16 janvier 2012

CEEA, la nouvelle épreuve en ligne

Petit rappel pour mes camarades de jeu: le CEEA a mis en ligne ce matin l'épreuve d'admission pour 2012. Vous pouvez la lire ici: http://ceea.edu/ceea/wp-content/uploads/2010/11/EPREUVE-1-2012-.pdf.
De nos jours en France, une voiture roule… quand on entend des coups venus du coffre.
J'imagine que l'écueil numéro 1 sera de tomber dans les clichés, car j'ai déjà vu ce gimmick du coffre de voiture utilisé dans pas mal de films; je l'ai moi-même déjà employé dans un scénario personnel. Ceci dit, ce n'est pas un sujet insurmontable, il contient pas mal de conflit potentiel.

Bonne chance à tous, donc!

15 janvier 2012

Le genre et la subtilité oubliés

Un article dans Le Monde prône l'utilisation, en grammaire, de la règle de proximité, afin de contenter les féministes et de rétablir l'égalité entre les sexes dans notre belle langue française. En gros, il s'agit d'accorder l'adjectif au féminin si le nom le plus proche est féminin.

Un exemple sera plus parlant... Au lieu d'écrire:
"Le prince et la princesse heureux ont salué le peuple."
... on devrait écrire:
"Le prince et la princesse heureuses ont salué le peuple."
Ce faisant, on abolit enfin la règle machiste qui veut que "le masculin l'emporte sur le féminin".

Si je n'étais pas plus attentif, je pourrais presque me laisser convaincre par les féministes: après tout, au fond, tout le monde sait très bien que cela ne changera rien et que la vaisselle ne sera toujours pas lavée par ces messieurs.

Mais le Français, ça fait partie de mes tics nerveux, et il se fait que j'ai été attentif, ce coup-ci.

Mesdames, désolé, votre règle de la proximité, c'est du caca.

Et je vais vous dire pourquoi.

Quand une langue évolue, elle est censée améliorer la langue, la rendre plus subtile, harmonieuse; elle doit permettre de rendre compte avec précision de la réalité - qui évolue, elle aussi. C'est pourquoi je ne suis absolument pas opposé à une évolution radicale de la langue française quand cela se justifie.

Par exemple, dans de nombreux domaines techniques (le web en est un) l'usage des anglicismes est nettement plus pratique, précis, et subtil. Je n'éprouve donc aucune honte à préférer le terme de "Smiley", plutôt que celui "d’Émoticône", ridicule et difficile à prononcer. J'envoie un "e-mail", et pas un "courriel", et certainement pas un "mèl", n'en déplaise à l'Académie et aux Québécois.

Mais revenons à nos moutonnes...

L'évolution qu'elles proposent, la règle de proximité, possède un défaut majeur - et éliminatoire : elle rend la langue moins précise. Je m'explique...
"Le prince et la princesse heureux ont salué le peuple".
Puisqu'une princesse ne peut pas être "heureux", mais forcément "heureuse", on entend, à l'oreille, que l'adjectif se rapporte forcément aux deux noms. Le prince ET la princesses sont tous les deux heureux. Tout le monde a bien saisi le sens de la phrase.

Par contre, dans la proposition "Le prince et la princesse heureuses...", on croit comprendre avec effroi que le prince vient d'épouser un laideron dont il ne partage pas le bonheur. C'est un détail, mais ça change complètement le sens de la phrase. Dans le cours d'un roman, cela peut momentanément déstabiliser le lecteur et le faire sortir du récit, ce qui n'est pas recommandé.

Bref: la langue vient de perdre un peu de sa précision, et l'on sera obligé de recourir à des périphrases pour se faire comprendre sans ambiguïté. Ce serait dommage.

Bien sûr, on pourra me rétorquer que mon exemple ne fonctionne que si le nom masculin vient en premier lieu... Mais ça fait 50% de phrases bien compréhensibles. Ne rabaissons pas ce quota à zéro juste par sens d'égalité mal placé.

Une langue qui perd en précision, en subtilité, un peu comme le langage des textos chers à nos ados, ça me rappelle toujours, avec un frisson dans le dos, la Novlangue de 1984. On a peur de la Crimepensée alors on essaie de rendre la langue Doubleplusbon pour faire plaisir au Miniver. C'est effrayant...

Au delà des pinailleries grammaticales un peu stériles (je dois bien l'avouer) c'est surtout ce courant vindicatif du féminisme qui me chagrine. Mais je n'en dis pas plus, ceci n'est pas un blog politique... Le jour où elles auront des amendements qui rendent la langue plus riche, je serai le premier à les appliquer avec joie!

04 janvier 2012

Discours de Charlie Kaufman sur l'art du scénario

Le scénariste Charlie Kaufman (Being John Malkovitch, Eternal Sunshine of The Spotless Mind) livre un discours intéressant lors d'une conférence organisée par la BAFTA sur le métier de scénariste. A voir ici : http://guru.bafta.org/charlie-kaufman-screenwriters-lecture-video.

John August (Big Fish, Charlie et la chocolaterie) et Craig Mazin (The Hangover 2) en font l'analyse sur leur podcast à écouter ici : http://johnaugust.com/2012/zen-and-the-angst-of-kaufman.

Ce que j'en retiens:
- Charlie Kaufman se prend très au sérieux, mais il a le mérite de prendre son art très au sérieux également.
- Hollywood est une machine à fric et il faut rester intègre si l'on veut contribuer au bien de l'humanité, même quand on travaille pour Hollywood. Kaufman donne sa recette: être soi-même et ne pas suivre les règles dictées par quelqu'un d'autre.
- Kaufman se méfie du "craft", c'est à dire l'artisanat du scénario, par rapport à l'Art noble du scénario. Il dénonce les marchands de rêve à bon marché, qui rendre le cinéma médiocre et répétitif. Ces artisans font certes très bien leur boulot pour amuser la galerie, mais ils n'apportent rien au monde.
- A par ça, pour écrire un scénario, faites comme vous voulez!

John August et Craig Mazin sont plus critiques... Ils coincent Kaufman dans son petit jeu de dupes qui consiste à dénoncer l'artisanat bien ficelé des écrivains... alors que lui-même s'en sert largement dans son discours (figures de style, rythmique des phrases, etc.) Bien vu!

Tout cela me semble relativement vain, en fin de compte, mais a tout de même l’intérêt de nous faire réfléchir sur la condition de scénariste, ce qui n'est jamais mauvais.


03 janvier 2012

Bref, la réussite des shortcoms

Analyser les scénarios de "Bref", la shortcom de Canal+, est un exercice un peu particulier dans le sens où son écriture est intimement liée à la réalisation, au montage et aux effets spéciaux. Pour la première fois (en France et peut-être même dans le monde), une sitcom repose d'avantage sur son rythme et son visuel que sur ses dialogues.

L'objet de ce blog étant l'écriture, je vais essayer de faire abstraction de l'emballage (le buzz sur Facebook, le casting excellent, le montage clipesque) pour analyser les sources des gags dans Bref. Je passe outre le côté générationnel et "connecté" de la série qui alimente beaucoup le buzz mais ne me semble pas si important que cela - en tout cas du point de vue du scénariste.

Comme d'habitude, commençons par un relevé de compteur lolesque de l'épisode pilote...

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo

Durée: 1'46
Nombre de rires potentiels: 12
Nombre de rires réels: 2
Nombre de sourires: 6

Comme toujours, il y a un écart entre le nombre de gags prévus par les auteurs et le nombre de rires réels. D'habitude, le marge est de 70% de réussite. Ici, c'est beaucoup plus faible, mais principalement parce que le format ne se prête pas aux éclats de rires (manque de temps, aucune respiration après un gag). Du coup, on sourit quasi tout le temps, mais je n'ai vraiment rigolé que deux fois grâce au copain pervers, puisque je ne crache jamais sur l'humour gras.

Le premier gag de la série est basé sur une vieille mécanique imbattable: la triple répétition, dont le dernier élément est modifié:
"Je sais pas.
- Je sais pas.
- J'entends pas."
En soi, ce n'est pas drôle, mais avec le rythme du montage, cela provoque mécaniquement le rire. Lisez Bergson si vous voulez en savoir plus.

La suite de l'épisode continue sur le même genre de répétitions dont un élément est modifié.
"Je lui ai raconté une blague, elle a rigolé.
Je lui ai encore raconté une blague, elle a pas rigolé."
Ici, la drôlerie provoquée par le côté mécanique de la voix-off et accentuée par le côté "loser" du personnage qui commence tout doucement à s'installer. J'ai déjà démontré maintes fois qu'en sitcom, un personnage loser est indispensable pour bien rire. Nous somme donc en territoire connu, et Bref n'aura qu'à s'inspirer de Georges Constanza pour remplir ses épisodes.

Et pour enfoncer le clou, la même mécanique est utilisée encore une fois:
"Je suis caissière...
- C'était pas intéressant.
- ... dans un sexshop.
- C'était intéressant!"
On commence à voir comment l'écriture et le montage sont lié: joués de manière classique, ces dialogues ne fonctionneraient pas vraiment. Avec la formule du vidéo-clip, c'est plus musical et efficace.

Après 45 secondes, les auteurs en finissent avec leurs répétitions pour passer à l'autre grand classique de l'humour: le sexe!

Evidemment, il ne suffit pas de dire bite et couille pour faire rire, il faut apporter une valeur ajoutée. Dans le cas de Bref, la valeur ajoutée est la fine observation du quotidien des trentenaire de notre génération. Et donc, le "baise-laaaaaaaa" avec 8 "a" par texto fonctionne vraiment bien, car on a tous déjà reçu ce genre de messages.

Le reste des épisodes sera encore plus axé sur l'observation du quotidien, jusqu'à devenir un petit documentaire sur la vie en milieu urbain dans les années 2000. Souvent d'ailleurs, cette observation fine s'arrête à de la pure observation, sans qu'un gag vraiment construit vienne la soutenir. C'est le montage rapide qui fait passer ces facilités sans problème.

Pour en revenir au pilote, notons les prémices d'une technique d'écriture qui sera elle aussi beaucoup utilisée tout au long de la série: le set-up et pay-off. Kyan observe un pop-corn sur l'épaule de la fille, sans y porter plus d'attention. On croit que cet élément est oublié... Pour finalement y revenir plus tard.

Malheureusement, dans cet épisode, le pay-off n'est pas drôle, il sert simplement à introduire le personnage du copain gay. Une écriture plus serrée aurait permit de faire revenir le pop-corn dans un contexte inattendu, qui provoquerait un rire. C'est le but du pay-off dans la comédie en général.

Même si cet épisode pilote est loin d'être parfait, il montre déjà les bases de ce qui fait le succès de Bref: sa réalisation et son rythme, ainsi qu'une observation amusante de la vie quotidienne. Ce que l'on peut retenir, c'est un choix excellent des personnages: le loser volontariste, qui va draguer une fille alors que l'échec est prévisible, underdog à qui l'on souffle la fumée de cigarette dans la figure, celui là est vraiment un héros de sitcom.

Le personnage du copain pervers est aussi très bien vu, dans le sens où c'est un personnage éminemment amoral, dégoûtant et peu fréquentable, mais malgré tout un très bon copain qui s'inquiète de la vie sentimentale du héros: on l'aime déjà. En ce sens, il est une copie francophone de Barney Stinson dans How I Met Your Mother: l'obsédé sexuel utile, un nouveau cliché de sitcom du 21ème siècle!

Le fait que Bref soit un énorme succès prouve aux diffuseurs qu'il faut un peu de couilles pour faire rire: il faut oser dire "baiser", "sucer", "branler". Pas par facilité ou par médiocrité, mais parce que le "parler vrai" est le seul qui puisse vraiment toucher les gens. On ne peut pas mentir en humour. Même NBC l'avait compris dans les années 90, en diffusant Seinfeld, une sitcom qui contient plus d'allusions sexuelles qu'une série rose de M6.

Arrondir les angles, c'est la mort assurée de la sitcom. TF1, prenez exemple sur Bref. J'ai lu que vous vouliez programmer une sitcom en accèss: ne soyez pas trop politiquement corrects. Vos tentatives humoristiques étaient trop polissées jusqu'à présent. Comme disait André Manoukian: ça sent trop le savon et pas assez la foufounne. Bref, lui, sent le mâle en ruth à 2km à la ronde, et c'est une très bonne chose!