27 mars 2012

Worthless

Mes lecteurs (très) fidèles savent peut-être que je joue dans un groupe de rock, la musique étant ma deuxième grande passion. Il m'arrive de fréquenter des forums spécialisés (souvent en anglais) et je viens de tomber sur une vidéo qui m'a fendu le coeur. Un jeune homme de 17 ans se filme en train de jouer à la guitare dans sa chambre, lorsque sa mère débarque et lui fait la leçon. J'ai décidé de la montrer ici, car en tant que scénariste ou écrivain débutant, c'est le genre de situations que l'on est peut-être amené à vivre un jour ou l'autre, que ce soit avec un parent, un conjoint, un banquier...


Personnellement, ça fait longtemps que j'ai quitté le nid familial, donc je n'ai plus à subir de genre d'encouragements, mais tout de même, ça a touché une corde sensible. "Que fais-tu pour la société? Tu es bon à rien!" C'est un sentiment qui, j'en suis sûr, pointe le bout de son nez chez chacun d'entre nous de temps à autres... A force de se battre contre des moulins à vent, on a l'impression de devenir fou.

Alors que dire à ce jeune homme, et à tous les artistes en herbe?

Bien sûr, trouve un job "en attendant". Inutile de se ruine pour vivre son rêve... Ceci dit, n'abandonne pas! Ce n'est pas parce que maman n'apprécie pas que tout est perdu. Bats-toi, chaque jour. Entraîne-toi. Améliore-toi. Un jour, tu seras assez bon pour que maman soulève un sourcil en disant: "tiens, peut-être que je me suis trompée, après tout..."

22 mars 2012

Le QCM du CEEA

J'ai reçu plusieurs mails qui me demandent plus de détails sur le concours du CEEA, et principalement sur le QCM. Au lieu de répondre individuellement à chacun, je publie une réponse groupée ici, de sorte que tout le monde profite des réponses (subjectives et partielles, bien entendu).

1) Vous surestimez ce QCM
C'est la constante dans tous les mails, je sens une vague de panique monter (probablement entretenue secrètement par les pontes du conservatoire en vue de faire peur aux nouveaux venus) chaque fois que l'on aborde ce fameux QCM.

Laissez tomber la pression et voyez la chose avec un peu de recul: le QCM n'est pas la pièce centrale de votre dossier. C'est un petit élément de réponse additionnel sur votre degré de connaissances empiriques... Rien de plus. Si vos synopsis déchirent leur race, le QCM n'aura aucun impact. Aucun.

J'imagine que si vous êtes un scénariste moyen, et qu'il faut se décider entre trois médiocres pour compléter le line-up de la saison 2012 du CEEA, le QCM pourrait peser un peu sur la balance, mais je refuse de croire que vous êtes des médiocres! Donc voilà: compter sur le QCM pour entrer au CEEA, c'est mettre la charrue avant les boeufs.

2) Ceci dit...
... en admettant que vous soyez des scénaristes de talent, je veux également bien croire que vous ne vous satisfassiez pas de ma réponse, et qu'un QCM réussi serait pour vous une occasion comme une autre de faire état de votre brillant esprit. Et que c'est uniquement dans cette optique que vous désirez en savoir plus sur son contenu exact.

Si c'est le cas, je vous félicite, et je suis d'accord d'en dire un peu plus.

3) Quel sont les sujets abordés?
En numéro un, loin devant les autres, les séries télévisées. Principalement américaines, d'ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Et en général, les "bonnes" séries, celles qui contiennent du drame, des personnages forts, des rebondissements. Pensez HBO, AMC, mais aussi des trucs hyper grand public comme DrHouse, Dexter, et consorts. Ne perdez pas votre temps à regarder des séries médiocres (ou des sitcoms) car elles n’intéressent pas les auteurs du questionnaire.

Ceci dit, et là il faut faire un effort, regardez aussi quelques séries françaises, juste pour faire bonne mesure. Les profs du CEEA ont probablement écrit l'une ou l'autre d'entre elles et l'on s'en voudrait de blesser leur ego par un manque d'attention porté à la production hexagonale.

En ce qui concerne les séries internationales, les questions sont légèrement moins vaches et portent plus sur l'actualité factuelle: quelle série turque a-t-elle reçu tel prix prestigieux? Quel concept vénézuelien a-t-il été adapté dans 22 pays? Etc... Il est possible de répondre à ces questions en lisant la presse spécialisée des derniers mois (des trucs aussi bidon que http://www.leblogtvnews.com ou http://www.jeanmarcmorandini.com font très bien l'affaire).

En numéro deux, le cinéma. Pas de question vachardes type "cinéma d'auteur tchèque" ou "qui est le costumier dans Maman j'ai raté l'avion 2?", mais des questions de cinéphile toutefois. Donc pas besoin de connaître par coeur le nom de tous les nains dans The Hobbit, mais savoir que Guillermo Del Toro avait été impliqué dans le projet pourrait être utile. Connaître les classiques. Et par connaître, je veux dire, savoir qui sont les acteurs importants, le réal, le scénariste, éventuellement les pitch, les éléments distinctifs du film, etc. Se renseigner sur les vainqueurs des différents prix ces 3 dernières années (Oscars, Césars, Palme d'Or, et les trucs qu'ils donnent à Rome et à Berlin).

Exemple typique (un peu facile): que représente le fameux Rosebud dans Citizen Kane?

En numéro trois, l'art en général. Beaucoup plus difficile de donner des exemples de questions, car ça part dans tous les sens, et à moins de connaître précisément la réponse, difficile de jouer aux devinettes. Quasi impossible à réviser... C'est dans ce genre de questions (sur la peinture, la musique classique, le poésie, etc...) que l'on peut distinguer les vrais cultivés du groupe. Mais le nombre de ces questions est relativement réduit, donc le résultat du QCM n'en dépend pas entièrement.

En quatre, la culture générale tous azimuts: politique, science, histoire, géo (apprenez vos capitales, surtout en Amérique du Sud), etc. Fort heureusement, pas de questions de math! Ca serait la meilleure... C'est le genre de questions pour lesquelles une formation généraliste en université peut aider pas mal. Ceci dit, moi qui suis belge, j'ai toujours beaucoup de mal avec les rois de France (grosso modo, dans mon esprit, il y a eu des moches, puis Louis 14, puis des décapités).

Exemple de question: Zapata était-il un révolutionnaire, un clown, ou un footballeur?

4) Comment se présente le questionnaire?
Comme à l'école! Un petite dizaine de pages agrafées, avec les choix multiples (dans mes souvenirs, 5 choix possibles par question). Certaines questions possèdent plusieurs bonnes réponses. Je n'ai pas le souvenir de points négatifs en cas de mauvaise réponse, mais je peux me tromper.

Cette histoire de plusieurs bonnes réponses possibles est vraiment casse-pied, car les auteurs du QCM en abusent pour rendre des questions a priori abordables, vraiment difficiles.

Genre: qui a été ministre sous Mitterrand? Suivent alors 5 noms à cocher, et vous n’êtes sûr que de 3. C'est très désagréable comme sensation.

5) Conclusion
Quoi qu'il en soit, dormez bien la veille. Prenez une grande bouteille d'eau, un sandwich et plusieurs en-cas (il faut nourrir ce petit cerveau!). Vous gagnerez de précieuses minutes à midi (l'année dernière je suis arrivé les mains vides et j'ai perdu pas mal de temps), et puis la fringale de 16 h est pénible. Pas le temps de sortir à ce moment là quand la deadline sur le synopsis arrive.

A la fin de cette journée laborieuse, vous aurez complètement oublié le QCM... Vous maudirez les cieux de ne vous avoir donné qu'un après-midi pour composer votre synopsis. Toutes les bonnes idées qui vous manquaient au moment crucial se paieront le luxe de vous narguer alors que vous déprimez dans le métro en rentrant chez vous.

Croyez moi: been there, done that.

Note de l'Auteur: après le QCM de 2012, je rajoute quelques informations nouvelles pour mieux coller à la réalité des choses... Cette année le QCM était plus tourné vers l'histoire que vers la télé. Donc, au programme, rois de France, batailles et dates célèbres, villes Saintes, et tout le toutim. La proportion de 75% de questions télé que je décrivais ci-dessus se retrouve reléguée à moins de 50% des questions. Vous voilà prévenus!

21 mars 2012

CEEA: nouvelle chance

Je viens de recevoir la nouvelle: je suis admissible pour la 2ème épreuve du concours du CEEA. Je n'y croyais plus, l'année dernière j'ai reçu le mail beaucoup plus tôt (en février, il me semble), et du coup j'étais déjà presque en train de déprimer. (NdA: après avoir vérifié, j'avais reçu la convocation plus tard, un 24 mars! Comme quoi mon cerveau pessimiste me joue des tours! Ahah le salaud!)

J'avais été franchement pas très bon à l'épreuve de rapidité l'année dernière (un obscur synopsis avec des enfants et des aliens, mais à 1000 lieues de Spielberg) et l'oral - mais ça c'est une habitude - me prive de tout accès à mes neurones.

Ce coup-ci, je connais les données du problème. Je sais comment filent les heures de l'épreuve de rapidité; je sais qu'il faut ABSOLUMENT trouver un deuxième acte fort (c'est à dire, une deuxième idée pour prolonger la première) et une fin avant de se mettre à écrire. En fait, tout se joue avant midi... Car une fois que l'écriture proprement dite débute, c'est suicidaire de vouloir changer des éléments en court de route: pas le temps.

Pour l'oral, maintenant mon problème, c'est que je vais être vraiment tenté de dire du bullshit pour leur faire plaisir... L'année passée j'avais été relativement cash sur ce que j'aime (=la comédie) et ce que j'aime pas (=certains tics insupportables des séries françaises).

Evidemment, ces gens sont eux-mêmes créateurs de séries françaises, je n'ai pas été très subtil dans mon approche. Alors que je peux être plus subtil, mais il va falloir que je prépare mes réponses à l'avance, comme un politicien. Si je commence à soulever nerveusement une épaule comme Sarko, vous saurez....

Quoiqu'il en soit, je suis content! Je vais pouvoir passer le bonjour à Fred et mes amis français!

19 mars 2012

L'enfant intérieur

En regardant de vieux épisodes de sitcom, je me suis rendu compte à quel point le comportement enfantin était une source d'humour importante. Je ne parle pas des enfants eux-mêmes, mais bien des adultes qui se comportent comme des enfants. Exemples et analyse...

Cette révélation m'est venue en observant le personnage de Charlie Kelly (It's Always Sunny In Philadelphia). Ce type d'une trentaine d'années se comporte régulièrement comme un enfant de 4 ans.
1) il ne dispose pas des facultés mentales pour lire et écrire... mais il essaie! Et le résultat est composé de hiéroglyphes et de dessins réalisés avec des feutres et des crayons de couleurs! Avec la motivation et la naïveté d'un jeune enfant, Charlie écrit des romans, des poèmes, des comédies musicale sans connaître l'alphabet. Cet optimisme est évidemment tempéré par son inaptitude totale, mais comme tout bon personnage de comédie, il persévère envers et contre tout.
2) il est resté bloqué au stade oral (celui des enfants de moins de 2 ans) car il avale tout: craies, colle, déchets... Toujours sans se rendre compte du ridicule de la situation, il rationalise tout en disant "mais c'est bon, pourquoi le jeter?"
3) il est sexuellement inactif. En effet, de tous les personnages, Charlie est le plus romantique: il poursuit sans relâche la serveuse qui refuse ses avances, mais jamais nous ne voyons Charlie avoir des pensées érotiques. Sur le sujet, il est souvent gêné et/ou taiseux... comme un enfant!
4) il joue au "catch" avec un autre type dans son lit et n'y voit pas malice...oui! C'est un enfant!

Bref, après m'être régalé devant cette galerie de comportements digne de la maternelle, je me suis demandé si d'autres personnages comiques montraient aussi un esprit enfantin. Il se fait que la réponse est oui, même si c'est souvent dans une moindre mesure.

Dans The Big Bang Theory, Sheldon (la vingtaine bien tassée) apprécie toujours d'être bordé au lit, qu'on lui chante "Soft Kitty" avant de faire dodo, et il réagit comme un enfant pourri-gâté dans les magasins. Et cela, bien qu'il soit un éminent scientifique. En réalité, sous le couvert de son autisme, la série se sert également de son enfant intérieur comme source du rire. C'est que ça marche!

Dans How I Met Your Mother, Marshall est un personnage souvent apprécié par son côté jovial: même s'il a des responsabilités d'adultes (un boulot stressant, un enfant, un mariage) il n'hésite jamais à se comporter comme un enfant de 10 ans... Il est "jouette" et toujours près à s'amuser avec ses copains. D'ailleurs chaque fois qu'il prend la décision volontariste de "faire l'adulte", ça se termine mal.

Les exemples sont nombreux... Mais quelles sont les conditions requises pour que cet "enfant intérieur" soit une source d'humour réellement efficace? Voici les conclusions que j'ai retenues:

1) le sujet ne doit PAS se rendre compte qu'il agit comme un enfant. Pour lui ce comportement doit sembler tout à fait normal.

2) le comportement enfantin doit être universel: tous les enfants mangent les craies, tous les enfants aiment être bordés au lit. Si le comportement en question est une obscure référence à votre propre enfance, personne ne va comprendre le rapport.

3) le comportement doit être déplacé/inadapté au contexte. Si votre personnage évolue dans un monde où tout le monde trouve normal de sucer son pouce, ce ne sera pas drôle. Si c'est un manager en plein milieu d'une réunion qui suce son pouce, et qu'il se fait prendre, le contraste sera plus saisissant.

14 mars 2012

Ecrire un jeu video (2ème partie)

Un autre grand principe de base, c'est de ne pas trop faire attendre le joueur. Après tout, il est là pour jouer, pas pour regarder un film. Il convient donc de lancer le joueur dans le bain le plus tôt possible.

Cela pose évidemment un problème majeur: comment raconter au joueur le "contexte" de l'histoire (ou plus basiquement: quel est le but du jeu) sans avoir l'air d'y toucher?

Si l'on a recours à une longue cinématique d'introduction, c'est déjà un peu foireux... Au bout de 3 minutes, le joueur va très vite d'impatienter. Surtout qu'au long de ces 3 minutes, il n'aura rien appris sur le gameplay en lui-même: une partie dite "tutoriel" suivra, et on sait comme elles sont peu passionnantes (une fois encore, c'est parce que le joueur n'y est pas maître de la situation, position qu'il déteste par dessus tout).

Prenons donc exemple sur un jeu qui parvient à mettre le joueur dans le bain immédiatement, sans cinématique ni tutoriel: Super Mario Bros.

Le premier écran nous permet de choisir entre 1 et 2 joueurs. Plus subtilement, pendant que le joueur fait son choix, un film préenregistré joue en fond d'écran: c'est Mario qui parcourt le premier niveau, sautant par dessus les tortues, cassant les briques pour obtenir des vies, pour finalement mourir en heurtant un méchant.

Ce film qui passe en boucle pourrait n'être qu'un simple "screensaver", mais en réalité il donne au joueur toutes les indications dont il a besoin pour terminer le jeu: éviter les méchant en leur sautant par dessus, aller vers la droite, ne pas mourir. Point à la ligne!

Comparons avec les jeux modernes, qui (après une cinématique de 3 à 10 minutes) nous expliquent dans le détail le fonctionnement des armes, des points de vie, des déplacements en 3D, avec une voix-off généralement peu convaincante, sans autre but que de nous expliquer comment manier le personnage... C'est pénible, et ça n'intéresse pas le joueur.

On pourrait suggérer de "zapper" le tutoriel pour les plus pressés: ah oui, mais, comment on joue alors? Le problème semble inextricable. Il faut donc ruser, et amener les éléments un par un. Certains jeux commencent avec un joueur quasi nu, sans arme ni armure. Chaque fois qu'il récupère un élément, il est amené à s'en servir, et c'est petit à petit, dans le courant du jeu, qu'il apprend en faisant. C'est une bonne technique, si le scénario s'y prête.

D'autre jeux se mettent automatiquement en pause, avec un écran explicatif, chaque fois que le joueur active une nouvelle commande. "Pouf! Nouvelle commande: activez votre bouclier avec la touche X, il vous protégera des ennemis". Mais je ne suis pas convaincu: non seulement, cette pause inopinée freine vraiment le bon déroulement du jeu (c'est frustrant!) mais en plus je pense que personne ne lit vraiment ce qui est écrit sur le panneau. Ce n'est pas très efficace.

Comme on le voit, le problème de l'apprentissage est compliqué: chaque jeu possède sa propre terminologie, sa propre logique interne, et le joueur doit tout réapprendre à chaque fois. Un demi solution consiste à standardiser les méthodes de jeu. La plupart des First-Person-Shooter (ex: Doom, Unreal, etc.) partagent les mêmes commandes. Les jeux d'aventure récents se sont plus ou moins mis d'accord sur une façon de procéder: clique gauche pour activer un objet, clique droit pour l'observer. Lorsque je joue aux voitures sur Playstation, peu importe le jeu, je suis à peu près sur que le bouton X me fera accélérer. C'est une convention qui me fait gagner du temps!

Le scénariste n'est pas responsable des commandes, mais il est totalement responsable de la manière de l'enseigner au joueur: dans tout les cas, le but est de faire passer la pilule le plus facilement possible. Dans le meilleur des cas, comme avec Mario, le joueur ne se rendra même pas compte qu'il est passé par une phase d'apprentissage, et croira avoir commencé le jeu dés la première seconde.

07 mars 2012

Ecrire un jeu vidéo (1re partie)

Puisque l'audiovisuel classique n'est pas encore prêt à célébrer mon incontestable génie, j'ai fait un écart vers l'industrie vidéo-ludique: j'ai passé ces derniers mois sur un projet de jeu vidéo, et je dois dire que l'expérience est enrichissante. En terme d'écriture, il y a quelques différences avec la narration traditionnelle qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ne vont pas à l'encontre de la dramaturgie, mais au contraire, visent à rendre le récit interactif plus passionnant. Alors autant vous dire tout de suite que je suis un vrai débutant dans cette discipline, mais j'ai eu envie d'écrire un article d'introduction sur le sujet...

La narration dans les jeux-vidéo n'a pas été une évidence dés le départ. Les premiers jeux en étaient totalement exempts (par exemple le célèbre Pong, ou encore Tetris). Dans les années 80, la narration se limitait souvent à la mise en place d'objectifs très basiques: la princesse est dans un autre château, il faut la retrouver! Au-delà de ces quelques mots, le joueur était livré à lui-même, et les objectifs se présentaient sans contexte. Lorsqu'on personnage arrivait sur l'écran, on se doutait bien qu'il s'agissait d'un monstre à abattre: pas besoin d'en savoir plus.

Même les jeux d'aventure, traditionnellement plus axés sur la dramaturgie pure, n'ont pas commencé avec un bagage narratif très lourd. Le fameux "Colossal Cave Adventure", véritable roman interactif (le joueur effectuait ses actions en les décrivant avec des phrases!), ne possède en réalité qu'une vague intrigue qui sert de cadre pour enchaîner les puzzles et autres labyrinthes. Après tout, il était clair à l'époque que l'on avait affaire à des jeux, et non pas à des récits.

La ligne de démarcation entre les deux s'est brouillée vers la fin des années 80. Les jeux d'aventure se sont dotés de graphismes, de personnages mieux caractérisés, et d'histoires plus réfléchies. D'autres genres se sont créés, comme les RPG (jeux de rôle) nécessitant des quêtes épiques et des personnages forts.

La suite, on la connaît: des personnages tellement forts qu'ils en deviennent des stars (Lara Croft), sont adaptés au cinéma, et provoquent un développement considérable de l'industrie du jeu vidéo. Aujourd'hui, la plupart des jeux qui ne possèdent pas de narration sont, sauf exceptions, cantonnés à des ventes plus confidentielles.

Les jeux trop bavards

On arrive désormais à l'autre extrême: certains titres oublient d'être des jeux vidéo pour se concentrer uniquement sur le récit, et deviennent une sorte de cinéma vaguement interactif où le joueur n'a plus grand chose à faire pour avancer... Les "cinématiques", qui au départ se limitaient à donner le contexte général du jeu, prennent plus de place. Elles sont créées par les mêmes studios qui s'occupent des films d'animation traditionnels et écrites par de véritables scénaristes. Mais elles ne s'intègrent pas très bien dans le contexte d'un jeu interactif, dans lequel le personnage principal doit être le joueur lui-même.

C'est la principale difficulté, aujourd'hui, d'un scénariste de jeu vidéo: doser les parties narratives et les parties interactives. Pour bien faire, les "cinématiques" devraient se limiter au minimum, et toutes les informations sur les personnages, les quêtes, les objectifs, devraient être transmise par le "gameplay", autrement dit, pendant que le joueur tient les manettes.

C'est le fameux problème de l'exposition auquel font face les scénaristes de cinéma: lorsqu'un personnage s'arrête et parle pour nous délivrer de l'information, c'est ennuyeux. Dans les jeux-vidéo, c'est la même chose.

Evidemment, il est infiniment plus difficile de faire passer des informations par le biais du gameplay. Le jeu vidéo est principalement un média muet lorsque le joueur se déplace, attaque des ennemis ou observe son environnement. Il est beaucoup plus difficile de placer un dialogue sans stopper net l'expérience de jeu, pour passer à une séquence "scriptée" telles qu'une cinématique.

Il y a d'autres armes pour éviter le problème. Parmi elles, la musique. Puisque la musique peut être lancée selon les besoin par les programmeurs, il est possible d'instiller certains sentiments chez le joueurs à des moments précis: suspense, tristesse, joie...

Un autre vecteur d'information, ce sont les actions mêmes des personnages: dans le courant du jeu, il faut forcer le personnage à effectuer certaines actions significatives qui ont une influence sur le récit. Exemple: tuer tel personnage provoque une émeute, actionner tel levier provoque un éboulement, etc. Sans passer par la cinématique, le joueur qui vient de commettre les actions reste parfaitement ancré dans le récit, étant le protagoniste.

Pour résumer, le challenge du scénariste de jeu vidéo consiste donc à minimiser les temps morts, tout en donnant au joueur toutes les informations dont il a besoin de vivre une aventure passionnante. Il faut donc se creuser la tête pour trouver des actions de gameplay assez significatives et claires pour que le joueur ait une lecture limpide de ce qui se passe, et de ce que devront être ses prochaines actions. En aucun cas, le joueur ne doit être perdu et se demander ce qu'il doit faire ensuite. En ce sens, c'est très différent du cinéma, où il est permis de "perdre" ses spectateurs pendant quelques instants pour augmenter le suspense.

(A suivre!)

01 mars 2012

Les hommes blancs et riches dominent l'écran

Un article publié sur le blog de la scénariste Stéphanie Rouget a retenu mon attention: d'après un baromètre du CSA, les héros de fiction sont majoritairement des hommes, des blancs, et des riches. Et par majoritairement, j'entends une écrasante domination qui dépasse largement toute représentation réaliste de la diversité culturelle d'un pays comme la France. C'est un problème, d'après la blogueuse et plusieurs sociologues.

Stéphanie Rouget avoue même avoir dans sa tête une petite lumière "diversité" qui clignote pour n'oublier aucune minorité. Elle explique que c'est la responsabilité du scénariste de réfléchir à la réalité qu'il désire évoquer dans ses fictions.

Je suis d'accord, mais pas forcément pour les mêmes raisons...

La raison qu'invoquent les sociologues, c'est l'habituel "le pouvoir est aux mains des hommes blancs, ils écrasent les autres" (je caricature, mais en substance, c'est presque ça). Les médias étant dirigés par des CSP+, il serait logique d'y retrouver des héros qui leur ressemblent. Jusque là, c'est plutôt vrai... Et ce n'est pas, à mon avis, par volonté de domination ou par racisme. C'est simplement, parce que lorsqu'on crée, on a tendance à se raconter soi-même.

Quand j'étais à l'école, mes histoires parlaient d'écoliers. Quand j'étais prof, elles parlaient de transmission du savoir... Et mes héros ont suivi mon évolution, comme un miroir. Donc, si j'étais dirigeant de chaîne, il serait fort probable que les héros qui me plairaient me ressembleraient beaucoup: à savoir des hommes blancs et riches...

C'est la solution proposée par certains qui me frustre un peu: un système de quotas. Là, c'est non! Je n'ai jamais compris le système de la "discrimination positive" ni des "quotas", et ceux qui proposent ce genre de choses doivent régler leurs complexes d'infériorité avant de venir nous gâcher la vie. A chacun des chances égales, mais pas de favoritisme.

Ceci dit, toutes ces questions posées et ces solutions données restent confinées au domaine politico-social. Ce n'est pas vraiment des choses qui devraient occuper l'esprit d'un scénariste. Je n'ai pas l'impression d'avoir une responsabilité sociale envers les minorités lorsque je raconte une histoire. En cela, je ne suis pas d'accord avec Stéphanie Rouget.

Ma responsabilité, en tant que scénariste, est de raconter une bonne histoire. Point à la ligne. Si mon histoire peut être très bien racontée avec des blancs riches, et bien tant mieux.

Ceci dit, il est fort probable que la majorité des bonnes histoires n'impliquent pas directement les blancs riches, pour la simple et bonne raisons que les blancs riches ne vivent pas, tout au long de leur vie, de conflit aussi profond que d'autres types de personnes.

Or, en fiction, on s'intéresse justement au conflit. Alors pourquoi focaliser 85% du temps d'antenne sur les batifolages amoureux de quelques cadres supérieurs alors que des histoires autrement plus épiques peuvent être racontées avec des moins nantis? Et je ne parle pas forcément de faire un remake des Misérables.

(Note: le premier qui me sort l'argument de la publicité peut aller se cacher. Ce n'est pas parce qu'on est riche qu'on ne peut pas s'identifier au conflit que vivent les pauvres et/ou les étrangers. A part les investisseurs, les gens ont du coeur, en général)

Donc voilà le vrai noeud du problème: ces mâles blancs ont beaux être riches en argent, ils ne sont pas riches en conflits, ni en intrigues passionnantes. Concentrer tous les efforts de la fiction sur ces quelques bienheureux nous prive d'un immense répertoire d'histoires bien plus excitantes que "des soucis et des hommes"...

Alors, que votre docteur en médecine soit noir et gay ne changent strictement rien au problème. C'est un faux pansement bien-pensant. Le fond se trouve ailleurs: il faut raconter des histoires de gens qui vivent du vrai conflit. Qui ont une vie de chien. C'est avec ceux-là qu'on fait de bonnes histoires.

(A part dans la tragédie grecque, mais le genre n'est plus très vivace depuis quelques centaines d'années, pas vrai?)

La responsabilité revient aux programmateurs d'antenne, ceux qui choisissent quelles histoires raconter et quelles histoires mettre au placard. C'est certainement à ce niveau là que s'opère la bifurcation vers le consommateur parfait prêt à acheter au magasin ce qu'il a vu pendant les pubs, autrement dit le mâle blanc riche. C'est évidemment une erreur de conception des dirigeants et des gens du marketing. Mais ils jureront du contraire...

Je hais la pub!