07 mars 2012

Ecrire un jeu vidéo (1re partie)

Puisque l'audiovisuel classique n'est pas encore prêt à célébrer mon incontestable génie, j'ai fait un écart vers l'industrie vidéo-ludique: j'ai passé ces derniers mois sur un projet de jeu vidéo, et je dois dire que l'expérience est enrichissante. En terme d'écriture, il y a quelques différences avec la narration traditionnelle qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ne vont pas à l'encontre de la dramaturgie, mais au contraire, visent à rendre le récit interactif plus passionnant. Alors autant vous dire tout de suite que je suis un vrai débutant dans cette discipline, mais j'ai eu envie d'écrire un article d'introduction sur le sujet...

La narration dans les jeux-vidéo n'a pas été une évidence dés le départ. Les premiers jeux en étaient totalement exempts (par exemple le célèbre Pong, ou encore Tetris). Dans les années 80, la narration se limitait souvent à la mise en place d'objectifs très basiques: la princesse est dans un autre château, il faut la retrouver! Au-delà de ces quelques mots, le joueur était livré à lui-même, et les objectifs se présentaient sans contexte. Lorsqu'on personnage arrivait sur l'écran, on se doutait bien qu'il s'agissait d'un monstre à abattre: pas besoin d'en savoir plus.

Même les jeux d'aventure, traditionnellement plus axés sur la dramaturgie pure, n'ont pas commencé avec un bagage narratif très lourd. Le fameux "Colossal Cave Adventure", véritable roman interactif (le joueur effectuait ses actions en les décrivant avec des phrases!), ne possède en réalité qu'une vague intrigue qui sert de cadre pour enchaîner les puzzles et autres labyrinthes. Après tout, il était clair à l'époque que l'on avait affaire à des jeux, et non pas à des récits.

La ligne de démarcation entre les deux s'est brouillée vers la fin des années 80. Les jeux d'aventure se sont dotés de graphismes, de personnages mieux caractérisés, et d'histoires plus réfléchies. D'autres genres se sont créés, comme les RPG (jeux de rôle) nécessitant des quêtes épiques et des personnages forts.

La suite, on la connaît: des personnages tellement forts qu'ils en deviennent des stars (Lara Croft), sont adaptés au cinéma, et provoquent un développement considérable de l'industrie du jeu vidéo. Aujourd'hui, la plupart des jeux qui ne possèdent pas de narration sont, sauf exceptions, cantonnés à des ventes plus confidentielles.

Les jeux trop bavards

On arrive désormais à l'autre extrême: certains titres oublient d'être des jeux vidéo pour se concentrer uniquement sur le récit, et deviennent une sorte de cinéma vaguement interactif où le joueur n'a plus grand chose à faire pour avancer... Les "cinématiques", qui au départ se limitaient à donner le contexte général du jeu, prennent plus de place. Elles sont créées par les mêmes studios qui s'occupent des films d'animation traditionnels et écrites par de véritables scénaristes. Mais elles ne s'intègrent pas très bien dans le contexte d'un jeu interactif, dans lequel le personnage principal doit être le joueur lui-même.

C'est la principale difficulté, aujourd'hui, d'un scénariste de jeu vidéo: doser les parties narratives et les parties interactives. Pour bien faire, les "cinématiques" devraient se limiter au minimum, et toutes les informations sur les personnages, les quêtes, les objectifs, devraient être transmise par le "gameplay", autrement dit, pendant que le joueur tient les manettes.

C'est le fameux problème de l'exposition auquel font face les scénaristes de cinéma: lorsqu'un personnage s'arrête et parle pour nous délivrer de l'information, c'est ennuyeux. Dans les jeux-vidéo, c'est la même chose.

Evidemment, il est infiniment plus difficile de faire passer des informations par le biais du gameplay. Le jeu vidéo est principalement un média muet lorsque le joueur se déplace, attaque des ennemis ou observe son environnement. Il est beaucoup plus difficile de placer un dialogue sans stopper net l'expérience de jeu, pour passer à une séquence "scriptée" telles qu'une cinématique.

Il y a d'autres armes pour éviter le problème. Parmi elles, la musique. Puisque la musique peut être lancée selon les besoin par les programmeurs, il est possible d'instiller certains sentiments chez le joueurs à des moments précis: suspense, tristesse, joie...

Un autre vecteur d'information, ce sont les actions mêmes des personnages: dans le courant du jeu, il faut forcer le personnage à effectuer certaines actions significatives qui ont une influence sur le récit. Exemple: tuer tel personnage provoque une émeute, actionner tel levier provoque un éboulement, etc. Sans passer par la cinématique, le joueur qui vient de commettre les actions reste parfaitement ancré dans le récit, étant le protagoniste.

Pour résumer, le challenge du scénariste de jeu vidéo consiste donc à minimiser les temps morts, tout en donnant au joueur toutes les informations dont il a besoin de vivre une aventure passionnante. Il faut donc se creuser la tête pour trouver des actions de gameplay assez significatives et claires pour que le joueur ait une lecture limpide de ce qui se passe, et de ce que devront être ses prochaines actions. En aucun cas, le joueur ne doit être perdu et se demander ce qu'il doit faire ensuite. En ce sens, c'est très différent du cinéma, où il est permis de "perdre" ses spectateurs pendant quelques instants pour augmenter le suspense.

(A suivre!)

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