24 mai 2010

L'urgence personnelle d'écrire

Nathalie Lenoir publie sur son blog une vidéo de Frédéric Krivine qui répond à une interview du Nouvel Obs sur la "Nuit Blanche du Scenario", une rencontre de script-doctoring élitiste. Ce que je retiens surtout de la vidéo, c'est le passage où Krivine parle de "l'urgence personnelle" de raconter telle ou telle histoire.



Qu'entend-il par là (à mon sens)?

Lorsque l'on raconte une histoire, on peut le faire pour de multiples raisons: répondre à une commande, exorciser ses démons, réagir sur l'actualité, recopier un maître, parodier un navet, exprimer une opinion, amuser, faire peur, etc. Mais toutes ces raisons ne se valent pas: il y en a de bonnes et de mauvaises.

Trouver une bonne raison de raconter une histoire n'est pas si évident. Et pourtant, c'est souvent un aspect que l'on relègue au second plan lorsque l'on est perdu entre son séquencier, ses fiches de personnages et sa bible d'écriture.

Krivine nous rappelle donc à juste titre qu'une histoire ne vaut d'être racontée que si elle répond à une urgence personnelle. Elle doit être racontée ici et maintenant, de telle manière et pas autrement. Bref, un moteur personnel et intime nous pousse inexorablement vers cette histoire.

C'est aussi pourquoi tout un tas de questions n'ont plus lieu d'être: "puis-je encore écrire un film de vampires après Twilight?", "est-il trop tôt pour un film sur les émeutes de banlieue?", "un film sur la religion est-il voué à l'échec?", etc.

Ces questions sont caduques dés lors que l'on écrit une histoire, non pas pour un certain public, mais pour répondre à cette fameuse urgence personnelle.

Evidemment, cette urgence personnelle, il faudra la canaliser dans un deuxième temps. Mais pas avant! Choisir une histoire qui ne nous tient pas particulièrement à coeur pour l'une ou l'autre raison, c'est la garantie d'un échec.

C'est en partie ce qui explique le mal-être des scénaristes de télé en France: comment avoir à coeur un nouvel épisode de R.I.S.? A moins d'être un passionné de criminologie appliquée, difficile d'y voir quelque chose qui mérite d'être raconté. D'où le manque d'humanité des personnage: c'est écrit sans âme, sans envie, et ça se sens.

Pour vos projets personnels, vous n'avez PAS LE DROIT d'écrire de cette manière. Vos pages doivent être plein d'envie, de coeur et de force. Ne l'oubliez jamais!

15 mai 2010

Le monsieur qui courait derrière le bus

L'autre jour, j'étais confortablement installé dans le bus, la tête posée contre la vitre, et les yeux mi-clos, près à m'assoupir après une dure journée de travail. J'aperçois un homme, dans la rue, galoper pour attraper le bus avant que celui-ci ne quitte l'arrêt. Je ricane intérieurement: à cette distance, il ne l'aura jamais!

Le bruit des pistons hydrauliques me donne raison: les portes se ferment, le bus démarre, l'homme n'aura pas son bus à l'heure aujourd'hui.

"C'était fichu d'avance", me dis-je avant de refermer l'oeil.

Mais un détail me gêne... Il y a quelque chose qui cloche. Je rouvre les yeux, me tourne vers la vitre et je vois, sur le bord du trottoir, une dizaine de mètre en retrait, le même homme en train de fendre l'air à grandes enjambées, réduisant seconde après seconde la distance qui le sépare du bus!

"Quel imbécile! Le bus ne s'arrêtera pas pour lui en plein milieu de la rue."

Et, en effet, le bus ne s'arrêta pas. Mais l'homme poursuivit l'effort soutenu, à bout de souffle, pendant près de 500 mètres! Un moment, il quitte mon champs de vision. A-t-il abandonné? S'est-il rendu compte du ridicule de ses ambitions?

Non! Le voilà qu'il arrive par devant! Il avait pris un raccourci!

Un feu rouge immobilise le bus quelque secondes, plus qu'il n'en faut à l'homme pour rejoindre l'arrêt suivant, présenter son titre de transport, et s'affaler comme moi sur une place assise bien méritée.

J'esquisse un sourire béat. C'était, mine de rien, un petit exploit auquel je venais d'assister en cet après-midi banal.

Puis, en me rendormant, toutes sortes de connexions se formèrent dans mon esprit. Le bus se transformait en producteur, ou en agent. Les arrêts de bus étaient des étapes de ma carrière. L'homme qui courait derrière le bus était un scénariste, et s'il s'arrêtait de courir, il allait être en retard dans les grandes étapes de sa carrière. Il devait soutenir l'effort: dépasser le bus, et l'attendre à l'aise pour gagner son ticket vers le repos.

"Terminus, tout le monde descend!"

J'ouvre les yeux et me voilà arrivé à la maison. Je ne sais pas si ce que j'ai vu ce jour là avait vraiment un rapport avec ma vie de scénariste, si c'était la fatigue qui faisait faire à mon cerveau des métaphores qui n'existent pas. Ce que je sais, en tout cas, c'est que le monsieur est arrivé à l'heure à son rendez-vous. Il n'en a jamais douté. S'il s'était dit, ne serait-ce qu'une seconde: "je n'y arriverai pas", il n'aurait pas réussi.

En réalité, rien n'est fichu d'avance.

Les choses peuvent sembler incroyablement difficiles, voire impossibles, mais pour quelqu'un qui ne s'arrête jamais de courir, il y aura toujours une bonne place!

12 mai 2010

La difficulté d'écrire des dialogues

Un lecteur m'envoie cette question et j'aimerais prendre le temps d'y répondre convenablement:

J'ai constaté que le plus difficile, dans l'écriture d'un roman, était la rédaction des dialogues. Comment faut-il s’y prendre? Faire parler un personnage dans le langage argotique s’il est d’origine populaire? Tel autre intervenant pourra-t-il prononcer des grossièretés? Et si mon héros n’est pas très causeur, puis-je montrer au grand jour qu’il ne termine jamais ses phrases ?

J'avais déjà écrit un article sur les dialogues il y a quelques années, mais il est grand temps de détailler cette étape périlleuse du scénario.

Je ne connais pas de méthode universelle pour réussir ses dialogues. Chacun y va de son procédé. Mais ce que je sais, par expérience, c'est que chaque fois que j'ai voulu faire une figure de style dans un dialogue, l'effet est tombé à plat. Cela plaide donc en faveur d'un certain réalisme.

Le roman et le scénario ne sont donc pas sur le même pied d'égalité dans ce domaine. Dans un roman, on peut facilement écrire des tirades de plusieurs paragraphes, avec des mots de quatre syllabes (ou plus!) sans avoir l'air ridicule. Dans un scénario, ce n'est pas possible.

Il faut apprendre le rythme du langage oral.

C'est une question de feeling. On l'a ou on l'a pas. Moi, je ne l'ai pas. Quand j'ai travaillé à la télévision, je devais vraiment faire un effort soutenu pour pondre les textes des présentateurs (qui sont en réalité des monologues, mais le principe est le même). C'était pourtant des choses aussi triviales que le hit parade et les capsules "people" de l'après-midi. Oui, mais voilà, le rythme oral est très éloigné de celui de l'écrit. Ecrire la fiche d'un présentateur, ce n'est pas comme écrire un blog, et encore moins comme une thèse de philosophie. Il ne faut jamais hésiter à utiliser des tournures de phrases familières, des expressions imagées, un langage coloré. L'écriture est en général beaucoup plus terne que la parole. Alors, coloriez vos mots!

D'autre part, même pour faire passer des idées complexes, il faut toujours utiliser des mots simples et des phrases courtes. Je vois mal comment on peut trouver une exception à cette règles. Quitte à utiliser des paraphrases, évitez les mots de quatre syllabes!

Or, chaque fois que je regarde une série française, je tombe sur des énormités. Prenons un exemple, d'après moi le pire, c'est à dire R.I.S. Police Scientifique. C'est un extrait d'épisode, en plein milieu: pas besoin de contexte, concentrons-nous sur les dialogues.



Dés le départ, la tonalité est assez fausse, ne trouvez-vous pas? Décortiquons...

- Ecoutez, je savais que Jean écrivait un livre. Mais ça m'était égal... je l'aimais.

La bonne femme déballe ses sentiments de but en blanc. Elle est dans un interrogatoire et ouvre les hostilités par "je l'aimais". Les anglo-saxons appellent ça du dialogue "on the nose". C'est à dire subtil comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Au-delà de cette évidence, notez la construction de phrase: les mots-liens sont totalement absents. C'est très haché. C'est une technique qui marche parfois, mais là, elle est érigée en système. Ca en devient artificiel. Il faut varier les techniques: le "flow" de la parole doit être comme une montagne russe, avec des haut et des bas, des lents et des rapides, de pleins et des déliés. Quelque chose dans ce goût là:

- Je savais très bien que Jean écrivait un livre. Je le savais depuis le début, mais je m'en foutais, en fait. C'est juste que je voulais pas lui causer des problèmes, c'est tout.

Dans ma version, la dame est plus familière, plus sur la défensive, comme dans un interrogatoire normal, j'imagine.

La suite du dialogue contient un vrai problème:

- Pourquoi vous nous avez menti, alors?
- Parce que cette histoire n'appartient qu'à moi!

Voilà. Quand je dis d'éviter de faire un thèse de philosophie, ça vaut dire: n'écrivez pas ce genre de charabia! Ca ne veut rien dire, c'est une réponse très insuffisante, incohérente, et frustrante. On a l'impression que le scénariste se fout de notre gueule parce qu'il n'a pas prévu d'explication valable!

Je ne connais personne qui parle comme ça. A la limite, elle pourrait dire ça:

- Parce que tout ça ne vous regarde pas! C'est entre moi et Jean!

La suite me semble un peu moins mauvaise: elle parle plus naturellement ("un mec l'a mordu"). A la limite, on pourrait reprocher à l'actrice un ton monocorde assez désagréable. Après tout, elle est censée se défendre lors d'un interrogatoire. Là, on dirait une dépressive chez un psy.

Pour répondre à la question du lecteur, nous pouvons donc dire: oui, il est bien de faire appel au langage argotique et à la vulgarité, la familiarité et aux fautes de français si nécessaire. Mais, plus que le choix du vocabulaire, c'est le choix de la structure de phrase qui donne un certain rythme à la parole. Des phrases courte, articulées dans un ordre chronologique de la pensée, on non pas dans l'ordre de la logique grammaticale.

Ceci dit, je ne peux pas m'arrêter là, car l'expérience m'a aussi appris autre chose: chaque fois que j'ai réfléchi trop longtemps pour pondre une réplique réaliste, je n'y suis pas parvenu. Mon texte avait l'air "trop travaillé". Et le réalisme devenait artificiel. C'est comme le parisien qui imite l'accent belge: il aura tendance à rajouter "un fois", à la fin de chaque phrase ("Dans le port de Bruxelles, il y avait une moulinière, une fois!"), ce qui est comique, mais loin d'être réaliste!

Le seul moyen vraiment efficace, c'est d'y aller au naturel. Foncez, ne réfléchissez pas, tout en sachant que vous n'écrivez pas un roman! Le KISS principle est roi: keep it simple, stupid!

03 mai 2010

Steven Moffat et les gimmicks

Définition: Un gimmick est une astuce qui distingue un produit sans en ajouter une fonction ou une valeur évidente.

La saison 5 de Doctor Who, menée par le showrunner Steven Moffat, est une déception pour moi. Moffat est un scénariste très talentueux. Il l'a prouvé lors des saisons précédentes (Blink étant le meilleur épisode de la série, toutes époques confondues) et cela explique sa promotion cette année. Hélas, plus la saison avance, plus je me rends compte que Moffat a troqué sa casquette de raconteur d'histoires pour celle d'artificier: il nous en met plein la vue, plein les oreilles, mais ses scénarios ne tiennent plus debout. Explications...

Vu le pédigrée de l'auteur, les attentes étaient hautes, il est vrai. D'autant plus que le premier épisode (The Eleventh Hour) les a entièrement comblées. Bien sûr, l'attrait pour Matt Smith, l'acteur qui incarne le nouveau Docteur, a accaparé les critiques, et l'histoire a été reléguée au deuxième plan. C'est dommage car le scénario était plein d'astuces, de bonnes idées, de peps, et surtout... l'histoire tenait debout. Hélas, cette cohérence faisait son apparition pour la première et dernière fois de la saison!

A partir du deuxième épisode (The Beast Below), les incohérences ont commencé à pointer le nez. Bien sûr, Moffat n'est pas devenu médiocre du jour au lendemain: ses scénarios sont toujours pleins de bonnes idées, de scènes géniales, de dialogues savoureux. Mais, malgré toutes ces cerises, le gâteau était raté. Le seul élément indispensable manquait: une histoire cohérente.

Décortiquons le problème (Spoilers: il faut avoir vu l'épisode pour comprendre la suite).

L'histoire reste logique jusqu'à mi-parcours. A ce moment, le Docteur et Amy sont ingérés par le monstre, pour atterrir dans sa bouche gluante. C'est le sort réservé aux contestataires et aux citoyens de seconde zone... Sauf que, voilà, en quelques pas et une ellipse "cut", nos héros s'en échappent sans égratignures. Pourquoi eux et pas tous les autres? Il ne leur a pas fallu beaucoup d'efforts pour regagner le haut de la ville. C'est donc une incohérence, que Moffat a laissé passer au profit d'un beau gimmick: le toboggan qui tombe dans la morve, clin d'oeil à la saga Star Wars.

L'autre incohérence concerne les "Smilers" (les automates rieurs). Ils n'ont de cesse de pourchasser le Docteur et Amy. Or, on apprend qu'ils sont censés obéir à la reine. Reine qui, elle-même, doit sortir ses revolvers pour sauver le Docteur des Smilers. Aucune explication ne nous est donnée, et si les fans les plus assidus élaborent une théorie qui explique tout, elle serait au mieux confuse. C'est n'est pas suffisant pour un élément aussi central de l'histoire. Si Moffat avait, dans sa tête, une explication à tout cela, il aurait du nous l'exposer un peu plus clairement.

La troisième incohérence est la plus grave: à la fin de l'épisode, on apprend que la "bête" qui transporte la ville aide les humains volontairement! Ce qui rend toute tentative de captivité inutile. Et donc, toute l'historie en devient caduque. Ni le gouvernement ni la reine n'avaient d'intérêt à torturer la bête et à instaurer ce régime de l'oubli. Moffat ne nous explique pas pourquoi ils en sont arrivés là. On a l'impression d'avoir vu un épisode "pour du beurre". C'est très frustrant!

Là encore, j'accuse Moffat et son utilisation de "gimmicks" scénaristiques. Il vendrait père et mère, et surtout cohérence, pour un bon mot, une bonne scène, une bonne idée. Mais il oublie que dans un scénario, les bonnes idées ne valent que si et seulement si elles s'intègrent bien dans l'intrigue globale. Vouloir les faire entrer au forceps, c'est l'assurance d'une histoire bancale, comme ce médiocre "Beast Below".

Hélas, la faute est encore commise dans les épisodes suivants. Je passe sur l'infecte retour des Daleks, qui aura certainement dégoûté plus d'un fan, pour m'arrêter sur le cas intéressant des Anges Pleureurs. Dans Blink, ils étaient terrifiants! "Ne cligne pas des yeux!", répétait alors le Docteur. "Cligne des yeux et tu meurs!". Les règles du jeu étaient simples, fatales, et terriblement excitantes!

Leur retour était donc attendu au tournant. Moffat le savait: l'effet de surprise éteint, il devait enchérir. Ca donne un double-épisode très intense, avec de bons moments, mais là encore, une incohérence monstre: pour survivre, Amy doit désormais... garder les yeux fermés! "Ouvre les yeux et tu es morte!" C'est tout de même un peu difficile à avaler, et - si ça fonctionne plus ou moins pour l'épisode - c'est en totale contradiction avec ce que l'on connaissait des Anges. Pas sympa pour les téléspectateurs fidèles.

Je pense que toutes ces incohérences viennent de la façon de Moffat d'imaginer un scénario. Je le soupçonne d'avoir d'abord les idées de scène choc, et de les enrober ensuite dans une histoire. Cela explique le nombre important de bonnes idées astucieuses (ces fameux "gimmicks") et les intrigues bancales. Ce n'est pas la bonne démarche à mon avis.

Toutes les meilleures idées du monde ne sont pas gratifiantes si elles ne sont pas portées par une histoire qui ait du sens. Le scénariste est un créateur de sens. Si l'on retire cet élément, l'impact émotionnel ne se fait pas. Le spectateur "sent" les ficelles, il sait qu'il est face à un monde artificiel.

Un gimmick, c'est comme une pute: ça fait plaisir sur le moment, mais, souvent, en rentrant à la maison, on regrette.