24 août 2011

L'humour chez Seinfeld

Je poursuis mon analyse de Seinfeld, en m'intéressant aujourd'hui à certains mécanismes de l'humour dans la série.

Nommer l'innommable
Dans l'article précédent, j'observais que l'humour chez Seinfeld se base principalement sur l'observation du quotidien. Le moindre petit moment gênant de la vie de tous les jours peut devenir la source d'un épisode entier. Pensons aux vêtements qui ne nous vont pas, aux lunettes mal choisies, à une odeur désagréable dont on n'arrive pas à se débarrasser, à ce tic de langage qui énerve, à tel autre détail insignifiant...

Seinfled ne se contente pas d'observer ces petits incidents du quotidien. Là où il nous fait rire, c'est qu'il prend le temps - et le recul - pour les classifier, et les nommer.

Pourtant ces détails gênants sont souvent tabous: personne n'en parle jamais car ils ne sont pas assez importants pour mériter qu'on en parle, mais ils restent toutefois assez communs pour que tout le monde comprenne de quoi il s'agit.

Le simple fait de leur donner un nom les élève de l'insignifiant au comique. Par leur nom, ils deviennent une chose tangible, partageable (et l'on rit mieux de ce que l'on partage).

Pensons au fameux "double-dip". Constanza trempe son nacho dans la sauce, en mord une bouchée, puis trempe son nacho une deuxième fois dans la sauce, au plus grand dégoût de ses hôtes. Cette attitude vraiment banale, a priori pas très drôle, devient comique dés l'instant où l'interlocuteur de George nomme son geste: "double-dip", pour mieux l'enguirlander.

Presque chaque épisode de Seinfled - et plus tard, de Curb Your Enthusiasm - possède un exemple de cet humour inédit, où les personnages nomment l’innommable.

Evidemment, plus le geste nommé est gênant, plus drôle devient le gag.

Pensons à toutes ces fois où sans trop y réfléchir on offre à quelqu'un un cadeau qui nous avait été offert auparavant... un peu pour s'en débarrasser car on n'en a pas l'utilité. C'est pas glorieux et un peu gênant, mais totalement vivable tant que l'on ne peut pas être rangé dans la catégorie des gens infâmes qui commettent une telle atrocité.

Chez Seinfled, on les appelle les "re-gifters" (les "re-offreurs"). Et c'est un qualificatif que l'on ne se targue pas de porter!

Les métaphores
Par moment, la nomenclature vire du côté non-sense, comme le fameux "anti-dentite", parodie du mot "antisémite" appliquée aux dentistes. Dans ce cas de figure, ce n'est plus le fait de nommer la chose qui est le fondement du gag - même si ça reste drôle - mais c'est toute la comparaison/métaphore au second degré qui prend le relais. Voyez cet extrait:



Dans Seinfeld, en vérité, les métaphore sont un grand sujet d'humour. Puisqu'on est dans le thème du nommable et de l'innommable, il y a des choses que l'on ne peut jamais dire en télévision, dans les années 90. Pour contourner le problème, Seinfeld emploie les métaphores.

Episode célèbre, "The Contest" est entièrement basé autour de la masturbation. Sujet délicat s'il en est. Mais il passe très bien dés l'instant où le mot masturbation n'est jamais prononcé, et remplacé par une métaphore que tout le monde aura compris sans être choqué. "Are you the master of your domain?" sera la question clé de l'épisode.

Cette importance donnée au langage explique probablement pourquoi la sitcom n'a pas eu beaucoup de succès en France. La traduction ne peut pas tout faire passer. Elle montre aussi combien Seinfeld est supérieure aux autres sitcoms (comme Friends) et mérite une deuxième chance si vous comprenez l'anglais!

1 commentaire:

Gaël a dit…

Un article vraiment passionnant. Je viens de découvrir votre site aujourd'hui et j'y ai déjà passé plusieurs heures. Bravo pour vos analyses des sitcoms (seinfeld et Friends), c'est brillant et très juste. De quoi faire réfléchir l'auteur en herbe que je suis! Merci vraiment!

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