03 février 2011

La loi de la sympathie

Je m'étais abstenu de faire la critique de "Rien à déclarer" jusqu'à présent, en me disant que ce n'était ni le premier ni le dernier navet que j'irais voir au cinéma. Mais là, il y a Dany Boon qui se plaint dans la presse d'être "agressé" par les critiques. Comme quoi qu'on serait trop dur avec lui.

J'avais bien démonté le cinéma d'auteur il y a quelques jours, maintenant c'est au tour des grosses machines d'en prendre pour leur grade. Car Dany Boon peut dire ce qu'il veut, son film est vraiment mal écrit! Et ça, sur un blog de scénaristes, ça ne passe pas!

Alors disséquons la bête...

Il y a plusieurs problèmes dans Rien à déclarer:

On reproche souvent à Dany Boon de faire dans les bons sentiments, de toujours aborder le thème du racisme, et d'être un grand naïf. Pour moi, ce sont ses principales qualités, alors je ne vais certainement pas l'attaquer là-dessus.

Je ne vais pas non plus l'attaquer sur la qualité des gags, car c'est un domaine somme toute assez subjectif. Une exception: réciter des blagues vieilles comme le monde, sans en modifier une virgule, n'est pas le bon moyen de faire rire les gens.

Par contre, là où Rien à déclarer pèche gravement, c'est dans la structure du scénario. Le film est divisé en plusieurs intrigue parallèles; la collaboration forcée entre douaniers français et belges, le trafic de drogue des tenanciers du bar et l'histoire d'amour impossible entre Dany Boon et la soeur de Poelvoorde. Problème: ces intrigues ne s'imbriquent pas bien les unes dans les autres! On a l'impression de suivre trois lignes parallèles qui ne parviennent jamais à se croiser.

Et pourtant, tout est fait pour: tous les personnages se côtoient, sont de la même famille, vivent au même endroit... Mais quelque chose "cloche". Les objectifs de chacun semblent à première vue bien dépendre des autres intrigues pour trouver leur résolution, ce qui serait une bonne choses: ils devraient être "emmêlés", pour former une intrigue dense.

Mais pourtant, dans le déroulement du film, aucune des trois intrigue n'aura réellement d'impact sur les autres... Tout se déroule en totale autonomie de ce qui se passe en dehors de chaque intrigue propre.

Pour éclaircir mon propos, voici un exemple: le couple qui tient le bar se lance dans un trafic de drogue insensé, au mépris de ce qu'il savent (ils connaissent le "meilleur agent des douanes du pays"), et leur histoire ne va absolument pas "souder" le duo Peolvoorde-Boon, bien au contraire. C'est mal joué d'un point de vue dramaturgique. En réalité, l'intrigue du trafic de drogue n'a aucune influence sur les rapports entre Boon et Poelvoorde.

D'autre part, la sous-intrigue avec le trafiquant de drogue un peu benêt et son méchant patron - outre qu'elle soit d'une vulgarité crasse - ne s'intègre pas du tout dans la logique de l'histoire. Le timing est complètement à côté de la plaque. Il aurait fallut faire appel aux tenanciers du bar dés le début, et faire du duo Damiens/Viard les vrais antagonistes de l'histoire. Pas deux pauvres personnages secondaires sans envergure. D'ailleurs, le patron des trafiquants, qui est censé avoir le rôle du méchant, apparaît sporadiquement, agit sans logique, et n'a pas l'air de souffrir des conséquences de ses actes. Bref: il ne sert à rien.

Le point positif de la structure du scénario reste la motivation de Boon pour accepter de travailler avec Poelvoorde: lui demander la main de sa soeur. C'est à peu près la seule action crédible du film.

Maintenant venons-en au véritable noeud du problème, celui qui a valu le titre de ce billet: le manque total de sympathie qu'on éprouve pour tous les personnages! Ils sont tous égoïstes, certes. Mais cela n'a jamais empêché de faire de la comédie (pensons à Louis de Funès, quel ignoble égocentriste). Ce qui empêche la comédie, c'est que leur égoïsme ne se traduit pas en gags et en happy-ends, mais en haussement de tons dramatiques, en scènes de ménage dignes de Plus Belle la Vie et en rancoeur. La haine que Poelvoorde exprime envers tout le monde n'est pas drôle mais tragique!

Difficile de s'attacher à des personnages aussi pénibles. C'est la règle de base: le public, pour s'accrocher à un personnage, doit voir en lui une lueur de bonté, même cachée derrière une montagne de défauts. Prenons l'exemple de "Moi, moche et méchant". Le héros est un abominable méchant et pourtant, on pleure pour lui tellement on éprouve de la compassion! Appelons ça la "loi de la sympathie" (Blake Snyder appelle ça "Save The Cat" dans son livre du même nom). Ici, on ne voit que la façade du raciste, et rien derrière: on a juste envie de crier "Freeze!" à Poelvoorde!

La comédie est censée ridiculiser les défauts des hommes. Dans Rien à déclarer, elle prend leurs défauts très au sérieux, et pontifie dessus. En ce sens, le rôle de Julie, la soeur convoitée par Dany Boon, est d'un triste pas possible: elle critique, fait la leçon, ne pardonne rien. On en finit à se demander pourquoi Dany Boon lui court après!

Comparez avec une Claude Gensac, la Joséphat du commandant Cruchot, qui pardonne tout à son étourdi de mari, avec une gouaille et une joie de vivre qui semblent avoir disparu du cinéma français.

Dernier péché capital du film: le protagoniste lui-même, Ducatel alias Dany Boon, est fade, incolore, inodore et invisible. C'est difficile d'être drôle quand on incarne la perfection absolue: tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau... ah, oui, mais je croyais que la comédie c'était fait pour se moquer des défauts des gens!? Comment qu'on fait quand le héros il est parfait? On fait sans les rires.

En plus, ça provoque un fameux déséquilibre entre Boon, la sagesse, et Poelvoorde, le fou furieux, qui va un peu à l'encontre du message du film: Belges et Français sont voisins "en bonne entente", mais là, on en retient surtout que les Belges détestent les Français, et que les Français en sont bien désolés! Enfin bref, ceci était mon quart d'heure chauvin!

Pour sa prochaine comédie, Dany Boon devrait vraiment arrêter de vouloir jouer à Jésus-Christ pour répandre le bien dans le monde, et se concentrer un peu plus sur nos zygomatiques! La recette est simple: un héros bourré de défauts, mais sympathique car il est bon au fond de lui-même. C'est ça, la "loi de la sympathie".

7 commentaires:

j_christ a dit…

Et c'est quoi les défauts de Tintin dans les albums de Hergé ? ;)

Nicolas Van Peteghem a dit…

Bah il a pas de défauts, Tintin: c'est le héros le plus chiant du répertoire.

Pour compenser, Hergé a du trouver une ménagerie de seconds rôles vraiment excellents.

Dans la bédé, ça passe un peu, mais au cinéma ça a toujours été une catastrophe (voyons ce qu'en fera Spielberg)

Dans Rien à déclarer, les seconds rôles compensent rien du tout, c'est bien ça que je dénonce.

Nicolas Van Peteghem a dit…

+ Tintin n'est pas un personnage comique. Il sert de catalyseur pour le lecteur de 7 à 77 ans qui peut se propulser dans l'histoire dans prendre des traits trop marqués. Dans le comédie, c'est n'est pas possible: il faut un recul entre le spectateur et le héros, un recul qui permet justement de se marrer.

Anonyme a dit…

bonsoir

et si on veut créer un personnage de film d'action très sympathique ?

Nicolas Van Peteghem a dit…

Anonyme > la technique la plus courante c'est d'en faire un "underdog", un outsider, le gars à qui rien ne réussit, qui est un peu à part, l'incompris, qui va montrer son héroisme envers et contre tout.

S'il a du succès, qu'il est sympathique et que tout lui réussit, je crains que vous n'ayez pas vraiment d'histoire à raconter, tout simplement!

Anonyme a dit…

Merci M.Van Peteghem

Anonyme a dit…

Trois lignes parallèles qui ne parviennent jamais à se croiser...Waouw, ça c est nul en écriture!

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