est ça la magie des personnages bien écrits!

Bref, je pourrais passer en revue la liste complète des personnages pour montrer comment ils sont passés de la simple caricature monomaniaque, à des personnages multidimensionnels auxquels on peut s'attacher. C'est une bonne leçon d'écriture: les gags, aussi bons soient-ils, ne peuvent pas se suffire à eux-mêmes. Ils font qu'ils servent une brochette de personnages assez bien définis pour que l'on puisse s'identifier à eux.

La recette pour créer un personnage réussi, c'est d'aller au-délà de sa caricature. Entrer dans sa tête et le mettre face à des situations extrêmes. Sa vraie nature émerge alors, et l'on comprend mieux qui il est vraiment.

C'est par exemple pourquoi j'ai beaucoup de mal à comprendre le succès de Scènes de ménage, sur M6. Pour moi, ça tombe toujours à plat car je ne me reconnais dans aucun des couples, et je n'ai pas l'impression de cerner leur personnalité profonde. Cette série me rappelle un peu les comic-strip pas drôles qu'on trouve dans les journaux. Comparons avec Fais pas ci, fais pas ça, qui bénéficie de personnages plus fouillés, et donc plus drôles. Logiquement. Les gags en eux-mêmes ne sont même pas si importants: c'est avant tout une question de personnages!

Et ça, Parks And Rec l'a bien compris, un peu tard certes, mais le chef a réussi à rattraper sa sauce pour notre plus grand plaisir!