24 février 2007

La bible ou la réclame

Vous êtes Dieu, vous avez créé un univers, et maintenant, pour transmettre votre savoir divin vous devez compiler toutes les informations dans un livre sacré: la bible.

Sacré boulot, surtout.

Lorsqu'on crée une série télévisée, dont le nombre total d'épisodes n'est pas connu au moment de l'écriture (j'exclus donc les sagas de l'été, les téléfilms en deux parties, etc.), il convient de décrire l'univers de la série dans une "bible d'écriture". Celle-ci est destinée aux autres scénaristes qui devront écrire des épisodes de la série. Il faut donc leur communiquer tous les éléments nécessaires pour qu'ils puissent partir sur des bases solides pour rester "dans le sujet" de la série.

Cette bible n'est pas à confondre avec le dossier que l'on envoie à un producteur pour "vendre" la série. Une bible est longue, détaillée, parfois ennuyeuse... c'est un document de référence.

Le dossier destiné au producteur est plus court, plus "sexy", il met en avant les points forts de la série, esquisse les personnages principaux, le ton, les grandes lignes des premiers épisodes, etc.

La bible s'attarde sur le monde que l'on a créé. Elle décrit en détails les évènements pertinents du passé qui ont construits les personnages tels qu'ils sont, le présent et les grands évènements futurs. La bible est omnisciente et permet à un scénariste connaissant mal la série d'en saisir la substantifique moelle. Les personnages y sont décrits physiquement, psychologiquement, socialement, etc. Leur façon de s'exprimer, leurs tics, leurs habitudes, leurs relations sont explicités.

La bible d'écriture se doit également de donner le ton de la série. Il faut mettre en lumière le regard particulier qu'elle a sur le sujet qu'elle explore. Qu'est-ce qui la différencie des autres? Par exemple, dans le cas d'une série médicale - comme il en existe des centaines - qu'est-ce qui fera l'identité, l'unicité, de Urgences par rapport à Gray's Anatomy? Le bible doit clairement exprimer cela.

La bible doit également délimiter le champ d'action de la série: dans quelles limites peuvent naviguer les scénaristes? Quelles sont les choses à ne pas faire? Quelles relations sont interdites? Quels thèmes sont tabous? Quel type d'humour ne peut pas s'accorder avec la série? Mais plus que définir les limites par négation, il faut surtout définir positivement les éléments de la série: quel type d'humour doit-on pratiquer dans la série? Quelles relations sont privilégiées? Quels thèmes sont au coeur du monde que l'on a créé?

Et, pour finir, et là je m'avance dans des terrains sensibles: quel est le message?

Ok, je sais: si on veut envoyer des messages, on va au bureau de poste. Et je ne suis pas un partisan des "fictions à message". Mais il y a toujours cet angle particulier sur la vie, sur la condition humaine, qui ressort en filigrane de toutes ces séries télévisées...

Parfois, c'est très évident: dans MacGyver c'est l'écologie, la pacifisme, l'ouverture d'esprit, etc. Dans Friends, c'est que l'amitié triomphe de toutes les épreuves. Dans Urgences, c'est qu'il faut toujours se battre pour sauver les gens, ne pas perdre espoir.

Parfois, c'est plus flou. Dans Arrested Development on devine que c'est l'amour de la famille qui l'emporte, mais sans grande conviction...

Quoi qu'il en soit, ce message fondateur doit être explicité.

"Et s'il n'y a pas de message dans ma série?", vous exclamez-vous! Et bien alors je rétorque vous vous n'avez pas une série! Votre préparation est incomplète. Vous avez peut-être un univers, des personnages sympathiques... Mais où est le liant? Qu'est-ce qui unifie ce chaos? Il faut trouver.

Voilà pour la bible, document mystique mais indispensable.

Pour la publicité maintenant... Car il faut bien vendre son âme au diable: j'ai nommé le producteur! Votre série doit attirer l'attention, susciter l'intérêt immédiat.

Pour cela, une seule alternative: un sujet novateur ou un angle novateur sur un sujet ancien.

Les sujets réellement novateurs sont rarissimes. Parmi les séries qui ont vraiment foulé des terres nouvelles on peut citer Carnivale, M*A*S*H, peut-être Star-Trek à ses débuts.

Il est beaucoup plus courant de trouver un angle nouveau sur un sujet déjà traité avant. Les séries médicales, les séries policières, les séries "de bureau", sont légion. Et pourtant chaque année les scénaristes parviennent à vendre une nouvelle variation sur le même thème. Comment? Ils proposent à chaque fois un angle nouveau.

Prenons les séries médicales. Urgences c'est le réalisme cru, Gray's Anatomy c'est les relations amoureuses à l'hôpital, etc. Chaque série possède son propre angle d'attaque.

Lorsque vous présentez un dossier à un producteur pour une nouvelle série, il faut donc mettre cet élément novateur en avant-plan. En quoi ma série est-elle différente? Pourquoi les gens vont-ils s'y arrêter un instant? Comment titiller la curiosité des téléspectateurs?

C'est le "concept". Trouvez un concept fort et vous aurez fait un grand pas.

Le deuxième ingrédient primordial d'une série télé, ce sont les personnages. Car c'est eux que l'on va retrouver chaque semaine, épisode après épisode... Ils ont donc vachement intérêt d'être attachants! Et pour construire des personnages attachants, ils faut leur donner une dimension supplémentaire, ne pas s'arrêter au cliché. Ensuite, il faut faire un "casting" de personnages suffisamment ingénieux pour générer du conflit ad eternam. Les personnages doivent donc être bien différenciés, avoir chacun un rôle précis dans la logique narrative. Ils doivent avoir des objectifs différents, pouvant être mis en conflit. Le conflit étant la matière première du récit.

Le troisième ingrédient qu'un producteur veut voir sur un dossier, c'est la preuve que la série à les reins assez solides pour tenir trois, quatre, cinq saisons... Le concept peut-être intéressant à première vue, s'il ne génère pas de lui-même assez de sujets pour tenir 100 épisodes, à quoi bon lancer la série? L'objectif d'une série c'est de tenir dans la durée. C'est la raison d'être d'une série. Il faut donc, en plus du concept qui éveille la curiosité, un concept qui tient dans la durée.

Prenons un exemple: "MacGyver est un agent secret qui utilise des gadgets système D pour s'en sortir". La curiosité est éveillée par les gadgets. Et la durée est assurée par son métier.

Autre exemple: "Friends, c'est six amis qui vivent ensemble à New-York". Ici, le concept est faible. Rien n'attire la curiosité. Tout vient des personnages. Par contre la durée est potentiellement infinie, puisqu'on imagine aisément toutes les situations que des amis en cohabitation peuvent rencontrer.

Pour conclure, je dirais que bible d'écriture et dossier de production divergent par leur destinataires. La bible est faite pour des scénaristes: ils veulent y trouver des informations concrètes pour les aider dans l'écriture. Le dossier est fait pour le producteur: il veut y trouver des éléments vendeurs dans la durée, il veut pouvoir imaginer la bande-annonce qui va attirer les téléspectateurs... En gros, il faut lui vendre d'abord du rêve, ensuite l'assurance que son porte-monnaie le fera rêver à son tour.

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