04 janvier 2012

Discours de Charlie Kaufman sur l'art du scénario

Le scénariste Charlie Kaufman (Being John Malkovitch, Eternal Sunshine of The Spotless Mind) livre un discours intéressant lors d'une conférence organisée par la BAFTA sur le métier de scénariste. A voir ici : http://guru.bafta.org/charlie-kaufman-screenwriters-lecture-video.

John August (Big Fish, Charlie et la chocolaterie) et Craig Mazin (The Hangover 2) en font l'analyse sur leur podcast à écouter ici : http://johnaugust.com/2012/zen-and-the-angst-of-kaufman.

Ce que j'en retiens:
- Charlie Kaufman se prend très au sérieux, mais il a le mérite de prendre son art très au sérieux également.
- Hollywood est une machine à fric et il faut rester intègre si l'on veut contribuer au bien de l'humanité, même quand on travaille pour Hollywood. Kaufman donne sa recette: être soi-même et ne pas suivre les règles dictées par quelqu'un d'autre.
- Kaufman se méfie du "craft", c'est à dire l'artisanat du scénario, par rapport à l'Art noble du scénario. Il dénonce les marchands de rêve à bon marché, qui rendre le cinéma médiocre et répétitif. Ces artisans font certes très bien leur boulot pour amuser la galerie, mais ils n'apportent rien au monde.
- A par ça, pour écrire un scénario, faites comme vous voulez!

John August et Craig Mazin sont plus critiques... Ils coincent Kaufman dans son petit jeu de dupes qui consiste à dénoncer l'artisanat bien ficelé des écrivains... alors que lui-même s'en sert largement dans son discours (figures de style, rythmique des phrases, etc.) Bien vu!

Tout cela me semble relativement vain, en fin de compte, mais a tout de même l’intérêt de nous faire réfléchir sur la condition de scénariste, ce qui n'est jamais mauvais.


03 janvier 2012

Bref, la réussite des shortcoms

Analyser les scénarios de "Bref", la shortcom de Canal+, est un exercice un peu particulier dans le sens où son écriture est intimement liée à la réalisation, au montage et aux effets spéciaux. Pour la première fois (en France et peut-être même dans le monde), une sitcom repose d'avantage sur son rythme et son visuel que sur ses dialogues.

L'objet de ce blog étant l'écriture, je vais essayer de faire abstraction de l'emballage (le buzz sur Facebook, le casting excellent, le montage clipesque) pour analyser les sources des gags dans Bref. Je passe outre le côté générationnel et "connecté" de la série qui alimente beaucoup le buzz mais ne me semble pas si important que cela - en tout cas du point de vue du scénariste.

Comme d'habitude, commençons par un relevé de compteur lolesque de l'épisode pilote...

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo

Durée: 1'46
Nombre de rires potentiels: 12
Nombre de rires réels: 2
Nombre de sourires: 6

Comme toujours, il y a un écart entre le nombre de gags prévus par les auteurs et le nombre de rires réels. D'habitude, le marge est de 70% de réussite. Ici, c'est beaucoup plus faible, mais principalement parce que le format ne se prête pas aux éclats de rires (manque de temps, aucune respiration après un gag). Du coup, on sourit quasi tout le temps, mais je n'ai vraiment rigolé que deux fois grâce au copain pervers, puisque je ne crache jamais sur l'humour gras.

Le premier gag de la série est basé sur une vieille mécanique imbattable: la triple répétition, dont le dernier élément est modifié:
"Je sais pas.
- Je sais pas.
- J'entends pas."
En soi, ce n'est pas drôle, mais avec le rythme du montage, cela provoque mécaniquement le rire. Lisez Bergson si vous voulez en savoir plus.

La suite de l'épisode continue sur le même genre de répétitions dont un élément est modifié.
"Je lui ai raconté une blague, elle a rigolé.
Je lui ai encore raconté une blague, elle a pas rigolé."
Ici, la drôlerie provoquée par le côté mécanique de la voix-off et accentuée par le côté "loser" du personnage qui commence tout doucement à s'installer. J'ai déjà démontré maintes fois qu'en sitcom, un personnage loser est indispensable pour bien rire. Nous somme donc en territoire connu, et Bref n'aura qu'à s'inspirer de Georges Constanza pour remplir ses épisodes.

Et pour enfoncer le clou, la même mécanique est utilisée encore une fois:
"Je suis caissière...
- C'était pas intéressant.
- ... dans un sexshop.
- C'était intéressant!"
On commence à voir comment l'écriture et le montage sont lié: joués de manière classique, ces dialogues ne fonctionneraient pas vraiment. Avec la formule du vidéo-clip, c'est plus musical et efficace.

Après 45 secondes, les auteurs en finissent avec leurs répétitions pour passer à l'autre grand classique de l'humour: le sexe!

Evidemment, il ne suffit pas de dire bite et couille pour faire rire, il faut apporter une valeur ajoutée. Dans le cas de Bref, la valeur ajoutée est la fine observation du quotidien des trentenaire de notre génération. Et donc, le "baise-laaaaaaaa" avec 8 "a" par texto fonctionne vraiment bien, car on a tous déjà reçu ce genre de messages.

Le reste des épisodes sera encore plus axé sur l'observation du quotidien, jusqu'à devenir un petit documentaire sur la vie en milieu urbain dans les années 2000. Souvent d'ailleurs, cette observation fine s'arrête à de la pure observation, sans qu'un gag vraiment construit vienne la soutenir. C'est le montage rapide qui fait passer ces facilités sans problème.

Pour en revenir au pilote, notons les prémices d'une technique d'écriture qui sera elle aussi beaucoup utilisée tout au long de la série: le set-up et pay-off. Kyan observe un pop-corn sur l'épaule de la fille, sans y porter plus d'attention. On croit que cet élément est oublié... Pour finalement y revenir plus tard.

Malheureusement, dans cet épisode, le pay-off n'est pas drôle, il sert simplement à introduire le personnage du copain gay. Une écriture plus serrée aurait permit de faire revenir le pop-corn dans un contexte inattendu, qui provoquerait un rire. C'est le but du pay-off dans la comédie en général.

Même si cet épisode pilote est loin d'être parfait, il montre déjà les bases de ce qui fait le succès de Bref: sa réalisation et son rythme, ainsi qu'une observation amusante de la vie quotidienne. Ce que l'on peut retenir, c'est un choix excellent des personnages: le loser volontariste, qui va draguer une fille alors que l'échec est prévisible, underdog à qui l'on souffle la fumée de cigarette dans la figure, celui là est vraiment un héros de sitcom.

Le personnage du copain pervers est aussi très bien vu, dans le sens où c'est un personnage éminemment amoral, dégoûtant et peu fréquentable, mais malgré tout un très bon copain qui s'inquiète de la vie sentimentale du héros: on l'aime déjà. En ce sens, il est une copie francophone de Barney Stinson dans How I Met Your Mother: l'obsédé sexuel utile, un nouveau cliché de sitcom du 21ème siècle!

Le fait que Bref soit un énorme succès prouve aux diffuseurs qu'il faut un peu de couilles pour faire rire: il faut oser dire "baiser", "sucer", "branler". Pas par facilité ou par médiocrité, mais parce que le "parler vrai" est le seul qui puisse vraiment toucher les gens. On ne peut pas mentir en humour. Même NBC l'avait compris dans les années 90, en diffusant Seinfeld, une sitcom qui contient plus d'allusions sexuelles qu'une série rose de M6.

Arrondir les angles, c'est la mort assurée de la sitcom. TF1, prenez exemple sur Bref. J'ai lu que vous vouliez programmer une sitcom en accèss: ne soyez pas trop politiquement corrects. Vos tentatives humoristiques étaient trop polissées jusqu'à présent. Comme disait André Manoukian: ça sent trop le savon et pas assez la foufounne. Bref, lui, sent le mâle en ruth à 2km à la ronde, et c'est une très bonne chose!

11 septembre 2011

Entourage: grandeur et décadence façon Hollywood

Ce soir la chaîne HBO diffuse le tout dernier épisode de la série Entourage, et je dois avouer que j'ai un petit pincement au coeur.

Je regarde cette série depuis le début, attiré dans un premier temps par les jolies demoiselles qui peuplaient les arrières-plans dénudés.

Petit à petit, la série est devenue pour moi et beaucoup d'autres un rendez-vous incontournable: sa satire du showbizz hollywoodien, ses performances comiques grâce à Ari Gold (Jeremy Piven), son groupe de potes sympas, ont fini par créer un mélange très addictif.

La troisième saison de Entourage en était l'apogée. La critique du showbizz était féroce et, surtout, elle sonnait juste. On avait l'impression qu'un Ari Gold dominait toutes les agences du monde réel. On vivait par procuration les sorties de Vincent Chase au manoir Playboy, en se disant que la vie de star, c'est vraiment trop cool... Et on y croyait!

Comme Vince, la série était au sommet de sa gloire... Et puis les choses ont mal tourné. Petit à petit, la série a perdu de sa superbe et a viré au soap-opéra de seconde zone dans ses dernières saisons, reléguant la satire au second plan et oubliant les ingrédients qui firent son succès.

Cet article vise donc à analyser les raison de ce déclin. Erreurs de casting, mauvais choix créatifs, quelles sont les raisons qui ont fait dégringoler Entourage à son état actuel?

La recette perdue
La recette originale d'Entourage était un mélange subtil de réalisme et de fantasme. Réalisme dans la vie professionnelle de Vince, la star d'Hollywood, qui gère avec difficultés le stress du box-office, de la concurrence avec les autres acteurs, les relations tendues avec son agent. Ces problèmes proches de la vie réelle, bien qu'exagérés à l'écran, donnaient un cachet d'authenticité à la série.

Ce label de "réalisme" permettait aux intrigues secondaires de s'échapper dans le fantasme pur, les parties à trois avec des top-modèles, les coups d'un soir dans un carré VIP, les privilèges réservés aux plus grandes stars. C'était un équilibre entre le vrai et le faux qui rendait la série passionnante et divertissante à la fois. Une grande partie du côté comique de la série venait aussi du fait que les intrigues "fantasme" avaient aussi un rapport avec les intrigues "réalisme": Vince devait par exemple draguer telle actrice pour qu'elle accepte de signer un contrat pour Ari, qui à son tour renvoyait l'ascenseur, etc. Tout était lié, comme dans toute bonne intrigue qui se respecte.

Au fil des saisons, le pourcentage de réalisme a fortement été diminué, ce qui a enlevé pas mal de l'attrait de la série... Les enjeux ne peuvent pas vraiment être pris au sérieux dans un monde qui sent le cartoon et le faux.

Mais - et c'est bien pire - ce réalisme disparu n'a pas été remplacé par plus de fantasme. C'est la grosse erreur des scénaristes: le fantasme a été remplacé par le quotidien de monsieur tout-le-monde! Voyez plutôt: Vince arrête la drogue, Eric va au boulot de 9 à 5, Turtle gère sa petite entreprise et Drama fait du doublage de dessins-animés... Pas très passionnant!

On est loin des ENJEUX qui étaient sur la table dans les premières saisons: des millions de dollars, la carrière de Vince qui pouvait s'arrêter à chaque instant, Ari Gold qui menaçait de le virer au moindre faux pas, Eric qui n'était encore qu'un livreur de pizza se battait pour obtenir une place d'agent...

La réduction des enjeux est donc la première erreur des scénaristes. Mais ce n'est pas la seule...

Le détricotage du groupe
Le principal atout de la série a toujours été sont groupe de potes, inséparables et prêts à tout pour s'entraider: Vincent Chase, Eric Murphy, Turtle et Johnny Drama. Ces quatre là vivent tout ensemble, ils ressentent et réagissent ensemble, ils font face ensemble.

Leurs quatre personnalités différentes permettaient aux scénaristes de faire naître le conflit sur des problèmes communs. Ce principe de base, simple à comprendre, formait le fondement dramaturgique de la série, et aussi incroyable que cela puisse paraître, les scénaristes se sont efforcés de s'en débarrasser!

Pendant les 4 dernières saisons de la série, le groupe d'amis s'est désagrégé, chacun vaquant à ses occupations et ne faisant que de brèves apparitions dans la vie des autres. Chacun pour soi et dieu pour tous...

Eric atteint son but de devenir agent de stars au milieu de la série: son personnage perd tout intérêt dés cet instant. Il en devient insupportable jusqu'à la fin!

Turtle est intéressant lorsqu'il profite de la notoriété de son ami Vince pour obtenir des privilèges... Mais les scénaristes font de lui un entrepreneur à succès qui n'a plus vraiment besoin de Vince pour vivre.

Drama est comique uniquement en réaction aux autres: tout seul, il ne vaut rien. Evidemment, dans un groupe désagrégé, c'est ce qui arrive...

Vince, enfin, incarnait la cohésion du groupe. Dés le moment où le groupe s'est disloqué, le personnage a perdu toute utilité dramatique. Pour pallier à cette flagrante inutilité, les scénaristes l'ont accablés de problèmes artificiels: la drogue, une copine star du porno, l'alcool, un meurtre, ... Tout cela ne ressemble plus à la série d'origine.

Et l'humour dans tout ça?
Comparez des épisodes des 3 premières saisons avec les 3 dernières, et quelque chose vous sautera aux yeux: les anciens épisodes sont beaucoup plus drôles. Meilleures situations, meilleures dialogues, meilleurs seconds rôles.

La série a tout simplement oublié d'être drôle en cours de route: son virage vers le drame type soap-opéra l'a déshabillée de tout ce qui la rendait agréable.

C'est donc sans fleur ni couronne que je déplore la fin d'Entourage. On ne peut pas être et avoir été.

24 août 2011

L'humour chez Seinfeld

Je poursuis mon analyse de Seinfeld, en m'intéressant aujourd'hui à certains mécanismes de l'humour dans la série.

Nommer l'innommable
Dans l'article précédent, j'observais que l'humour chez Seinfeld se base principalement sur l'observation du quotidien. Le moindre petit moment gênant de la vie de tous les jours peut devenir la source d'un épisode entier. Pensons aux vêtements qui ne nous vont pas, aux lunettes mal choisies, à une odeur désagréable dont on n'arrive pas à se débarrasser, à ce tic de langage qui énerve, à tel autre détail insignifiant...

Seinfled ne se contente pas d'observer ces petits incidents du quotidien. Là où il nous fait rire, c'est qu'il prend le temps - et le recul - pour les classifier, et les nommer.

Pourtant ces détails gênants sont souvent tabous: personne n'en parle jamais car ils ne sont pas assez importants pour mériter qu'on en parle, mais ils restent toutefois assez communs pour que tout le monde comprenne de quoi il s'agit.

Le simple fait de leur donner un nom les élève de l'insignifiant au comique. Par leur nom, ils deviennent une chose tangible, partageable (et l'on rit mieux de ce que l'on partage).

Pensons au fameux "double-dip". Constanza trempe son nacho dans la sauce, en mord une bouchée, puis trempe son nacho une deuxième fois dans la sauce, au plus grand dégoût de ses hôtes. Cette attitude vraiment banale, a priori pas très drôle, devient comique dés l'instant où l'interlocuteur de George nomme son geste: "double-dip", pour mieux l'enguirlander.

Presque chaque épisode de Seinfled - et plus tard, de Curb Your Enthusiasm - possède un exemple de cet humour inédit, où les personnages nomment l’innommable.

Evidemment, plus le geste nommé est gênant, plus drôle devient le gag.

Pensons à toutes ces fois où sans trop y réfléchir on offre à quelqu'un un cadeau qui nous avait été offert auparavant... un peu pour s'en débarrasser car on n'en a pas l'utilité. C'est pas glorieux et un peu gênant, mais totalement vivable tant que l'on ne peut pas être rangé dans la catégorie des gens infâmes qui commettent une telle atrocité.

Chez Seinfled, on les appelle les "re-gifters" (les "re-offreurs"). Et c'est un qualificatif que l'on ne se targue pas de porter!

Les métaphores
Par moment, la nomenclature vire du côté non-sense, comme le fameux "anti-dentite", parodie du mot "antisémite" appliquée aux dentistes. Dans ce cas de figure, ce n'est plus le fait de nommer la chose qui est le fondement du gag - même si ça reste drôle - mais c'est toute la comparaison/métaphore au second degré qui prend le relais. Voyez cet extrait:



Dans Seinfeld, en vérité, les métaphore sont un grand sujet d'humour. Puisqu'on est dans le thème du nommable et de l'innommable, il y a des choses que l'on ne peut jamais dire en télévision, dans les années 90. Pour contourner le problème, Seinfeld emploie les métaphores.

Episode célèbre, "The Contest" est entièrement basé autour de la masturbation. Sujet délicat s'il en est. Mais il passe très bien dés l'instant où le mot masturbation n'est jamais prononcé, et remplacé par une métaphore que tout le monde aura compris sans être choqué. "Are you the master of your domain?" sera la question clé de l'épisode.

Cette importance donnée au langage explique probablement pourquoi la sitcom n'a pas eu beaucoup de succès en France. La traduction ne peut pas tout faire passer. Elle montre aussi combien Seinfeld est supérieure aux autres sitcoms (comme Friends) et mérite une deuxième chance si vous comprenez l'anglais!

19 août 2011

Seinfeld

Jerry Seinfeld passera à Paris en septembre pour une représentation exceptionnelle de sa dernière tournée. Ah! Si j'habitais dans le coin, pour sûr, j'aurais acheté un ticket! Seinfeld n'est pas vraiment connu en Europe, mais c'est un demi-dieu aux Etats-Unis. Dans les années 90, il fut le héros de la sitcom la plus rentable de l'histoire, nommée tout simplement "Seinfeld".

Depuis tout le temps que je parle des sitcoms, il était inconcevable que je ne touche pas un mot de Seinfeld, qui inspira largement "Friends" et tous les autres suiveurs.

Le pitch de la série est simple: c'est une série à propos de rien. C'est en tout cas comme ça que l'a vendue son créateur, Larry David. En fait, avec le recul, c'est une série sur les embarras du quotidien, les couacs de la vie sociale et amoureuse, les normes de la société. Mais il est vrai qu'il n'y a pas de grande ligne conductrice, contrairement aux autres séries, qui suivent en général un fil rouge.

Jerry Seinfeld joue le rôle de... Jerry Seinfled, comédien de stand-up à New-York. Il est accompagné de son meilleur ami Georges Constanza, névrosé sans emploi fixe, Kramer son voisin fou, et Elaine, son ex avec qui il reste en bons termes.

Cette petite bande va et vient sur l'écran, sans but, sinon celui de mener une existence pleine de qui-pro-quos, des one-liners bien placés, et de tics rigolos.

Avec un pitch aussi anémique, comment Seinfeld a-t-elle pu avoir autant de succès, surtout pendant près de 10 ans?

J'ai l'impression de me répéter, article après article, puisque la recette est TOUJOURS la même: LES PERSONNAGES!

Dans une sitcom, le pitch n'a AUCUNE IMPORTANCE. On peut parler de tout et n'importe quoi! L'important, non, l'essentiel, est d'avoir une bonne poignée de personnages inoubliables.

Je rappelle les ingrédients: des personnages faillibles, dotés de nombreux défauts, qui seraient invivables dans la vraie vie, mais qui, comme par magie, nous semblent tellement sympathiques à l'écran.

Et là, Seinfled frappe fort:
  • Georges Constanza (qui est le plus gâté) possède tous les défauts du monde: il est petit, chauve, au chômage, nerveux, mesquin, radin, égoïste, infidèle, hystérique, menteur, et les épithètes manquent.
  • Cosmo Kramer est un arnaqueur à la petite semaine, un séducteur de bac à sable, un pique-assiette, un opportuniste, un colérique, un débile, etc.
  • Elaine est superficielle, menteuse, instable, mesquine...
  • Jerry, censé être le roc autour duquel les autres gravitent, n'est pas sans défauts non plus: il est infidèle, râleur, fainéant, et son ego est un peu trop grand.
Avec ces 4 là, il est possible de tenir 180 épisodes sans s’essouffler!

Mais bien entendu, les personnages, ce n'est qu'une moitié de la recette. Il faut encore leur faire vivre des histoires dignes d'intérêt.

On a vu que le pitch, l'intrigue générale si on veut, n'avait pas d'importance: ça ne signifie pas que le contenu des épisodes peut se permettre d'être moins que génial. Et pour ça, il faut bien avoir quelque chose à raconter pendant les 22 minutes de chaque épisode.

Ce quelque chose, ce sont les embarras du quotidien. Les petits "rien" qui font les grands "tout". Un compliment mal placé, une coupe de cheveux mal ajustée, un pourboire mal calculé, bref: des choses tellement insignifiantes que l'on pourrait très bien ne jamais en parler.

Mais dans Seinfeld, au contraire, ces petites choses sont passées sous la loupe, gonflées, et mises sur un piédestal. Elles envahissent la vie de nos héros au point de leur pourrir l'existence. Et avec des personnages justement nevrosés et égoïste, le cocktail est explosif.

Le type d'humour dans Seinfeld est basé sur celui de Jerry Seinfeld, comique de stand-up, mais agrémenté d'éléments que seule la télévision peut amener:

1) L'observation du quotidien
Le grand classique des comiques c'est de commencer leurs phrases par: "vous avez déjà remarqué?". Seinfeld est le spécialiste en la matière. "Vous avez déjà remarqué comme tout est petit dans un avion? Petites assiettes, petits couverts, petites toilettes...", "Vous avez déjà remarqué les files d'attente au restaurant? Ca rend les gens agressifs", etc. Et bien, du stand-up à la sitcom, il n'y a qu'une étape de traduction à faire... Et l'on se retrouve avec un épisode dans un avion, un épisode dans un restaurant, etc. Il ne reste plus qu'à "milker" la situation et la faire déraper grâce au manque de savoir-vivre de nos personnages.

2) Les qui-pro-quos
En comédie, lorsqu'un personnage ment pour obtenir quelque chose, il est presque impossible que son plan fonctionne sans rencontrer au moins l'un ou l'autre qui-pro-quo. Le mensonge et la dissimulation sont deux ingrédients essentiels de la comédie. Pour rendre ces mensonges réalistes, il faut donner une bonne motivation aux personnages: attirer de jolies femmes, gagner de l'argent, éviter une raclée, etc. Le personnage de Constanza est parfait pour s'enfoncer dans des mensonges de plus en plus inextricables. Rajoutez des malentendus et l'affaire est dans le sac.

3) La fatalité
Personnages médiocres, Jerry et Georges sont opposés par leur destin: Jerry a beaucoup de chance avec les femmes, il a du succès dans sa carrière, le monde lui sourit presque naïvement. Georges, au contraire, joue de malchance et de poisse. Cette opposition fataliste entre les deux, qui n'en restent pas moins copains comme cochon, est drôle à observer,... surtout quand la poisse de Georges vient contaminer la bonne fortune de Jerry! Du coup, le destin pathétique des deux lascars est lié et nous sommes les spectateur de leur combat s'en relâche pour s'en sortir.

14 août 2011

Louie, saison 2

Il y a quelques mois je vous avais parlé de la série humoristique Louie, diffusée sur la chaîne américaine FX. Je me dois d'en reparler, car la saison 2 qui est diffusée en ce moment (tous les jeudis soirs) est encore meilleure que la première, et, du coup, probablement la meilleure série humoristique du moment!

Pendant la saison 1, Louis CK, auteur et interprète principal, expérimentait en marchant le long de l'étroite frontière entre le rire franc et le bizarre, le triste, le pathétique. Ca donnait un ton nouveau, inédit en sitcom, mais qui pouvait rebuter le spectateur lambda par son côté un peu abstrait et intellectuel.

Cette année, Louie va plus loin: il plonge à pieds joints dans le côté obscur, et n'hésite plus à explorer pendant tout un épisode des questions graves et profondes (comme le suicide, dans l'épisode magistral avec Doug Stanhope). La noirceur de son univers est sans limite.

Ce qui différencie vraiment la saison 2 de la première, c'est qu'on sent très nettement que Louis CK est sincère dans sa démarche. Alors que les digressions philosophique de l'année dernière avaient parfois un goût de film d'avant-garde suédois, les nouveaux épisodes sonnent justes et touchent leur cible au millimètre.

Pourtant, et c'est là évidemment que se trouve le génie, on n'en oublie pas de rire. Pour tout dire, la saison 2 est même un peu plus drôle! Chapeau, l'artiste!

Faites-moi confiance, regardez cette série!

Et si vous êtes un producteur, essayez de faire un truc comme ça en France. Et engagez-moi pour l'écrire!

08 août 2011

Quel est votre propos?

Une des questions qui m'ont été posées lors du concours d'entrée au CEEA, au sujet du synopsis que j'avais écrit, était:

Quel est votre propos, dans ce synopsis?

Et moi de répondre par un silence, l'oeil hagard...

Après quelques secondes je leur demande ce qu'ils veulent dire par là? Mon propos? La morale de l'histoire vous voulez dire? Ah non, pas la morale, le propos. On m'assure que chaque histoire possède bien un propos, et je suis prié de donner le mien.

Faute de meilleure définition du terme, je suis obligé de répondre que mon synopsis ne contient pas de morale: je l'ai écris pour l'amusement des spectateurs, et que je n'ai pas de plus hautes ambitions.

Ouh! L'erreur! Le visage horrifié, les membres du jury biffent nerveusement leurs carnets, comme si je venais de franchir le Rubicon.

Bonne leçon: au CEEA, on veut des auteurs qui ont un propos. Mais on ne nous dit pas exactement ce que c'est.

Je vais donc essayer de le faire aujourd'hui.

J'ai fait quelques recherches croisées sur les mots "propos" et "scénario" et force est de constater que les chercheurs et autres académiciens en sont plus friands que les scénaristes eux-mêmes, qui parlent plus volontiers de "thème".

Le "thème" du scénario. Voilà l'objet de ma recherche.

Je veux trouver la définition. Je vais donc poser la question à des scénaristes hollywoodiens, des professionnels oscarisés, connus et reconnus. Je me dis qu'ils ont sûrement une très bonne réponse.

(Si vous me croyez pas, je vous assure qu'avec internet il est très facile de joindre ces gens! Et ils répondent!)

Mais là, à ma grande déception, il semble bien qu'il n'existe aucun consensus autour de ce mot, le "thème". Certains parlent d'un élément qui assure la cohésion de l'oeuvre, comme une sorte de mot-clé qui chapeaute chaque séquence, chaque scène, chaque réplique. Mais aussitôt ils ajoutent qu'ils n'écrivent jamais leurs histoires en pensant au thème. C'est quelque chose qui s'analyse après coup... C'est ce que font les académiciens, pas les artistes.

En tout cas, ce qui est sûr, c'est que j'avais tort au sujet de la "morale": ça n'a rien à voir. Une morale est une réponse à une question donnée ("il vaut mieux arrêter la drogue"). Le thème, en réalité, c'est la question elle-même ("jusqu'où la drogue peut-elle nous déshumaniser?").

Donc lorsqu'on vous demande "dans votre scénario, quel était votre propos?", répondez par une question (cette technique fonctionne pour draguer les filles et impressionner les intellectuels de pacotille).

Ceci dit, ça nous avance pas beaucoup plus sur l'utilité du thème, en pratique, pour l'auteur. Il y a deux écoles: ceux qui découvrent leur thème en cours de route, et s'en servent consciemment pour faire des choix artistiques qui explorent les mêmes territoires tout au long de l'oeuvre. Cela donne une grande cohésion à l'ensemble: les mêmes obsessions reviennent, les mêmes idées sont illuminées par plusieurs côtés. Puis il y a ceux qui négligent le thème du début à la fin, et, suivant leur instinct, font des choix artistiques qui leur semblent cohérents.

Pour un long débat sur la question (en anglais) : le forum http://messageboard.donedealpro.com/boards/showthread.php?t=63186 laisse les scénaristes amateurs et pros se déchirer pendant des dizaines de pages.

Pour moi le point à retenir de ce forum, c'est que lorsqu'on demande au scénariste de Minority Report quel est son thème (des années après la sorti de film!), il répond "j'en sais rien".

Ceci dit, je serais injuste si je disais qu'on peut se débarrasser du thème aussi facilement. Une bonne question est tout de même posée: "Une histoire sans thème vaut-elle la peine d'être racontée?"

On pourra débattre longtemps sur la question.

Je reste persuadé que demander à un scénariste "quel est votre propos?", c'est de la branlette intellectuelle.