25 avril 2012

Provoquer des émotions

En parlant de la série "Girls" de HBO, je me suis demandé, au fond, pourquoi les gens étaient si vaches avec la pauvre Lena Dunham. Après tout, ce n'est pas la seule à parler des filles riches et blanches (Gossip Girl, Beverly Hills 90210, The OC, et j'en passe) mais "Girls" a réussi le malheureux exploit de s'attirer toutes les mauvaises ondes... Pourquoi? Ma réponse: un déficit en émotions.

Quand on écrit un scénario, entre les high-concepts, les répliques qui font mouches, les personnages "quirky", on oublie souvent que la raison d'être d'un scénario, c'est de provoquer une certaine émotion. Or, la course à l'originalité a parfois tendance à reléguer l'émotion au second plan au profit d'une posture "cool" et tendance.

C'est toutefois dans les vieilles casseroles que l'on fait les meilleures soupes, et il n'y a pas 36 solutions pour faire passer de l'émotion: il faut que le personnage souffre et qu'il agisse activement pour changer sa condition. Sans cette donnée de base, on tourne très vite en rond.

Or, la soudaine pauvreté de Lena Dunham dans Girls n'a pas l'air de lui changer son mode de vie plus que cela. Elle a une attitude très "cool" et tendance de prendre la vie avec recul et passivité, mais cela ne laisse pas beaucoup de place à une émotion communicative.

La même erreur frappe la saison actuelle de Community: alors que nous avions jusque là des personnages "lisibles", dont on pouvait connaître les émotions, on fait maintenant face à des quasi-caricatures, qui agissent de manière incohérente dans le seul but de rendre la série plus "cool", ou suivant une logique de surenchère de l'originalité, qui coupe définitivement toute émotion primale. D'où un sentiment mitigé alors que les deux premières saisons avaient remporté notre adhésion.

C'est d'ailleurs le destin de nombreuses séries de faiblir après quelques saisons, et de troquer l'émotion pour la caricature... Comment cela se fait-il?

Et bien, tout simplement, provoquer l'émotion dans un scénario (ou dans n'importe quelle oeuvre), est difficile, très difficile. La volonté de faire passer des émotions ne suffit pas, il faut aussi la savoir faire! Et là, on se heurte à des tas de complications. Tour d'horizon des écueils habituels:

1) une émotion artificielle.
A force de vouloir faire passer une émotion, on oublie que celle-ci ne tombe pas par hasard. Provoquer une émotion, c'est surtout dessiner un ensemble de circonstances qui font que celle-ci peut émerger. On ne peut pas faire apparaître une émotion au milieu de nulle part, comme si l'on avait oublié de l'écrire à la première version, laissant entre deux scènes la mention [insérer émotion ici]. Une émotion se prépare à l'avance.

Par exemple, on peut très bien écrire une scène où un type apprend la mort de son grand-père sans qu'aucune émotion ne soit ressentie. Si l'on ne sait rien du grand-père ou du petit-fils, on ne possède pas les informations nécessaires pour réceptionner correctement l'émotion.

2) un manque de subtilité.
En voulant faire passer une émotion, les scénaristes ont parfois la main un peut trop leste. Et donc, c'est le cliché du film où le petit enfant cancéreux se fait violer en plus d'apprendre que sa mère aveugle ne peut plus payer ses médicaments (bon, j'avoue, c'est exactement ce que j'ai ressenti en voyant Dancer In The Dark).

Mais une addition de malheurs et de drames n'est pas égale à une addition d'émotions. Le public se lasse très vite. On peut très bien faire ressentir plus d'émotions avec un type qui a un caillou dans sa chaussure, qu'avec la totale des maladies orphelines. L'important, c'est que ça soit vrai. Que le public soit complètement à la place de la personne qui vit le drame.

En surchargeant le récit des drames et de diabolicus ex-machina, on rend l'identification plus difficile. D'autant que les spectateurs ont très peu de patience pour les personnages qui sont faibles dans l'adversité et qui se laissent complètement envahir par les malheurs. Il faut toujours trouver un moyen de s'en sortir, sinon il n'y a pas vraiment d'histoire à raconter.

3) un surplus de subtilité.
A contrario, un scénario trop subtil peut aussi être mal perçu. C'est toute la difficulté de faire naître l'émotion dans une oeuvre dramatique: le bon dosage. Un personnage trop timide, qui ne s'exprime pas, qui ne montre pas ce qu'il veut ou ce qu'il ressent, aura beaucoup de mal à nous faire passer ses émotions.

C'est souvent le défaut de films d'art et d'essais ratés: l'auteur propose une oeuvre tellement personnelle qu'elle passe au-dessus de la tête de tout le monde (sauf des critiques de Télérama, bien entendu). Il ne faut pas avoir peur d'un peu de pathos de temps en temps. Les films Hollywoodiens savent parfaitement en jouer.

Exemple typique: Marley et Moi. Une bête histoire de chien. Mais qui n'a pas pleuré devant ce film? Cet exemple n'est peut-être pas le plus grand film de tous les temps, mais il exploite parfaitement le pathos, et provoque indubitablement des émotions (bien que celles-ci soient de courte durée: une fois le film terminé, on n'a aucun mal à vaquer à ses occupations). Bref, il ne faut pas avoir peur d'un peu tirer sur la corde de temps en temps.

Exemple encore plus réussi: Up. Allez-y, cliquez sur le lien, regardez la vidéo et dites-moi que vous n'avez rien ressenti! Voilà, comment, de manière très simple, en exploitant des techniques de set-up/pay-off, sans en faire trop ni trop peu, Pixar parvient à réaliser en 4 minutes une des scènes les plus chargées en émotions de l'histoire des dessins animés!

4) trop de dialogues.
Comment l'exemple de Up nous le montre, l'émotion passe très bien dans le silence. Les films muets sont peut-être passé de mode, mais ils parviennent mieux que tous à faire passer une émotion primale, qui prend au tripes. Regardez par exemple la scène finale de City Lights, de Charlie Chaplin. (Au fait, vous voyez comme les circonstances sont importantes: si l'on ne sait pas que la fleuriste était aveugle avant, et qu'elle croyait le vagabond riche, on n'aurait rien ressenti).

De nos jours, les films sont plus bavards mais souvent moins efficaces. Pourquoi? Tout simplement parce que l'émotion se prête très mal à la parole. Les psy coûtent chers parce qu'ils sont là pour décoder ce que l'on ne peut pas exprimer avec des mots. Or, les films modernes tentent parfois de prendre ce raccourci inefficace pour faire passer de l'émotion. Mais un type qui dit "je suis triste", ne nous rend pas triste. La parole ne fonctionne pas comme vecteur d'émotion.

C'est pourquoi il faut la minimiser au maximum lors des scènes qui sont censées faire passer de l'émotion. La paroles facilite au départ la transmission d'informations qui permettent de connaître les circonstances, mais au moment de ressentir quoi que ce soit: chut!

La recette finale
Comme vous le voyez, les écueils peuvent être nombreux, et le dosage se doit d'être savant, pour que la sauce prenne. Ceci dit, il n'y a pas de recette, ce serait trop beau. Tout au plus puis-je vous offrir quelques lignes de conduite: soyez vrais, n'ayez pas peur de montrer les sentiments, n'en rajoutez pas une couche, et, de grâce, ne commentez pas, contentez-vous de le faire vivre à vos personnages.

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