30 mars 2013

Concours de couillons

Le scénariste Antoine de Froberville pousse un coup de gueule dans le Huffington Post: les scénaristes écrivent pour gagner leur vie, pas pour passer des concours! En effet, de plus en plus de petites maisons de production tentent d'attirer le chaland en sous-traitant l'étape de l'écriture par le biais d'un concours.

Du coup, plus besoin de chercher ou d'engager un auteur: il suffit de laisser venir à soit les novices attirés par l'esprit de compétition. L'ironie, c'est que le prix pour l'heureux gagnant est dérisoire, en général bien en deçà du minimum syndical qu'un véritable scénariste est en droit d'exiger.

Ce qui pose un réel problème: si les scénaristes professionnels se font doubler par des petits jeunes sous-payés, ils meurent. Et les petits jeunes, vainqueurs du concours? Ils s'en viennent et s'en vont comme une denrée périssable. C'est la précarité pour tous.

Tout cela n'est pas nouveau.

D'ailleurs, si j'en parle, c'est uniquement parce que moi-même j'ai succombé à l'attrait des concours, il y a plusieurs années. Petit retour en arrière...

Nous sommes en 2003. J'ai 18 ans et je rêve de devenir scénariste. Mais en Belgique, à part deux écoles de cinéma (qui ne veulent pas de moi), les chemins pour y arriver semblent pour le moins sinueux. J'écrit donc "on spec" avec la naïveté et l'entrain du débutant.

Non seulement mon rythme d'écriture est très rapide (ne connaissant rien à la dramaturgie, je ne me pose aucune question) mais les premières critiques sont plutôt bonnes. J'étais à l'époque inscrit sur le site version-finale.fr (un site aujourd'hui disparu, et c'est dommage) où les visiteurs pouvaient critiquer librement tous mes scénarios. Ce n'étaient ni mes amis ni ma mère, et ils étaient pour la plupart élogieux, et à tout le moins, gentils. Je me croyais donc sur la bonne voie.

M'étant forgé la conviction que mon avenir professionnel se joue sur le terrain scénaristique, je commence à élaborer des plans de carrière. Mais, comme je le disais, en Belgique, il n'est pas question de "monter à la capitale" pour montrer son travail à un producteur: il n'y en a tout simplement pas.

Je suis à deux doigts de perdre espoir, lorsque je vois à la télévision une publicité pour un grand concours de scénario. Je soulève un sourcil. Le jury est composé de professionnels du cinéma, dont Alain Berliner, réalisateur de Ma vie en rose, un très bon film belge des années 90. Là, je soulève deux sourcils.

Lorsque, plus tard dans la journée, ils parlent du concours au journal télévisé, je suis carrément convaincu: "CinéQuest", du nom du concours, c'est une grosse machine, ils promettent de produire le scénario du gagnant, et les conditions de participation sont favorables, c'est à dire: ils veulent un "film de genre" moderne, et, mieux que tout, pour participer, c'est gratuit.

Je m'attèle donc à la tâche et j'écris un scénario fantastique, qui me semble, du haut de mes 18 ans, totalement génial. J'envoie le manuscrit et j'attends.

Bon, il se fait que je n'ai pas gagné, mais mon histoire ne s'arrête pas là. Loin de là...

Les mois passent, le gagnant est annoncé, bravo pour lui. Le projet retombe dans l'oubli. Ils sont sûrement en train de produire le fameux film promis, me dis-je ne toute naïveté.

Quelques années plus tard, alors que ce fameux concours m'est totalement sorti de l'esprit, je participe à l'écriture d'une série d'animation avec d'autres jeunes scénaristes. Nous nous sommes rencontrés via un forum internet, et notre écriture collective est très satisfaisante: l'émulation est à son comble, nous avons tous le même objectif.

Un midi, alors que nous mangeons un sandwich, nous discutons de nos parcours respectifs. "Pour ma part: pas grand chose, dis-je. J'ai vendu un petit scénario à RTL quand j'ai fait mon stage là-bas, pour une émission pour enfants..."

Un autre scénariste raconte: "Moi j'ai réalisé quelques courts métrages. Là j'ai reçu une aide à l'écriture du Fonds Flamand...."

Ok, très bien. On est plus ou moins au même niveau, pensais-je. Mais soudain, il rajoute:

"Ah oui, et aussi, il y a quelques années, j'ai gagné le concours CinéQuest."

Là, je tombe des nues! Ce scénariste débutant avec qui j'étais en train d'écrire avait eu exactement le même parcours que moi, sauf qu'il l'avait gagné, ce fameux concours! C'était lui le gagnant! Je ne l'avais pas reconnu! "Mais alors, qu'est devenu ce fameux film?" demandai-je.

L'histoire qu'il me fit des coulisses du concours fut assez calamiteuse pour le dégoûter des concours d'écriture à vie... En résumé: le promoteur du concours était un étudiant en business qui avait mis au point, avec l'argent de papa (un gros patron belge), un système fiscal avantageux pour lui, à condition de "faire du cinéma". Le fameux tax-shelter parlera peut-être à quelque-uns.

Bref, le margoulin avait réussi à réunir sous sa bannière des noms prestigieux, grâce à l'argent familial avait réussi à faire parler de son concours dans tous les médias, mais en réalité n'avait réellement l'intention de faire un film... Ou en tout cas, pas les moyens, ni logistiques ni intellectuels.

Le scénario écrit par mon camarade n'a jamais été exploité. Le concours s'es éteint de mort naturelle. Personne n'en a jamais plus parlé.

Qu'est-devenu le fameux producteur?

Il est resté producteur, de films obscurs direct-to-dvd dont personne n'a jamais entendu parlé. Il gagne probablement assez d'argent avec ses activités pour subvenir à ses besoins. En réalité, je pense qu'il n'était pas animé d'intentions mauvaises, il était juste trop incompétent. Il a surestimé ses forces. Et il a déçu pas mal de jeunes auteurs.

La morale? Dans ce genre de concours, le seul gagnant, c'est l'organisateur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire