20 mars 2008

Le diable est dans les détails

Le style d'un scénario n'est pas propice aux détails. Or, paradoxalement, le rôle d'un scénario est bien de "détailler" les scènes, les personnages, et les décors, n'est-ce pas? C'est justement pour décrire les choses avec précision, mais sans entrer dans les détails, que le talent du scénariste est mis à contribution.

On sait que l'écriture d'un scénario doit être brève, précise, concise. Guère plus que quatre lignes par paragraphe, que ce soit dans les descriptions ou dans les dialogues. Même un roman de Dan Brown - pourtant champion des phrases courtes et des descriptions succinctes - est trop littéraire pour un scénario.

L'erreur du scénariste débutant part d'une bonne intention: raconter une histoire en images. Dés lors, il va s'efforcer de décrire les images qu'il voit dans sa tête. Le problème, c'est qu'à la lecture, chacun se crée son propre "univers" visuel. Et que même trois pages de descriptions ne pourront pas suffire pour faire coïncider cet univers avec celui de l'auteur. Il est donc inutile de décrire longuement des images très précises.

Ceci dit, il est bon d'écrire "en images". C'est là toute la subtilité. On vise l'efficacité plutôt que l'authenticité. Qu'est-ce que cela signifie? Prenons un exemple concret.

Dans un scénario de science-fiction, on doit décrire un poste de commandement d'un vaisseau spatial très complexe, bourré de gadgets électroniques et d'écrans de toutes sortes. En tant que scénariste, on s'est renseigné, on a fait des recherche dans les archives de la NASA pour reproduire le plus fidèlement possible les commandes. Comme on veut faire un film réaliste, on a très envie de faire passer toutes ces informations dans notre description.

Et bien, non. Il faut s'abstenir. Si l'on prend une demi-page pour décrire le poste de commandement, on n'écrit plus un scénario, on fait un mode d'emploi de soucoupe volante. On va donc se limiter à décrire - en quelques mots, tant pis pour les détails - les éléments de décors qui vont SERVIR aux personnages. Les accessoires, en quelque sorte. Si ça ne sert pas, c'est de la décoration, et tant pis si dans la réalité cet élément de décor est en fait un refroidisseur à carbone thermo-tempéré à combustion double indispensable au bon fonctionnement du vaisseau. Si un personnage ne s'en sert pas, on zappe.

Ce qu'il faut faire, c'est décrire l'ensemble en une phrase, et ensuite éventuellement détailler les éléments indispensable. Exemple:

INT. POSTE DE COMMANDEMENT - NUIT

La cabine de pilotage est bourrée d'écrans de contrôle et de gadgets informatiques qui clignotent et font des bips. Des cadrans indiquent les niveaux de carburant et d'oxygène. Au milieu, un siège baquet fait face à un guidon.

Et c'est tout. Il n'en faudra pas plus pour tenir tout le film. J'avais pourtant bien envie de décrire le guidon en carbone renforcé plus en détails, parce que c'est un nouveau modèle vraiment prometteur, et c'est un peu de l'anticipation sur les technologies du futur, ça renforce le réalisme. Et bien tant pis. Le réalisme devra être dans le comportement des personnages, dans leurs paroles, pas dans les descriptions.

L'autre erreur, c'est d'utiliser les mots "un genre de" (ou "une sorte de") pour décrire quelque chose d'inhabituel. "C'est un genre de vélo un peu bizarre". "C'est une sorte d'ordinateur mais avec une antenne géante"... Vous voyez le principe. C'est de l'écriture fainéante. Ca ne décrit rien. Soyez plus précis. Il ne faut pas tourner autour du pot.

La dernière erreur, c'est de vouloir transmettre sur papier une "ambiance" que seul un style de réalisation peut restituer. Je pense à un film comme "Lost in translation". Il ne vaut que par son style éthéré, un peu distant, très bizarre. "Une sorte de" solitude. "Un genre de" mélancolie. Passer son temps à vouloir décrire ce type d'ambiance avec des mots, c'est une entreprise vouée à l'échec, à moins d'écrire de la poésie. Il ne faut pas prendre la place du réalisateur. Les scénaristes racontent l'histoire, point barre. Ca me rappelle une séance d'écriture en groupe, où les autres voulaient absolument faire passer le fait qu'un orage était "surréaliste, mystérieux". Ca ne m'évoquait rien. Ils m'ont alors décrit la façon de le filmer. C'était beaucoup plus clair dans ma tête, mais impossible à "caser" dans un scénario. La solution à été de dire: un orage étrangement violent. C'est un assez mauvais compromis. Il aurait été mieux de ne rien écrire du tout.

A moins d'être sûr de provoquer dans la tête du lecteur une image bien précise ("c'est Tien-An-Men mais avec des éléphants", tout le monde voit la scène), il est inutile de vouloir décrire des choses, des ambiances, que chacun ressentira différemment. Concentrez-vous plutôt sur l'intrigue, car le diable est dans les détails.

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