15 mars 2010

Le darwinisme culturel

Une branche relativement récente de la sociologie, appelée mémétique, considère la culture comme une entité soumise aux lois de l'évolution de Darwin. Chaque élément de la culture est répliqué, imité, transformé, d'un individu à l'autre.

La théorie de l'évolution ne s'applique plus simplement à nos gènes, composants biologiques, mais également à nos mèmes, composants culturels. Et donc, les meilleurs éléments culturels sont ceux qui survivront le plus longtemps. Théoriquement...

Cette théorie n'était pas très facile à imaginer avant qu'Internet en démontre brillamment l'acuité: un élément culturel (une vidéo sur YouTube, une image, un comportement sur un forum, un smiley, un slogan) peut se propager sur la toile à très grande vitesse, et être répliqué plusieurs milliers de fois à travers le monde. Le site Know Your Meme traque ceux qui ont le plus de succès. Quelques exemples: le Rick Roll, les remix SongSmith ou encore les Face Palm.

Tout le problème se situe dans la définition des "meilleurs" éléments culturels. Pourquoi Rick Astley connaît-il une seconde gloire si soudaine, accumulant des millions de visites, alors que des artistes plus doués, plus à la mode, et bénéficiant de plus de marketing n'en atteignent que quelques dizaines de milliers? Pourquoi les gens disent-ils "LOL", sur Internet, plutôt que "Haha"?

Un jour, quelqu'un a pensé que LOL était un acronyme qui sonnait bien, l'a utilisé, et l'expression a fait florès. C'est un mème qui est entré dans le langage courant. Certains mèmes vont s'éteindre d'eux-mêmes dans quelques années. Le "Face Palm" est très à la mode, mais dans cinq ans, qui en rira encore? On ne peut pas le prédire avec précision.

C'est là où je veux en venir: "meilleur" ne signifie pas "de plus haute qualité artistique", ni "plus utile", ni "plus drôle". Meilleur signifie simplement "accumulant le plus grand nombre d'imitateurs". Comme un gène humain, il n'est bon qu'à se reproduire et à rien d'autre... Peut importe que les génies soient incapables de copuler, et que la Terre soit peuplée d'abrutis: c'est Darwin qui l'emporte!

Je vais maintenant développer une idée qui aura, en France, de nombreux détracteurs, et nombreux seront ceux qui y verront un sophisme. Tant pis, je me lance: l'exception culturelle française, ce protectionnisme culturel d'état, va à l'encontre du darwinisme culturel, et doit être abolie.

Je lisais récemment le compte rendu d'un colloque de scénaristes, où les auteurs se plaignaient qu'en France, les producteurs sont frileux à la comédie, à la science-fiction, au fantastique, à l'action, bref, à tout sauf Julie Lescaut. Et ils en étaient très frustrés. Et ils se demandaient pourquoi, malgré le succès de ces genre dans la plupart des autres pays du monde, la France se cantonnait à ce qu'elle avait déjà fait depuis 25 ans.

Est-ce une envie de préserver cette "exception culturelle française"? Cette envie bizarre de conserver une identité française? Qu'est-ce que ça signifie? Pourquoi, quand 90% des gens rechignent à l'idée de regarder une série télé française (ou décrivent l'expérience comme une épreuve pénible), pourquoi conserver des vieux modèles obsolètes. On sait que ça ne marche pas. Et pourtant, on continue à tenter des nouvelle séries vouées à l'échec.

Combien de blogs de collègues déçus devrais-je encore lire avant qu'on les laisse écrire des choses "modernes"? Que l'on arrête d'étouffer Darwin dans la coquille. C'est inutile, et comme un bagage génétique boiteux, voué à l'extinction, de gré ou de force.

Je suis enseignant, je vois les enfants jouer dans la cours de récré. Quand ils jouent au basket-ball, ils jouent "à l'américaine". Quand ils font la bagarre, c'est "à l'américaine". Quand ils font un bras-de-fer, c'est "à l'américaine"... Pourquoi? Pas parce qu'ils ont encore le rêve américain des années 60, ça n'existe plus ça, non: les règles à l'américaine sont plus "fun" que les vieilles règles chiantes du continent mourant qu'est l'Europe.

Pourquoi refuser de jouer "à l'américaine" en télé? Tout le monde sait pertinemment bien que c'est plus "fun" de faire des séries "cool", "light" et "bad-ass", que de conserver un intellectualisme d'académicien qui n'intéresse plus personne. En réalité, les producteurs français qui se battent contre ça, sont comme les créationnistes qui se battent contre Darwin: ils vont peut-être nous les casser quelques années, mais qu'ils sachent d'ores et déjà qu'ils ont perdu d'avance!

1 commentaire:

Matthieu R. a dit…

Tu citais il n'y a pas longtemps "the big bang theory", ce qui est la preuve, s'il en fallait une, qu'on peut, si l'on s'en donne les moyens, que l'on peut faire rimer rire et intelligence. D'ailleurs, les séries américaines (mais anglaises aussi)sont majoritairement très bien conçues, et très fournies en connaissances diverses et variées.

En France, soit on essaie de faire de l'intellectuel chiant, soit on se tente dans l'humour niais, et quand on tente de mêler les deux, c'est rare quand ça réussit. Et si on prend Kaamelott, qui conjugue une version de la légende d'Arthur à l'humour, il faut savoir que Alexandre Astier a appris à écrire et à construire ses scénariis en suivant des cours...aux Etats-Unis ^^

Pour en terminer, je ne pense pas qu'il faille supprimer l'exception culturelle française. Je pense surtout qu'il faut lui redonner un sens. Mais on a toujours été comme ça en France, comme par exemple quand à la Renaissance on pensait qu'on ne pouvait pas écrire de théâtre sans parler de la Grèce Antique et/ou de tragédie. Molière a prouvé le contraire.

Après, nous ne sommes pas des Molière, ça se saurait ! ^^
Mais je pense qu'on peut, sincèrement, conserver cette exception culturelle, mais je te rejoins on ne peut plus sur le fait qu'il est nécessaire qu'elle évolue avant de complètement se dévorer elle-même et de mourir de n'avoir pas su s'ouvrir à la "nouveauté".

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