30 novembre 2009

Le standard d'écriture professionnelle

Je ne sais pas si c'est une maladie mentale officiellement reconnue, mais je souffre d'un mal étrange. Chaque fois que j'écris une phrase pour mon prochain chef-d'oeuvre, je me pose la question suivante: "ce que je viens d'écrire correspond-il au standard de qualité d'écriture professionnelle?"

C'est stupide! A quel standard de qualité fais-je allusion? Il n'en existe aucun! Et, après tout, une phrase grammaticalement correcte, avec son sujet, son verbe et pourquoi pas ses compléments, entre totalement dans les critères nécessaires pour faire une phrase digne de figurer dans un roman.

Critères nécessaires, oui, mais pas suffisants! Et c'est là que commence l'infernale comparaison entre ma production et celle de 3000 ans d'histoire de la littérature. Il y a dans mon cerveau malade une conception de la phrase "de roman" toute singulière, indéfinissable, mais que tout le monde peut reconnaître dés la première lecture.

Exemple typique:
"Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre."

Voilà! C'en est une. Une phrase qui respecte le standard de qualité d'écriture professionnelle! Ca se voit immédiatement! Et c'est toujours pareil! J'ouvre un (bon) roman, et, paf!, je tombe sur ces fichues phrases, incapable d'expliquer par quel miracle elles sont conformes au S.E.P.

"Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves."

J'ai pourtant beau essayer d'en produire des pareilles, il y a toujours quelque chose qui cloche. Est-ce un adjectif mal choisi? Une musicalité qui sans doute m'échappe? Impossible de retrouver ce rythme, cette mélodie, qui caractérise les phrases des auteurs professionnels.

Je ne baisse pas les bras, alors j'essaie de comprendre. Comment font-ils? Flaubert, c'est connu, retouchait ses phrases plusieurs dizaines de fois avant de tomber sur la bonne. Mais il est mort ruiné, c'est pas sain comme méthode. Non, la majorité les pondent comme ils respirent. C'est frustrant!

Ce qui est sûr, c'est qu'il y a quelques constantes:
- un souci du mot bien choisi
- un découpage rythmique musical
- une utilisation discrète et fluide, mais néanmoins pertinente, des figures de style

Et finalement, peu importe le niveau de langue. On peut très bien faire des phrases S.E.P. avec un bagage culturel de 1500 mots. Je crois qu'une partie du secret, c'est de réfléchir à sa façon d'écrire sans y réfléchir. Oui, je sais, cela peut paraître contradictoire, mais - puisque je suis en train de passer le permis - permettez-moi une petite comparaison avec la conduite automobile: pour un novice, l'usage de l'embrayage semble ardu, et nécessite une concentration constante, sous peine de caler. Mais après quelques jours d'exercice, l'embrayage devient une extension du pied, et finalement, le cerveau intègre la donnée "embrayage", comme il a intégré la donné "respiration", "battement de coeur" et "clignement d'yeux".

Il faut tout de même se forcer à faire des phrases S.E.P., sinon c'est la solution "boîte de vitesse automatique"; l'écriture scolaire plan-plan à la Marc Levy, un des auteurs modernes à ne pas respecter le standard de qualité.

Petit exemple frappant:
"Crois-tu qu'on puisse s'aimer au point que la mort n'efface pas la mémoire? Crois-tu qu'il soit possible qu'un sentiment nous survive et nous redonne vie? Crois-tu que le temps puisse réunir sans fin ceux qui se sont aimés assez fort pour ne pas l'avoir perdu?"

Il faut quand même pas pousser mémé, mais ça, toutes les ados de 15 ans l'écrivent dans sur leur blog... Comme quoi, le SEP ne fait pas encore l'unanimité parmi les éditeurs, mais j'ose espérer, fidèles lecteurs, que vous aurez compris où je voulais en venir. Même si je n'ai pas été très clair, soyez chics: respectez le standard de qualité!

22 novembre 2009

Interview : Jean-Luc Goossens

Jean-Luc Goossens est le scénariste belge du moment puisqu'il est à l'origine de LA série belge par excellence, Melting Pot Café, dont le public de la RTBF attend la troisième saison avec impatience.

J'ai, jusqu'ici, été habitué à interviewer des confrères français, mais je ne pouvais plus éviter la Belgique, un marché particulier à bien des niveaux. On y compte les scénaristes professionnels d'expression francophone sur une seule main (nos amis néerlandophone au nord du pays s'en sortent nettement mieux), et ceux-ci sont obligés de s'exporter en France pour arrondir les fins de mois.

Une situation précaire qui rend Jean-Luc Goossens assez unique en son genre. C'est peut-être le dernier représentant de son espèce que j'interviewe aujourd'hui.

Bonjour M. Goossens. Comment êtes-vous devenu scénariste?
J'ai eu envie d'écrire très jeune, en sortant d'humanités je voulais devenir scénariste, mais il n'y avait pas vraiment de formation. J'ai donc fait la réalisation cinéma à l'Insas (NDLR: école réputée de Bruxelles), et j'ai écrit et réalisé quelques courts métrages (pour le fun) et une vingtaine de films institutionnels (pour vivre). Ce n'est qu'ensuite que je suis revenu au scénario pur. Sur concours, j'ai été engagé par la RTBF sur un projet de série qui n'a jamais vu le jour (Les Navetteurs). J'ai également collaboré à l'écriture d'un long-métrage de Frédéric Sojcher. J'ai aussi eu la chance de rencontrer Yves Lavandier (La dramaturgie), qui m'a proposé de développer un projet en atelier à Canal + Ecriture, à Paris, avec d'autres participants, dont lui-même. Il y a écrit son film "Oui mais", et j'ai scénarisé "Le divin enfant", que j'ai finalement vendu à M6, et qui a été réalisé par Stéphane Clavier, avec Lambert Wilson et Marthe Villalonga dans les rôles principaux. C'est ce film qui m'a vraiment lancé, et m'a apporté ensuite beaucoup de projets à la télé (une dizaine de comédies unitaires pour les différentes chaînes françaises), ainsi que l'adaptation au cinéma du film d'animation "Astérix et les Vikings" initié et produit par M6.

Un scénariste belge peut-il vivre décemment de son métier?
Pour ne parler que de moi (je ne connais pas les revenus des autres), je vis en effet de mon métier, mais il est clair qu'hormis Melting Pot, je travaille surtout en France. C'est le cas des principaux scénariste belges francophones. Il y en a qui vivent aussi de l'enseignement. Et beaucoup qui survivent grâce au chômage (le fameux statut d'artiste). Certains sont aidés ponctuellement par les aides à l'écriture du Centre du cinéma. C'est une bonne chose, mais le montant des aides n'a jamais été indexé (ça fait plus de vingt que c'est 12 500 euros pour écrire un long métrage, les scénaristes doivent être à peu près les seuls qui n'ont pas de syndicat pour réclamer la liaison de leur salaire à l'index.) En Flandre, c'est différent, il y a beaucoup plus de films et de séries qui se tournent, donc plus de travail pour les scénaristes.... une situation normale, quoi.

Quelles sont les particularités de l'écriture sur une série belge?
La grande contrainte, c'est le budget plus réduit qu'en France. On ne peut pas multiplier les décors ou les scènes compliquées.

Comment collaborez-vous avec les producteurs de la RTBF? Avez-vous une certaine liberté?
Hormis les contraintes dues au budget, j'ai une liberté quasi totale, puisque je suis à l'initiative de la série (concept et personnages). Au fil du temps, un rapport de confiance s'est installé, les choses se passent vraiment très bien.

Quelles sont vos références en matière de télévision?
Je ne suis pas un boulimique de séries, je regarde la télé de temps en temps, un peu comme tout le monde... J'ai adoré "Twin Peaks" en son temps, et plus récemment quelques grands succès comme "Desperate Housewives" pour l'humour et l'observation de la société américaine, ou Prison Break saisons 1 et 2, pour le suspense et l'efficacité. Je trouve très réussi et très fascinant un personnage comme Docteur House. Récemment j'ai découvert "In treatment" qui est à la fois minimaliste et très bien écrit. Côté français, j'aime bien "Fais pas ci fais pas ça"... En fait, je suis très grand public, avec en général une prédilection pour la comédie.

Quand une série commence à bien fonctionner, comme avec Melting Pot Café, est-il plus difficile d'écrire la saison 2 et 3?
Pour la saison 1, il y avait un peu de pression parce qu'on lançait quelque chose, en plus c'était la première fois que j'écrivais une série... Pour la saison 2, la pression venait du fait que la saison 1 était un succès, et qu'il ne fallait pas décevoir, du coup j'ai un peu (trop?) chipoté... C'est la saison 3 qui a été la plus facile à écrire, ici la pression venait des délais assez courts mais c'était stimulant, pour la première fois j'ai eu l'impression de bosser efficacement (grâce aussi à l'expérience des deux saisons précédentes), et sans trop me prendre la tête...

Quels sont vos projets pour le futur?
J'écris l'adaptation d'un très beau roman pour France 2 ("Simple", de Marie-Aude Murail). Je développe d'autres concepts de séries. J'ai également un scénario original qui est en cours d'adaptation aux Etats-Unis.

Comment voyez-vous l'avenir des scénaristes en Belgique?
En Flandre, je ne m'inquiète pas pour eux, parce qu'un vrai marché de la fiction s'est développé, tant au cinéma qu'à la télé, en adéquation avec le public... Côté francophone, je serais beaucoup plus pessimiste. Hormis quelques productions télé qu'il faut saluer, et quelques belles réussites au cinéma, j'ai le sentiment que les budgets restent trop souvent confisqués par des auteurs-réalisateurs qui n'ont pas l'envie, la capacité ou simplement la générosité de faire partager leurs films au grand public. Trop souvent j'entends des autosatisfecit du genre "J'ai fait le film que je voulais, qui me plaisait à moi, qui me correspondait, etc". Résultat : 500 entrées en salle, quelques lauriers en festivals et une diffusion à 23 heures sur la Deux. Un flop dont certains se veulent fiers, comme si le succès était suspect, comme s'il était honteux d'aller vers les gens. Le pire c'est que ça devient la norme: à part l'une ou l'autre exception, les chiffres du cinéma belge francophone sont catastrophiques, alors on se console avec quelques statuettes. Le rôle des scénaristes, c'est précisément de mieux raconter les histoires, pour les rendre plus efficaces, plus touchantes, plus universelles... Encore faut-il que les réalisateurs et les producteurs en soient conscients, et qu'ils aient eux-mêmes cette volonté... Si les Flamands y arrivent, pourquoi pas nous? Le jour où vraiment on aura le coeur de s'adresser aux gens, et pas seulement aux élites culturelles, mais à tous ceux qui veulent se distraire en rentrant du boulot, à tous ceux qui ont besoin de rire, de se changer les idées, besoin d'histoires, de sensations, de spectacle, ce jour-là on ouvrira un boulevard aux scénaristes, et ce sera dans l'intérêt de toute la profession, et du public, qui est tout de même le premier ayant-droit du cinéma belge : à travers ses impôts, c'est lui qui paie une partie de l'addition !... J'espère qu'un jour, les scénaristes auront le pouvoir de lui rendre la part de plaisir qui lui est due.

Merci et bonne chance pour la suite!

Savoir dire stop

Je travaille en ce moment sur un projet très mûr, cela fait près de 10 ans que le créateur est sur le coup, ça fait trois ans que je participe, et deux ans que le dossier a été envoyé à tous les producteurs du monde. L'histoire était imaginée de A à Z, une beau feuilleton cohérent du début à la fin.

Entre en scène le producteur: il aime bien, mais...

Il aimerait changer deux ou trois petits détails. Pas de problèmes, quelques réunions plus tard nous ajustons les paramètres du scénario pour abonder dans son sens. Après tout, celui qui a l'argent décide.

Un peu plus tard, des canadiens sont sur le coup. Ils ont plus d'argent que le producteur local. Celui-ci commence à paniquer: il veut voir plus grand, nous en imposer. Pourquoi pas un plan marketing avec jeu vidéo, produits dérivés, et non pas 13 épisodes mais 24, d'un coup!

Ah, mon petit monsieur, je suis bien d'accord, mais passer de 13 à 24 épisodes, c'est compliqué. L'histoire se tient comme elle est. On a deux solution: ajouter une suite, ce qui était prévu à la base, ou alors intercaler des épisodes entre ceux qu'on a déjà écrit. Rallonger la saison 1, quoi. Délayer le tout.

Pour une raison x ou y sur laquelle je n'ai pas de pouvoir, on a choisi la mauvaise solution (pour ceux qui ne suivent pas: intercaler de nouveaux épisodes). Et on passe la moitié de nos réunion à parler de ce fameux jeu vidéo... qui n'est clairement qu'un écran de fumée et qui ralentit tout le processus créatif.

C'est énervant à quel point une intervention parasite (un producteur qui pense plus à son argent qu'au bien être de la série) peut court-circuiter tout un projet. C'est un peu comme un virus: maintenant tout le monde est contaminé et ne pense plus qu'à intercaler de nouveaux (mauvais) épisodes. Genre des épisodes en forme de flash-back pour en savoir plus sur les personnages: la mort de la dramaturgie. Personne ne se rend plus compte de l'aberration du truc: on est en train de ruiner le projet.

C'est pourquoi, avec le recul, je ne pense pas que trouver un producteur soit la chose la plus difficile pour un scénariste débutant. Le plus difficile, c'est de savoir dire stop!

PS: ceci est le 100ème article sur ce blog! Merci à tous les fidèles, et toutes mes excuses pour les (trop) longues périodes d'inactivité.

15 novembre 2009

Payez le scénariste

Un coup de gueule haut en couleurs de Harlan Ellison, auteur et scénariste américain.

01 novembre 2009

Plagié?

Ca alors! Chaque fois qu'on me racontait ces histoires de plagiats qui terminent au tribunal, je faisais partie des sceptiques... Un studio qui a pignon sur rue irait sciemment piller le travail d'un auteur inconnu? C'est stupide. Au mieux, ça tient de la théorie du complot, au pire, c'est de la paranoïa à faire soigner d'urgence.

Les journaux sont remplis de ce genre d'histoires à dormir debout. Petit extrait typique: "Le film Séraphine, qui a raflé sept prix à la dernière cérémonie des Césars a été assigné en contrefaçon. Alain Vircondelet, historien d'art, spécialiste reconnu de Séraphine Louis, accuse les auteurs d'avoir plagié un de ses ouvrages. Il a publié chez Albin Michel une biographie intitulée Séraphine de Senlis, un ouvrage qui selon son avocat, Me Christophe Bigot, révélait pour la première fois la vie publique et secrète de Séraphine de Senlis."

Ou encore: "Hollywood s'est bien gardé de révéler que derrière les succès planétaires des productions The Matrix et Terminator se trouve une femme noire. Cette africaine-américaine presque anonyme se nomme Sophia Stewart. On croit rêver! La raison de cet anonymat déplacé ou pour le moins mal placé ? Les scénaristes et les majors responsables de ces blockbusters mondiaux ont tout simplement oublié de créditer Sophia Stewart comme auteur des scenarii qui ont inspiré lesdits films."

Inutile de préciser qu'à chaque fois les plaignants sont déboutés. Et c'est bien normal: en général, les ressemblances entre les films diffusés et les scénarios des plaignants se limitent à quelques vagues séquences, à des thématiques globales, mais rarement à des points très précis. Or, pour qu'il y ait plagiat, il faut que le juge soit à même de constater la contrefaçon sur base d'éléments tangibles.

Pourquoi je vous parle de tout ça?

Parce que, venant du camps des sceptiques, je vois mes convictions vaciller face à une affaire de plagiat... qui me concerne! Plus précisément, après avoir vu la bande-annonce du film "Moon" de Duncan Jones (http://www.imdb.com/title/tt1182345), j'ai une impression de déjà vu! Et c'est très désagréable, parce que j'ai déjà vu tout ça dans un scénario que j'ai écrit... en 2005.

Le titre était "La dernière guerre". Le pitch? Un astronaute doit gérer seul, depuis des années, dans une solitude qui le ronge, une station orbitale autour de Mars (okay, c'est pas la lune). Il est accompagné par un robot qui communique via des smileys (comme dans le film). Bien sûr, il apprend la mort d'un proche par écran interposé longtemps après la mort de celui-ci.... comme dans le film! Et à la fin, il est question du clonage de l'astronaute. Comme dans le film! Argh!

Pour la première fois de ma vie, j'ai eu une impulsion paranoïaque! Je n'ai pas encore vu le film, mais seulement des extraits, sur internet. J'ai l'impression de voir la version filmée de mon scénario.

Evidemment, en rationalisant un peu, on se rend compte que la probabilité de plagiat véritable est quasi nulle: j'ai écrit en français, le scénariste du film est anglais. Il y a des parts entières du film que je n'aborde pas dans mon scénario (déjà, la lune). Et puis rajouter des clones dans le lot, c'est un thème à la mode qui ne m'appartient pas, on peut le classer dans la catégorie des coïncidences. Reste tout de même l'idée *bonne, apparemment* de faire un robot qui communique avec des smileys (jetez un coup d'oeil à la bande-annonce du film, vous comprendrez) qui est tout de même très précise, et surtout décrite de manière totalement identique dans mon scénario.

Est-ce que ça vaut un procès? Probablement pas. Est-ce que Duncan Jones est un vilain copieur? Certainement pas. Est-ce que j'ai été floué d'une manière ou d'une autre? Non plus.

Pas de victime, pas de dommage, pas de criminel... pas de plagiat.

Il me reste au moins l'illusion que mon scénario *aurait pu* donner un bon film. Les premières critiques sont élogieuses pour Moon. Il va bien falloir que j'aille le voir...