22 novembre 2009

Interview : Jean-Luc Goossens

Jean-Luc Goossens est le scénariste belge du moment puisqu'il est à l'origine de LA série belge par excellence, Melting Pot Café, dont le public de la RTBF attend la troisième saison avec impatience.

J'ai, jusqu'ici, été habitué à interviewer des confrères français, mais je ne pouvais plus éviter la Belgique, un marché particulier à bien des niveaux. On y compte les scénaristes professionnels d'expression francophone sur une seule main (nos amis néerlandophone au nord du pays s'en sortent nettement mieux), et ceux-ci sont obligés de s'exporter en France pour arrondir les fins de mois.

Une situation précaire qui rend Jean-Luc Goossens assez unique en son genre. C'est peut-être le dernier représentant de son espèce que j'interviewe aujourd'hui.

Bonjour M. Goossens. Comment êtes-vous devenu scénariste?
J'ai eu envie d'écrire très jeune, en sortant d'humanités je voulais devenir scénariste, mais il n'y avait pas vraiment de formation. J'ai donc fait la réalisation cinéma à l'Insas (NDLR: école réputée de Bruxelles), et j'ai écrit et réalisé quelques courts métrages (pour le fun) et une vingtaine de films institutionnels (pour vivre). Ce n'est qu'ensuite que je suis revenu au scénario pur. Sur concours, j'ai été engagé par la RTBF sur un projet de série qui n'a jamais vu le jour (Les Navetteurs). J'ai également collaboré à l'écriture d'un long-métrage de Frédéric Sojcher. J'ai aussi eu la chance de rencontrer Yves Lavandier (La dramaturgie), qui m'a proposé de développer un projet en atelier à Canal + Ecriture, à Paris, avec d'autres participants, dont lui-même. Il y a écrit son film "Oui mais", et j'ai scénarisé "Le divin enfant", que j'ai finalement vendu à M6, et qui a été réalisé par Stéphane Clavier, avec Lambert Wilson et Marthe Villalonga dans les rôles principaux. C'est ce film qui m'a vraiment lancé, et m'a apporté ensuite beaucoup de projets à la télé (une dizaine de comédies unitaires pour les différentes chaînes françaises), ainsi que l'adaptation au cinéma du film d'animation "Astérix et les Vikings" initié et produit par M6.

Un scénariste belge peut-il vivre décemment de son métier?
Pour ne parler que de moi (je ne connais pas les revenus des autres), je vis en effet de mon métier, mais il est clair qu'hormis Melting Pot, je travaille surtout en France. C'est le cas des principaux scénariste belges francophones. Il y en a qui vivent aussi de l'enseignement. Et beaucoup qui survivent grâce au chômage (le fameux statut d'artiste). Certains sont aidés ponctuellement par les aides à l'écriture du Centre du cinéma. C'est une bonne chose, mais le montant des aides n'a jamais été indexé (ça fait plus de vingt que c'est 12 500 euros pour écrire un long métrage, les scénaristes doivent être à peu près les seuls qui n'ont pas de syndicat pour réclamer la liaison de leur salaire à l'index.) En Flandre, c'est différent, il y a beaucoup plus de films et de séries qui se tournent, donc plus de travail pour les scénaristes.... une situation normale, quoi.

Quelles sont les particularités de l'écriture sur une série belge?
La grande contrainte, c'est le budget plus réduit qu'en France. On ne peut pas multiplier les décors ou les scènes compliquées.

Comment collaborez-vous avec les producteurs de la RTBF? Avez-vous une certaine liberté?
Hormis les contraintes dues au budget, j'ai une liberté quasi totale, puisque je suis à l'initiative de la série (concept et personnages). Au fil du temps, un rapport de confiance s'est installé, les choses se passent vraiment très bien.

Quelles sont vos références en matière de télévision?
Je ne suis pas un boulimique de séries, je regarde la télé de temps en temps, un peu comme tout le monde... J'ai adoré "Twin Peaks" en son temps, et plus récemment quelques grands succès comme "Desperate Housewives" pour l'humour et l'observation de la société américaine, ou Prison Break saisons 1 et 2, pour le suspense et l'efficacité. Je trouve très réussi et très fascinant un personnage comme Docteur House. Récemment j'ai découvert "In treatment" qui est à la fois minimaliste et très bien écrit. Côté français, j'aime bien "Fais pas ci fais pas ça"... En fait, je suis très grand public, avec en général une prédilection pour la comédie.

Quand une série commence à bien fonctionner, comme avec Melting Pot Café, est-il plus difficile d'écrire la saison 2 et 3?
Pour la saison 1, il y avait un peu de pression parce qu'on lançait quelque chose, en plus c'était la première fois que j'écrivais une série... Pour la saison 2, la pression venait du fait que la saison 1 était un succès, et qu'il ne fallait pas décevoir, du coup j'ai un peu (trop?) chipoté... C'est la saison 3 qui a été la plus facile à écrire, ici la pression venait des délais assez courts mais c'était stimulant, pour la première fois j'ai eu l'impression de bosser efficacement (grâce aussi à l'expérience des deux saisons précédentes), et sans trop me prendre la tête...

Quels sont vos projets pour le futur?
J'écris l'adaptation d'un très beau roman pour France 2 ("Simple", de Marie-Aude Murail). Je développe d'autres concepts de séries. J'ai également un scénario original qui est en cours d'adaptation aux Etats-Unis.

Comment voyez-vous l'avenir des scénaristes en Belgique?
En Flandre, je ne m'inquiète pas pour eux, parce qu'un vrai marché de la fiction s'est développé, tant au cinéma qu'à la télé, en adéquation avec le public... Côté francophone, je serais beaucoup plus pessimiste. Hormis quelques productions télé qu'il faut saluer, et quelques belles réussites au cinéma, j'ai le sentiment que les budgets restent trop souvent confisqués par des auteurs-réalisateurs qui n'ont pas l'envie, la capacité ou simplement la générosité de faire partager leurs films au grand public. Trop souvent j'entends des autosatisfecit du genre "J'ai fait le film que je voulais, qui me plaisait à moi, qui me correspondait, etc". Résultat : 500 entrées en salle, quelques lauriers en festivals et une diffusion à 23 heures sur la Deux. Un flop dont certains se veulent fiers, comme si le succès était suspect, comme s'il était honteux d'aller vers les gens. Le pire c'est que ça devient la norme: à part l'une ou l'autre exception, les chiffres du cinéma belge francophone sont catastrophiques, alors on se console avec quelques statuettes. Le rôle des scénaristes, c'est précisément de mieux raconter les histoires, pour les rendre plus efficaces, plus touchantes, plus universelles... Encore faut-il que les réalisateurs et les producteurs en soient conscients, et qu'ils aient eux-mêmes cette volonté... Si les Flamands y arrivent, pourquoi pas nous? Le jour où vraiment on aura le coeur de s'adresser aux gens, et pas seulement aux élites culturelles, mais à tous ceux qui veulent se distraire en rentrant du boulot, à tous ceux qui ont besoin de rire, de se changer les idées, besoin d'histoires, de sensations, de spectacle, ce jour-là on ouvrira un boulevard aux scénaristes, et ce sera dans l'intérêt de toute la profession, et du public, qui est tout de même le premier ayant-droit du cinéma belge : à travers ses impôts, c'est lui qui paie une partie de l'addition !... J'espère qu'un jour, les scénaristes auront le pouvoir de lui rendre la part de plaisir qui lui est due.

Merci et bonne chance pour la suite!

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